Formé de 34 ONG, le Collectif Associatif pour l’Eradication du Travail des «Petites Bonnes» presse depuis quelques jours le gouvernement marocain pour qu’entre en vigueur un projet de loi visant à abolir définitivement le travail des jeunes domestiques. Voté en Octobre dernier par le Conseil du gouvernement marocain, ce projet, qui prévoit une amende allant de 25.000 à 30.000 dirhams pour toute personne employant à son domicile une mineure de 15 ans ou moins, et un doublement de cette amende agrémenté d’une peine de prison de 3 mois en cas de récidive, tarde à entrer en application dans les faits.
«La situation est intolérable, la place des enfants est à l’école ou auprès de leur famille» s’indigne Mariam Kamal, une membre du Collectif et de l’association INSAF, lorsque le quotidien espagnol El Mundo l’interroge. Et la pasionaria de souligner, «la nécessité de conduire une campagne d’information visant à sensibiliser les gens à cette cause, notamment en les exhortant à dénoncer les pratiques d’exploitation qu’ils connaissent dans leur entourage».
Il est vrai que la situation du Maroc est peu reluisante en ce qui concerne le travail domestique des mineurs. Selon les statistiques d’un rapport de l’UNICEF datant de 2006, ce serait entre 66.000 et 88.000 enfants de 15 ans (ou moins) qui travailleraient comme employés de maison dans le royaume. Une statistique encore plus édifiante lorsque l’on sait que pour près de 80% de ces mineurs, le travail domestique signifie une exclusion définitive du système scolaire, et pour 43%, une coupure totale avec la famille.
La montée au créneau du Collectif Associatif pour l'Eradication du Travail des «Petites Bonnes»
D’où la montée au créneau récente du Collectif Associatif pour l'Eradication du Travail des «Petites Bonnes». Créé en mars 2009 par l’Association INSAF, la Fondation Orient-Occident, Amnesty International-Maroc et l’Association marocaine des droits humains, le Collectif se fixe pour mission de créer les structures de support nécessaires à la réinsertion des jeunes employées domestiques ; des filles qui, pour la plupart, «ont commencé à travailler à 6-7 ans et n’ont de ce fait, jamais été à l’école» rappelle Mariam Kamal.
Parmi ces structures de support, la mise sur pied d’une équipe d’assistantes sociales dont le rôle serait «d’aider ces jeunes filles, de faciliter l’intervention de la police judiciaire et de collaborer avec le bureau du procureur sur des cas possibles d’exploitation » est annoncée par Kamal. Cette équipe devrait permettre au Collectif d’agir et réagir de manière rapide et ciblée selon les cas. Elle devrait surtout permettre de prévenir les drames, à l’image de celui vécu par la jeune Khadija l’été dernier et qui s’était traduit par la mort de la jeune domestique de 11 ans.
Justice ou jugement sociétal : la répression ou l’opprobre (la7chouma) pour juguler ce fléau ?
La démarche du Collectif est donc aussi bien préventive que proactive. Pour le prouver, l’association mène ses propres études. Selon l’une d’entre elles, qui date de 2010, on apprend par exemple que la plupart des familles embauchant des mineures ont un niveau de vie suffisamment élevé pour embaucher une adulte (74% des 169 familles du panel), et que deux-tiers de ces familles ont par ailleurs connaissance des dispositions légales concernant l’interdiction du travail des mineurs (63%). Autant dire que le non-respect de la loi paraît assez usuel, voire même banal, au sein des familles embauchant des mineures, ce qui révèle l’ancrage solide de cette pratique d’exploitation.
D’où la complexité de la mission que se fixe le Collectif : d’une part, réussir à forcer par tous les moyens à l’adoption d’un cadre juridique plus répressif à l’encontre des contrevenants ; et d’autre part, sensibiliser la société sur le fléau que représente le travail des «petites bonnes». Ce discours sur les deux tableaux, juridique et culturel, est nécessaire pour qu’à terme, l’abolition du travail des «petites bonnes» devienne une réalité effective. Le Collectif semble avoir compris que ce que la justice ne peut interdire, le jugement de la société peut l’arrêter – et vice-versa.
C’est dans ce sens que sera d’ailleurs organisée, demain à Rabat, une journée de réflexion sur la stratégie de plaidoyer à adopter pour l’abolition de cette pratique sociale.