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Grand Angle

Maroc : Pour l’abolition de la peine de mort, le besoin d’impliquer la magistrature

Dans le cadre de la Journée mondiale contre la peine de mort, prévue le 10 octobre, les organisations abolitionistes marocaines ont pris les devants. Ce mardi, elles ont plaidé pour une dynamisation du débat afin de réaliser une abolition complète, tout en harmonisant les outils juridiques garants d’un procès équitable.

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Photo d'illustration / DR.
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Organisée ce mardi, une visioconférence tenue par la Coalition marocaine contre la peine de mort (CMCPM), le Conseil national des droits de l’homme (CNDH), Ensemble contre la peine de mort (ECPM), le Réseau des parlementaires contre la peine de mort, le Réseau des avocats contre la peine de mort et le Réseau des journalistes contre la peine de mort a connu l’intervention de juristes, avocat et magistrats.

Tous ont appelé à une participation plus large du corps de la justice, afin de réaliser une abolition complète.

Conseiller spécial du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) sur la coopération avec l’Afrique du nord et le Moyen orient (MENA) et membre du Comité de la convention de l’ONU pour la protection contre les disparitions forcées, Mohamed Ayat a rappellé que dans un contexte global, «la communauté internationale a atteint le stade de maturité pour être majoritaire à refuser la peine capitale, au niveau même des tribunaux internationaux» où cette disposition n’est plus prévue, y compris dans le cadre de poursuites pour crimes de guerre.

Une justice garante de la paix sociale

Face à ce constat, Mohamed Ayat estime que dans le cas du Maroc, des juges décident de rendre des verdicts condamnant des prévenus à la peine de mort, «parce qu’ils savent qu’elle ne sera pas exécutée, mais que les procès sont accompagnés d’une forte mobilisation pour un jugement coercitif».

Pour lui, beaucoup de magistrat marocains le font ainsi «dans des circonstances tendues et marqués par des débats polarisés, mais non pas par conviction sur l’utilité ou l’efficacité de la peine capitale». Or, ce spécialiste en droit pénal insiste que la justice a pour fonction de rester un garant de la peine sociale, et non pas de se plier à une vindicte populaire ou à des considérations créant la confusion, donnant ainsi l’impression que «le procès se déroule dans l’espace public et non pas dans l’enceinte du tribunal».

Se basant sur ces observations ainsi que sur les données chiffrées relatives au maintien ou non de la peine capitale dans le Code pénal marocain, ainsi que l’évolution des mécanismes juridique nationaux, Mohamed Ayat estime que «le temps est venu pour une abolition complète», après un «long plaidoyer progressif contre la peine de mort depuis 40 ans au Maroc».

Abondant dans le même sens, le juge Anas Saâdoune, membre des Club des magistrats du Maroc, a rappelé que dans le cadre des réformes pénales successives au Maroc, les cas où la peine de mort est prévue ont baissé de 31 à 9. Selon lui, «une moyenne de 10 à 11 décisions de justice par an sont des verdicts où les prévenus sont condamnés à la peine capitale».

Anas Saâdoune a indiqué que lorsque ces décisions annuelles sont étudiées de près, il s’avère qu’«elles ont souvent été prises dans des circonstances où les affaires liées ont eu un grand écho et ont bouleversé l’opinion publique, ce qui confirme le sentiment qu’elles ont été prononcées pour des raisons motivées autrement que par une conviction ou des considérations coercitives purement pénales».

La peine capitale, une illustration des défis de l’accès à la justice

Coordinateur du Réseau des avocats contre la peine de mort, le bâtonnier Me Abderrahim Jamaï a souligné en effet que l’abolition de la peine de mort nécessitait une participation active de tous les acteurs concernés, particulièrement au sein du corps de la justice. «Nous avons besoin des jeunes et des anciens magistrats pour contribuer à ce débat», a-t-il affirmé.

«Les magistrats font des efforts pour remplir leurs fonctions et nous devons écouter le message qu’ils portent, en tant que juges qui rendent les décisions : nous voulons qu’ils participent à ce débat. La Constitution leur donne ce droit de se prononcer sur des questions qui touchent les aspects politiques, sociétaux et de justice liés à la vie publique.»

Me Abderrahim Jamaï

En effet, Me Jamaï estime que l’abolition «n’est pas une question de temps, mais de conscience des décideurs publics, des partis politiques et les courants de toutes tendances, des juges, des avocats, des associations, des journalistes etc. pour rejoindre cet élan de mobilisation élargie». Pour lui, «il faut relever la barre, en défense de principes devant lesquels on ne peut pas reculer».

Dans le débat sur la peine de mort, la question de la modernisation de la politique est saillante. C’est ainsi que dans cette dynamique, Abderrahim Jamaï questionne également le lien entre l’accès à la justice et la question de la peine capitale, rappelant les failles procédurales et pénales qui mettent à mal un accès équitable à la défense, voire qui affaiblissent son rôle.

En effet, le bâtonnier rappelle que le Code de procédure pénale (CCP) peut empêcher l’avocat de garantir à son client une défense pleine, notamment dans la phase préliminaire où il ne peut pas l’accompagner au moment de sa convocation, ou encore lors de l’instruction par le juge désigné à cet effet.

Ce cas se présente pour l’ensemble des prévenus. Mais les abolitionistes rappellent que les justiciers passibles de peine de mort sont l’exemple le plus criant, qui questionne non seulement les engagements du pays pour le droit à la vie, mais également l’harmonisation de son arsenal juridique pour garantir l’accès à la justice de manière équilibrée, entre partie civile et défense.

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