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Interview

«L’immunité collective reste l’objectif final», Youssef Oulhote, chercheur en épidémiologie aux Etats-Unis

Confinement, déconfinement, propagation, R0, Rt, vaccin, immunité collective, embolie pulmonaire, hydroxychloroquine... Nous sommes tous devenus familiers de ce vocabulaire avec la crise sanitaire déclenchée par le nouveau coronavirus. Pourtant nous n'avons jamais été aussi conscients de la faiblesse de nos connaissances en épidémiologie. Pour mieux comprendre l'état de la recherche scientifique, la méthodologie pour l'élaboration d'un vaccin ou un sujet plus terre à terre, les précautions à prendre pour le déconfinement, nous vous proposons cet entretien avec Youssef Oulhote, enseignant chercheur en épidémiologie à l'Université du Massachusetts aux Etats-Unis. Dans un langage didactique, le docteur marocain vulgarise pour Yabiladi les notions académiques. INTERVIEW.

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Dr. Youssef Oulhote, enseignant chercheur en épidémiologie / Photo prise lors d’une conférence à Yale University - DR
Temps de lecture: 5'

Deux études récentes apportent une bonne nouvelle sur le front de la pandémie covid-19. L'immunité après infection existe et semble même robuste. Pouvez-vous nous expliquer comment ?

Une étude est en effet en cours (préprint), elle n’a pas encore été validée par un comité des pairs. L'autre étude en revanche a été publiée et validée dans la revue scientifique Cell. Les deux se rejoignent dans leurs conclusions. Ce qui est important à retenir, c’est que toutes les personnes infectées ont produit une réponse immunitaire humorale (production de cellules CD4+), permettant de stimuler la fabrication des anticorps contre le SARS-CoV-2.

Ce qui est spécifique à la population étudiée, c’est que cette réaction immunitaire est constatée pour des infections bénignes à la covid-19. Mieux encore, on a constaté que chez un deuxième groupe qui n’a pas été testé positif, il y a également une présence de cette réponse immunitaire.

Cela pourrait expliquer, mais cela reste encore au stade d'hypothèse, la faiblesse des infections chez les enfants. Etant souvent exposés aux rhumes, ils ont peut être développé des réactions immunitaires qui continuent de les protéger pour plusieurs coronavirus. C’est ce qu'on appelle la cross-immunity (immunité croisée, ndlr.). De même, cela pourrait expliquer les cas asymptomatiques.

Autre implication de cette découverte : il est possible qu'il ne soit pas nécessaire d’avoir un taux d’infection important au sein de la population (>50%) pour parvenir à l'immunité collective souvent évoquée. L’hétérogénéité de la transmission et l’existence de super-spreader (super propagateur ndlr.) pointe également vers cette direction où il s'avère que moins de 20% des infectés soient responsables de 80% des infections secondaires.

Boris Jhonson, premier ministre britannique infecté par le SARS-CoV-2 / DRBoris Johnson, premier ministre britannique infecté par le SARS-CoV-2 / DR

L’immunité de groupe vantée par certains responsables comme Boris Johnson semble pourtant difficile à envisager, au vu du risque pour les plus fragiles. L’espoir réside surtout dans un vaccin. Où en est-on ?

L’immunité collective reste l’objectif final. Très peu de gens osent le dire, mais c’est ce qui va nous sauver in fine, à condition que l’immunité soit de longue durée, que cela soit avec ou sans vaccin. D’ailleurs, le vaccin est un moyen pour parvenir à cette immunité collective. Le problème de la stratégie de laisser le virus se propager pour atteindre l’immunité collective est de sacrifier beaucoup de vies, tout en risquant de saturer le système hospitalier.

L’exemple de la Suède est très parlant. Ils ont fait le choix de ne pas confiner et parier sur l’immunité collective en connaissance de cause. Or, que constate-t-on ? La mobilité en Suède a fléchi dans les mêmes ordres de grandeur que les autres pays. Malgré une faible densité de population avec plus de la moitié des foyers composés d’une seule personne, la Suède a un taux de mortalité bien plus important que les pays voisins. Enfin, l’intérêt de cette stratégie est d'éviter le confinement pour préserver l’économie. Or avec l'épidémie, la Suède a connu une dégringolade de la consommation et de l’économie au même titre que les autres pays. Et au final, dans une ville très touchée comme Stockholm, on est encore très très loin de l’immunite collective.

