Yabiladi : A quel âge avez-vous commencé à militer ?
Nizar Bennamate : Je suis arrivé au militantisme relativement tard, quand j’ai eu mon bac à 19 ans. C’est lorsque j’ai commencé mes études de journalisme que je me suis intéressé à la politique et j’y ai pris goût. Au départ, j’ai rejoint l’Association Marocaine des Droits de l’Homme pour participer à des sit-ins. Je voulais me retrouver dans une communauté qui partageait les mêmes valeurs que je construisais au fur et à mesure que je grandissais. Comme par exemple pouvoir penser et pratiquer sa religion librement, une liberté qui peut profiter à tout le monde, aux plus extrêmes comme aux plus modérés. Malheureusement, ce n’est pas à l’école marocaine que l’on apprend à être imprégné de cet esprit libre. De plus, au Maroc, il y a une sorte d’orthodoxie fixée par l’état, que tu te dois de respecter sinon tu risques d’être excommunié de la société.
En tant que militant des droits de l’homme, que vous apporte internet ?
NB : Je me considère plus aujourd’hui comme étant un citoyen d’internet qu’un citoyen marocain. Je me sens beaucoup plus libre sur internet qu’au Maroc. C’est vraiment le seul lieu où tu peux écrire ce que tu veux, n’importe où et n’importe quand. Internet permet de créer un espace de liberté, de rassembler des gens et des idées. Internet a permis de révéler au grand public les répressions de Sidi Ifni ou le sniper de Targuist. Deux évènements qui ont prouvé qu’internet pouvait être un moteur de mobilisation, de protestation sociale mais aussi de proposition au Maroc.
Prenez-vous des précautions particulières lorsque vous utilisez internet ?
NB : Il ne faut pas raconter tout ce qu’on fait sur internet et surtout il faut préserver sa vie privée. Internet est un outil diaboliquement efficace qui n’oublie jamais rien et qui laisse des traces. Il n’offre pas le droit à l’oubli. Il faut être aussi très vigilant parce que lorsqu’on vit dans un pays autoritaire, l’idéal pour cet état n’est pas d’arrêter un militant, de le torturer et le tuer, mais d’abord, de tout savoir sur lui et ensuite salir sa réputation pour qu’il n’ait plus aucune crédibilité aux yeux du public.
Pensez-vous être personnellement fliqué sur le net ?
NB : J’en suis certain. Mon compte Facebook a été désactivé à plusieurs reprises. Une fois, j’ai cherché mon nom sur Facebook et j’ai trouvé un deuxième compte qui avait le même nom que moi et ma photo. Je l’ai signalé et plus tard ce compte avait disparu. C’est un secret pour personne. Les autorités ont besoin de nous fliquer, pour savoir ce que l’on dit et ce que l’on a dans la tête. En février 2011, j’étais venu à Marrakech avec d’autres amis manifestants pour distribuer des tracts en vue de préparer des manifestations pour le 20 février. Un des manifestants a été arrêté ce jour-là par des policiers en civil. On avait filmé la scène et on a envoyé la vidéo sur internet. Elle a été visionné jusqu’aux Etats-Unis, puis des journalistes nous ont appelé. Grâce à la pression médiatique notre ami a été relâché. Cependant, il a commencé à recevoir des appels. Quand il répondait, on entendait des cris comme des gens qu’on était en train de torturer. On a vu cela comme une tentative d’intimidation.
Quand on est un militant des droits de l’homme, on ne devient pas un peu paranoïaque ?
NB : Par rapport à ce que j’ai vécu, on a des raisons de l’être. On finit par le devenir. Parfois je me dis que je le deviens trop. Tu te fais des films pour rien. Parfois tu ne te fais pas de films et je me dis que je devrais m’en faire (rires) ! Tu dois être très vigilant, attentif et tenté de gérer ta vie normalement au quotidien. Moi je suis très vigilant sur internet mais dans la vie quotidienne, je le suis beaucoup moins.
Combien de fois avez-vous été arrêté ?
