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Grand Angle

Maroc : Quand la communication gouvernementale devient une torture psychologique [Edito]

Le chef du gouvernement et le ministre de la Santé, deux médecins, imposent et prolongent sine die un traitement issu du Moyen Age (le confinement) à 35 millions de patients sans la moindre explication. De quoi envoyer les 35 au 36.

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Une partie de l’équipe de la série H, avec à droite le Professeur Strauss / DR
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Dans le passé, l’information du patient était souvent négligée, puisque seul le docteur était le sachant, le malade ne pouvant que subir les choix auxquels il n’a jamais été associé. La pédagogie du médecin fait désormais partie d’un atout pour une adhésion du patient au traitement, permettant ainsi d’augmenter les chances de guérison.

De même, la confiance est la condition sine qua non pour l’adhésion aux décisions politiques. Cela est d’autant plus vrai en période de crise sanitaire, où l’acceptation des mesures d’exception est loin d’être évidente. Pour recueillir cette adhésion, deux solutions s’offrent aux décideurs politiques : la coercition ou la pédagogie. Le Maroc, comme l’Espagne, la France et bon nombre de pays ont choisi un mélange des deux : des sanctions pour non respect de l’état d’urgence sanitaire et des messages de sensibilisation.

«Cha3b zwine !»

En trois mois de confinement, les Marocains ont globalement fait preuve d’une admirable conscience citoyenne. Les milliers de manifestations qui auraient eu lieu en temps normal ont été mises sous le boisseau, alors même que les problèmes socio-économiques se sont amplifiés. Les millions de personnes qui ont eu des retards ou n’ont pas reçu l’aide du Fonds covid-19 se sont plaints avec discrétion et dans le respect des mesures barrières, selon l’expression consacrée.

Au lieu de mettre en exergue cet effort historique de toute la nation, le gouvernement s’enfonce dans une gestion infantilisante de la population marocaine, au fur et à mesure du prolongement du confinement. De la stratégie duale coercition + pédagogie ne reste que le bâton.

Imposer leur traitement de choc sans informer «leurs patients», telle est la posture adoptée par nos deux médecins sachant et plusieurs autres ministres. Pourtant les millions d’électeurs et contribuables apprécieraient un peu d’humilité de la part d’un exécutif loin d’être irréprochable. Communication brouillonne, gaffes, ministres qui se contredisent, annonce des vacances scolaires à la dernière minute, oubli des 32 000 Marocains bloqués à l'étranger, prolongation de l’état d’urgence sans plan ni horizon... Les Marocains ont de plus en plus l’impression que le gouvernement navigue à vu, incapable de faire preuve de pédagogie, d’anticipation, et d’assumer la reddition des comptes.

Professeur Strauss fait de la politique

Et même quand un plan fuite dans la presse, le chef du gouvernement s’empresse de réfuter son adoption, tandis que le ministère de la Santé dément toute publication. Tous les deux jouent à cache-cache avec les Marocains, puisqu’aucun n’a démenti la véracité du document. C’est un peu comme si la secrétaire de votre médecin vous envoyait vos analyses sanguines plutôt rassurantes, mais que le docteur réfute l’envoi du mail, vous assure qu’il n’a pas validé les résultats du laboratoire, au motif qu’il veut vous maintenir dans l’ignorance et distiller les informations au compte-goutte, en guise de torture.

Ni El Othmani, ni Ait Taleb, ne se rendent compte de l’absurdité de leur posture, balayant d’un revers de main les informations détaillées d’un plan de déconfinement sans jamais esquisser le moindre plan alternatif. Les Marocains ne méritent-ils pas de savoir ? Les Marocains sont-ils considérés comme d’éternels mineurs indisciplinés qu’il convient de placer sous tutelle ? Ainsi, nous n’avons pas droit à l’accès à l’information, ni aux grandes lignes du plan décidé en haut lieu, ni de nous projeter dans un avenir ne serait-ce qu’avec des contours incertains. Pourquoi refuserait-on aux Marocains une timeline du déconfinement sur plusieurs semaines, comme nos voisins tunisiens ont eu la chance d’obtenir de leur gouvernement ?

A nous infantiliser à l’extrême, l’exceptionnelle confiance des Marocains accordée à nos dirigeants ces premiers mois de crise sanitaire risque de s’envoler. Le plus dur n’est pas de faire des sacrifices, mais de ne pas être associé à la décision. En pleine crise sanitaire, et après trois mois de confinement, une coercition sans pédagogie ne laisse aux 35 millions de Marocains que deux destinations : la prison ou l’asile.

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