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Grand Angle

L'histoire improbable du moqaddem bloqué en Espagne et de son fils harrag

Alors que ses collègues signaient les autorisations de sorties au Maroc, le moqaddem de Fès est resté bloqué près de Burgos en Espagne, interdit de retour au Maroc.

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Vue panoramique de Aranda de Duero, près de Burgos en Espagne / DR
Temps de lecture: 3'

Mercredi soir parvenait à Yabiladi un enregistrement audio des pleurs d’un homme, fatigué d’un séjour de plus de trois mois loin de chez lui, sans solution de retour. Cet homme s’appelle Mohamed Moutaouakil, moqaddem à Aïn Amiyer à Fès. Le 10 mars dernier, il atterrissait à Toulouse, mais sa destination finale est Aranda de Duero, une ville située entre Burgos et Madrid. Le séjour de 14 jours de ce père de 6 enfants n’était pas touristique, mais pour raison familiale.

En effet, son fils ainé 19 ans est ce qu’on appelle communément un harrag (un brûleur) qui a migré irrégulièrement en Espagne en 2018. Arrêté et placé dans un centre pour jeunes migrants, son père avait programmé ce voyage pour le revoir et s’enquérir de la situation. Mohamed Moutaouakil ne s’imaginait pas que lui aussi, à 49 ans, il allait se retrouver en situation irrégulière, bloqué en raison de la fermeture des frontières par le Maroc suite à la pandémie du nouveau coronavirus.

Le consulat du Maroc à Bilbao au courant

Une vie au jour le jour allait débuter pour cet homme de condition modeste et ne parlant pas un mot d’espagnol. Son billet retour programmé pour le 24 mars de Toulouse, appartiendra vite au passé, et l’espoir d’une réouverture des frontières s’éloignera au fil des semaines. La santé déjà fragile de l’homme diabétique périclite. Il sera même hospitalisé, suite à un malaise, conséquence d’une brusque augmentation de son taux de sucre dans le sang. L'employé communal a contacté les représentations diplomatiques marocaines en Espagne, mais aussi son administration, qui lui a dit ne rien pouvoir faire dans un contexte de crise sanitaire qui s'imposait à tout le monde. Lorsqu’il nous raconte les péripéties qu’il a vécues, l’homme fond en larme.

«Je n’en peux plus. Je suis allé à l’hôpital, je dois acheter des médicaments pour mon diabète. Mes 5 enfants au Maroc ont entre 1 et 11 ans, et on se partage mon maigre salaire depuis 3 mois. Personne ne m’a aidé, je veux juste rentrer chez moi !»

Mohamed Moutaouakil

Dans son errance à Aranda de Duero, il ne croisera que peu de Marocains bloqués, contrairement à des villes espagnoles comme Barcelone, Malaga ou Algeciras. Le seul a partager sa situation, Ahmed Koualem, 76 ans, est originaire de Aïn Zohra, province de Nador. Le chibani est lui aussi en Espagne pour voir son fils en situation irrégulière et hébergé dans un centre pour mineurs migrants. Le père de 11 enfants déclare souffrir de diabète et d'hypertension. Les deux hommes sont devenus des compagnons d’infortune, espérant une aide ou un rapatriement.

Contacté jeudi par Yabiladi, la consule générale du Maroc à Bilbao est au courant de la situation des deux Marocains bloqués dans cette ville. «Nous suivons leur situation très régulièrement en les appelant au téléphone. Ils sont tous les deux inscrits sur notre liste pour un éventuel rapatriement», a déclaré Mme Fatiha El Kamouri. Interpelée sur les aides au logement ou financière éventuelles pour les deux hommes, elle a assuré ne pas avoir reçu de demande en ce sens. «Nous traitons toutes les demandes d’aide en 24 heures en les envoyant à Rabat et revenons vers les concernés», souligne-t-elle.

Heureux dénouement

Ce vendredi, alors que nous apportions les dernières retouches à cet article, Mohamed Moutaouakil nous a envoyé un message audio, mais cette fois sans pleurs. Sur un ton enjoué, il nous a annoncé s’être déplacé à Bilbao suite à l’appel du consulat. «Je suis devant les portes du consulat avec Ahmed Koualem. Nous attendons l’autocar pour prendre l’avion dès ce soir. Merci à tous ceux qui se sont mobilisés pour nous. Nous allons enfin rentrer chez-nous. Merci, merci, merci !», nous a-t-il annoncé avec soulagement.

Contacté par Yabiladi, le ministère des Affaires étrangères confirme la bonne nouvelle, en précisant que le vol de samedi reliera Séville à Beni Mellal transportera 150 passagers. Dans une dizaine de jours, les deux hommes devraient retrouver leurs familles, après plus de 100 jours d’exil forcé. Après cette épreuve, le moqaddem aura probablement un autre regard sur les situations administratives compliquées de certaines familles dans son quartier.

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