NB : J’ai été arrêté 2 fois au total. La première fois c’était en 2009 à côté de chez moi à Marrakech. J’ai été emmené au commissariat de Jemaâ El Fna. On a pris mes empreintes, on m’a photographié. Je n’ai pas été frappé mais par contre quand j’ai vu le commissariat de Jemaâ El Fna, j’ai eu peur. Tu revois devant toi les images des gens qui ont été torturé dans le commissariat comme l’étudiante Zahra Boudkour. J’ai ressenti tout cela. Ensuite, le même jour, j’ai été envoyé au commissariat à Mohammedia avec les menottes. Là bas, on m’a interrogé 6 fois. Au début, on te fait répéter ton histoire pour voir si elle est cohérente. L’objectif est de te déstabiliser et de te fatiguer psychologiquement. Ensuite, tu te retrouves en face de plusieurs policiers qui posent des questions, tous en même temps, et qui ne te laissent même pas terminer ta phrase. Puis la seconde fois que j’ai été arrêté, c’était le 15 mai, le jour où on a fait un pique-nique près de la prison secrète de Témara. Les forces de l’ordre sont arrivées et ont frappé violemment les manifestants. J’ai été arrêté, emmené dans une estafette avec des forces de l’ordre qui avaient des casques et des matraques et ils m’ont frappé jusqu’à ce que je sois emmené en ambulance tout ensanglanté vers l’hôpital. J’ai eu des points de suture. Je suis resté au lit pendant une semaine, ne pouvant pas dormir sur le dos.
N’avez-vous eu pas peur de mourir sous les matraques des policiers ?
NB : Je ne pense pas beaucoup à ce genre de choses. C’est la passion qui m’emporte. Et puis, ici au Maroc, il ne faut pas être caricatural. On ne vit pas en Syrie ou en Tunisie de Ben Ali. On a des marges de manœuvre. C’est vrai qu’on n’est pas en démocratie mais on peut faire des choses quand même, on peut s’exprimer. On ne va pas se faire briser les doigts comme le caricaturiste syrien ou se faire égorger. Au Maroc, si les autorités veulent vraiment se venger contre toi, on va monter un procès de toute pièce pour une affaire de droit commun, comme ce qui s’est passé pour Zakaria Moumni ou le rappeur L7a9ed.
Et votre famille, comment vit-elle le fait que vous soyez un militant ?
NB : Ma famille connait les risques que je prends. Mais le pire pour elle, a été lorsque j’étais engagé au MALI en 2009. J’ai eu des conflits avec ma famille. Mon père m’a même nié. Il m’a dit que je n’étais plus son fils et je suis parti de la maison.
Lors de cet engagement avec le MALI, n’avez-vous pas trouvé cela extrême de vouloir rompre le jeûne en plein jour ?
NB : En ce qui me concerne, je jeunais ce jour-là. On s’était tous donné rendez-vous, avec les membres du MALI à la gare de Mohammedia pour partir ensuite manger dans la forêt. J’avais décidé de prendre part à ce moment parce que je suis pour la liberté de conscience. Je ne trouve pas normal que quelqu’un fasse le ramadan alors qu’il n’a pas vraiment envie de le faire. Ce qu’a fait le MALI est très légitime parce que ce qu’il a voulu demander aux autorités de permettre aux gens qui ne veulent pas jeûner de pouvoir manger dans des lieux publics comme dans des restaurants et des cafés qui ferment pendant le ramadan. Lorsque tu vas dans ces établissements tu n’es pas servi parce que tu es un musulman. Et pour faire entendre ce discours, il a fallu frapper fort. C’était le but de cette action. Aujourd’hui je ne regrette pas cet acte parce que je considère que la religion ne doit pas être contraignante.
Aujourd’hui ca va mieux avec votre père ?
NB : Oui ça va très bien. Le MALI a été une expérience difficile pour mes parents parce qu’ils devaient se justifier de ce que j’ai fait alors qu’ils n’avaient pas à le faire. Ils ont eu énormément de pressions de la part de la famille. Par contre, les manifestations du 20 février, étaient des manifestations politiquement correctes. A leurs yeux, c’était légitime de descendre dans la rue. Elles ont touché plus de monde et ils ont mieux compris mon combat.