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Grand Angle

Maroc : Comment la culture du cannabis influence la réussite scolaire

Dans le nord du Maroc, la culture du cannabis, qui s’ajoute à plusieurs autres facteur, impacte directement la scolarité des jeunes garçons, qui décident d’abandonner l’école pour soutenir leurs familles ou gagner de l’argent, selon une nouvelle étude de deux chercheurs de l’Université Abdelmalek Esaâdi.

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Photo d'illustration. / DR
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Dans des zones rurales au Maroc, déjà très vulnérables, le faible accès aux services de base s’ajoute aux taux de chômage élevés et supérieurs, parfois, à la moyenne nationale, obligeant les jeunes à abandonner très tôt l'école pour chercher du travail. Ce phénomène est encore plus apparent lorsqu’il s’agit de zones rurales connues pour la culture du cannabis. Dans le nord du pays, alors que cette activité s’avère attractifs, de jeunes élèves abandonnent facilement l'école par choix de s’y mettre pour gagner leur vie, ou par obligation afin de soutenir leur famille dans la culture du cannabis.

Ce phénomène liant abandon scolaire et culture de cannabis a intéressé Yassin Meklach et Abderrahmane Merzouki, deux chercheurs de la Faculté des sciences de Tétouan de l'Université Abdelmalek Esaâdi qui ont mené une étude publiée ce mois-ci mais pas encore validée par les pairs. Menée en collaboration avec la direction provinciale de l’enseignement de Chefchaouen, elle couvre quatre communes rurales : Stehat ; Bni Bouzera ; Bni Mansour et Bni Selman, tous affiliés à la tribu de Ghomara. Elle a porté sur le chef-lieu de la commune de Stehat, qui accueille des élèves provenant des quatre communes susmentionnées, et peut ainsi refléter les principales caractéristiques qui marquent la problématique de la scolarisation dans cette zone.

De mauvaises notes pour les garçons dont les parents cultivent du cannabis

Les deux chercheurs ont ainsi mené des entretiens qualitatifs et quantitatifs pour cerner la question. Ainsi, ils ont constaté que la répartition des élèves selon le statut professionnel de leurs parents révèle la prédominance des catégories d’«agriculteurs» (44%) et de «pêcheurs» (23%).

La répartition des élèves selon les scores obtenus et exprimés avec les notes d'évaluation des moyennes annuelles (AAM), montre que plus de la moitié des étudiants (52%) ont un AAM supérieur à 10. Parmi eux, 36% ont un score moyen compris entre 10 et 12. En revanche, 48% ont un AAM inférieur à 10, parmi eux 29% ont un AAM compris entre 08 et presque 10, tandis que 19% ont un AAM inférieur à 8. «Ce résultat indique qu'au collège de Stehat près de la moitié des élèves trouvent des difficultés à progresser dans l'école», commentent les deux chercheurs.

L’étude ajoute que «l'effet de l’occupation du père sur la variable dépendante AAM des étudiants, différencie trois catégories et montre clairement la séparation du groupe «agriculteurs de cannabis» des autres groupes («agriculteurs d'autres cultures» et «autres professions»). En effet, un élève issu de familles productrices de cannabis «affiche un rendement scolaire assez faible par rapport aux autres élèves», constatent les deux chercheurs, qui ajoute que les résultats montrent que les enfants âgés de 12 à 16 ans sont «activement impliqués dans la culture du cannabis». «Il semble ainsi que la culture du cannabis a des effets directs sur les performances scolaires des enfants, et que les garçons sont plus touchés», déduisent-ils.

Auprès des parents, des enseignants et des responsables du secteur, l’enquête a mis en exergue le fait que «les opinions de la population locale (parents, autres adultes et jeunes d'âge scolaire) sur les problèmes de scolarisation dans la zone étudiée». «Les personnes interrogées distinguent trois aspects fondamentaux : Le manque d'infrastructures éducatives, le manque de ressources humaines (enseignants) et le manque d’implication des autorités», poursuit-on.

Attitude négative vers l'école vs. attraction pour le cannabis

Bien qu’ils considèrent que «la continuité de l'éducation chez les jeunes élèves comme essentielle», les répondants évoquent plusieurs problèmes, comme l’accès aux écoles et la difficulté d'aller au-delà de l'enseignement primaire. Ils évoquent aussi «le besoin de main d'œuvre pour s'occuper des exploitations familiales» notamment pour les enfants de plus de 13 ans. «Dans ce cas, les jeunes enfants jouent un rôle décent en s'occupant spécialement des plantations de cannabis et de sa croissance», note l’étude. Celle-ci précise aussi que dans la zone étudiée, «il existe une tendance générale qui marginalise la scolarité en raison des résultats incertains après l'obtention du diplôme». «Cette perception culturelle négative envers la scolarisation encourage malheureusement les étudiants à perdre confiance en l'école et à la quitter le plus tôt possible pour gagner de l'argent en travaillant dans le domaine du cannabis», déplorent les deux chercheurs.

Même chez les familles, une attitude négative vers l'école existe et «cette frustration réduit encore le niveau de confiance déjà faible envers les établissements d'enseignement». «D'autres facteurs connexes qui affectent indirectement les performances scolaires et la continuité de la scolarisation des élèves locaux, sont la détérioration des infrastructures éducatives, le manque d'équipement et des ressources humaines insuffisantes/qualifiées pour l'éducation. Ensemble, ces facteurs encouragent les élèves à abandonner l'école et à se réorienter vers la culture attrayante du cannabis à un âge précoce, ce qui les met parfois en danger pour leur propre sécurité», ajoutent les deux chercheurs.

Pour ceux-ci, «les autorités et les décideurs doivent réagir et proposer des solutions alternatives pour la région étudiée et pour l'ensemble de la zone», en privilégiant une augmentation du budget dédié au secteur de l'éducation, en fournissant des infrastructures adéquates et en préparant des ressources humaines hautement qualifiées et motivées. «Investir dans le capital humain génère directement le développement économique», concluent-ils.

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