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Interview

Maroc : La culture, un vecteur de débat sur l’abolition de la peine de mort [Interview]

37 écrivains et 13 plasticiens se sont rassemblés, dans le cadre du projet «Le droit de vivre», pour lancer un livre et une exposition soutenant un débat favorable à l’abolition de la peine de mort. Initiative citoyenne impulsée par Mahi Binebine, Driss El Yazami et Younès Ajarraï, elle débutera le 9 octobre pour durer jusqu’en février 2022, avec un programme d’ateliers et de tables rondes.

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Une exposition regroupant les œuvres de 13 plasticiens marocains sous le thème «Le droit de vivre» sera inaugurée samedi 9 octobre au Musée d’art et de culture de Marrakech (MACMA), à l’occasion de la Journée mondiale contre la peine de mort, organisée depuis 2003 tous les 10 octobre. Cet événement sera ouvert au public jusqu’à février 2022. Elle sera accompagné de la sortie d’un livre sur la même thématique et portant le même titre, regroupant les contributions de 37 écrivains, journalistes et poètes, illustré avec les travaux des plasticiens.

Commissaire de l’exposition, coordinateur du livre et membre initiateur de cet événement, Younès Ajarraï souligne dans cet entretien l’importance de faire de la culture un vecteur pour élargir le débat sur l’abolition de la peine de mort aux intellectuels et aux créateurs.

Vous êtes trois à avoir initié cet évènement. Comment vous est venue l’idée de l’organiser ?

C’est un projet que nous portons depuis longtemps. En 2014, lors du Forum mondial des droits de l’Homme tenu à Marrakech, le Roi Mohammed VI avait adressé un message aux participants. Il a appelé de ses vœux à élargir le débat autour de cette question, pour avancer sur le moratoire contre la peine de mort d’un côté et sur l’abolition de l’autre. Au Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), nous avions organisé un séminaire en 2016 avec la Coalition marocaine contre la peine de mort, dans ce même esprit. L’idée était déjà là d’aborder la question en élargissant le débat et la mobilisation.

Il y a un an est survenu aussi l’assassinat d’Adnane à Tanger. Nous avons tous suivi le tollé sur les réseaux sociaux et dans la rue, mais aussi parmi certaines personnes favorables au moratoire. Nous en avons été interpellés par les nombreux appels à appliquer la peine capitale et nous avons souhaité impliquer les artistes et les écrivains pour élargir justement ce débat. Ainsi, nous avons lancé un appel à contribution aux plasticiens, aux écrivains et aux intellectuels, dans la perspective de sortir un livre et d’organiser une exposition, dont les images seront reprises dans l’ouvrage, en plus des textes de nos contributeurs.

A partir du 9 octobre prochain, il y aura des activités autour de ce livre, pour permettre aux réseaux déjà existants de s’intégrer à cette initiative citoyenne, ne se revendiquant d’aucune institution mais ayant vocation à rassembler les dynamiques.

Quelle est l'enjeu d’y faire adhérer écrivains et artistes plasticiens ?

Cette initiative veut faire de la culture un outil d’élargissement de ce débat contre la peine mort. Je pense que cela est important en soi, dans la mesure où l’on change de mode de mobilisation ou d’intervention dans l’espace public. On n’est pas dans le plaidoyer frontal, mais dans la prise de parole libre, d’autant que nous avons donné carte blanche aux créateurs participants.

Je pense qu’il est important que ces voix se fassent entendre et je ne suis pas certains que nos écrivains ou plasticiens prennent la parole sur ces questions-là. Ils ne pétitionnent peut-être pas, mais ils se positionnent à travers leurs écrits et leurs œuvres artistiques. C’est ce que nous avons souhaité leur permettre à travers cette initiative. Nous ne leur avons pas fait de commande, mais nous leur avons donné carte blanche en leur demandant d’exprimer comment ils voient ce sujet, de façon à ce qu’ils l’abordent à leur manière, dans une forme d’aller-retour entre création et engagement.

Quelle approche avez-vous adoptée pour la mise en place de ce programme pluridisciplinaire ?

Nous allons faire le lancement, le 9 octobre à Marrakech, en donnant la parole en premier aux réseaux existants autour de la Coalition marocaine contre la peine de mort, vu le travail important et indispensable qu’ils font. Dans l’après-midi, nous allons revenir sur la question «Création et engagement : que peut la culture ?», afin de réfléchir à la place de cet engagement dans le processus de création. Le débat se tiendra autour d’une conférence du philosophe Ali Benmakhlouf et de l’interraction des écrivains et des plasticiens.

Il y aura d’autres activités qui seront prévues, puisque l’exposition qui accompagne cet événement se tiendra d’octobre 2021 à février 2022. Nous terminerons avec un séminaire sur la création et l’engagement, en intégrant au débat les artistes issus des autres pays d’Afrique. Deux autres séminaires seront au programme, avec la participation des réseaux existants qui seront amenés à implémenter ces activités-là.

Un atelier de dessin destiné aux enfants sera lancé aussi, en partenariat avec la Coalition marocaine contre la peine de mort, en plus d’un concours de plaidoirie pour les lycéens et les étudiants, avec l’appui d’Ensemble contre la peine de mort, puisque l’objectif n’est pas seulement de publier un livre et de tenir une exposition.

Pensez-vous, ces dernières années, que le débat sur la peine de mort au Maroc est au point mort ?

Dans le cadre du Forum mondial des droits de l’Homme, nous avions déjà imaginé des ateliers sur la question de l’abolition, avec les réseaux existants. A l’époque, presque la moitié de nos parlementaires étaient favorables à l’abolition, même si leur position contraste globalement avec celle de l’opinion publique. N’oublions pas qu’à travers l’histoire, il a fallu justement du courage politique pour plaider l’abolition. Rares sont les pays l’ayant adoptée sans la réticence de la société. Malgré cela, nous avions beaucoup d'espoir dans ce processus, avec la coalition des parlementaires et de la Coalition marocaine, soutenus par l’appel du roi pour élargir le débat sur cette question.

Depuis, malheureusement, nous avons l’impression qu’il ne se passe pas beaucoup de choses. On continue à célébrer le 10 octobre comme Journée mondiale de l’abolition de la peine de mort, mais le travail au niveau du législateur et des partis politiques n’a pas permis véritablement d’avancer. Je dois dire aussi que la majorité parlementaire issue du Parti de la justice et du développement (PJD) ne permettait pas non plus d’avancer considérablement, vu que cette formation a toujours été pour la peine de mort. Maintenant, j’espère que les choses pourront avancer avec la nouvelle majorité. Nous sommes uniquement lanceurs d’une initiative citoyenne, mais il revient aux différentes parties prenantes et concernées d’œuvrer dans le même sens.

Je souhaite attirer l’attention aussi sur le fait que depuis 1993, année de l’exécution du commissaire Tabit, il n’y a plus eu d’application de la peine de mort au Maroc. Nous sommes donc face à un moratoire de fait. Mais tous les ans et depuis 28 ans aux Nations unies, notre pays s’abstient de voter pour l’adoption officielle d’un moratoire à inscrire dans nos lois nationales. Ce point revêt une grande importance, lorsqu’on sait que certains Etats ayant adopté un moratoire de fait, pendant plus de 40 ans, se sont remis à appliquer la peine capitale, car la loi ne les contraint pas à la suspendre.

Tant que ce moratoire n’est pas encore inscrit dans le marbre de la loi, il est évident que tous les risques sont possibles. Nous espérons que notre pays le votera à l’ONU, à la fin de l’année 2021.

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