Dans un pays comme le Maroc, la même stratégie de l’immunité de groupe aurait eu pour conséquences de périr economiquement et sanitairement.

Donald Trump et Moncef Slaoui / Ph. Drew Angerer - AFPDonald Trump et Moncef Slaoui / Ph. Drew Angerer - AFP

Il y a eu des annonces de découvertes prometteuses de vaccin. Peut-on espérer un vaccin d’ici la fin de l’année, comme l’a annoncé Moncef Slaoui devant Donald Trump ?

Il y a effectivement une centaine de vaccins en étude contre le SARS-CoV-2, dont 6 ou 7 qui sont au stade avancé de l’essai clinique.

Historiquement, élaborer un vaccin prend énormément de temps. On peut découvrir un vaccin prometteur, mais les essais cliniques peuvent durer 4, 6 ou 7 ans car on a besoin d'études très larges pour évaluer l'efficacité et l’absence d’effets secondaires à faible prévalence.

La plupart du temps, un vaccin c’est le virus modifié auquel on enlève sa partie infectieuse, mais pour Moderna qui vient de faire une annonce très optimiste, le vaccin utilise un brin d’ARN. Le plus gros défi sera la capacité logistique pour produire en masse. Les pays qui n’ont pas cette technologie ne pourront peut être pas produire le vaccin, car il serait difficile d’adapter l’industrie des vaccins classiques.

Comment appréciez-vous la situation épidémiologique au Maroc ?

Pour apprécier la situation épidémiologique, il faut avoir accès aux données détaillées. On parle du R0 (taux de propagation moyen), du Rt (taux de propagation à l'instant t) mais ce ne sont que des taux moyens et qui sont difficiles à interpréter sans le contexte. On a trop tendance à se fier à un indicateur unique mais c'est une erreur. Une fois que l’objectif est un indicateur, par exemple le Rt, ce n’est plus un bon indicateur, parce qu’on peut le manipuler de différentes manières.

De mon point de vue, il faut plusieurs indicateurs : le Rt en le calculant de différentes manière pour voir si les différents résultats convergent ; le taux de tests positifs sur le nombre total de tests effectués ou positivity rate qui doit être inferieur à 2 ou 3% (30 a 50 tests par personne détectée positive) par exemple ; enfin le taux de cas détectés par rapport aux cas réels qui ne peuvent être qu'estimés. Ces différents indicateurs sont plutôt rassurants pour le Maroc.

Mais in fine, la question du déconfinement n’est pas quand mais comment déconfiner, avec des structures de surveillance épidémiologique efficaces et réactives, en plus d’une preparation minutieuse des challenges sanitaires à venir et une formation du personnel.

Dr Lyoubi, directeur de l’épidémiologie au ministère de la Santé / DRMohamed Lyoubi, directeur de l’épidémiologie au ministère de la Santé / DR

Quelles seraient les «best practice» pour déconfiner ? Il y a-t-il un panel de mesures efficaces comme le testing de masse, le tracing via smartphone,... ?

Si on pouvait faire du testing de masse, de l’isolation, et quarantaine ciblée, on pourrait déconfiner plus rapidement. Le souci est que le Maroc n’a pas cette capacité, tout simplement parce que nous n’avons pas une production nationale et nous manquons très probablement d’un tres grand nombre de traceurs entraînés. C’est d’ailleurs une réflexion à mener : pourquoi n'avons-nous pas une telle industrie alors que ce n’est pas particulièrement compliqué ?

Mais compte tenu du contexte actuel, il faut adapter en faisant autre chose. Alors l’application de tracing est utile mais il faut un taux d’adoption important, gérer les faux positifs, et avoir les capacités d’intervention rapide pour la prise en charge des cas suspects... Il y a aussi la surveillance du virus dans les eaux usées, et une utilisation appropriée du réseau sentinel de la surveillance du syndrome grippal.

Le protocole du Dr Raoult a été adopté par le Maroc pour soigner les malades de la covid-19 /  Gérard Julien - AFPLe protocole du Dr Raoult a été adopté par le Maroc pour soigner les malades de la covid-19 / Gérard Julien - AFP

Le traitement à base d’hydroxychloroquine + azithromycine a-t-il joué un rôle dans la maîtrise des cas graves ?

Il n’y a pas de relation de causalité prouvée. C’est une maladie qui va tuer en moyenne 1%, probablement moins au Maroc puisque la moyenne d’âge des infectés est inférieure à 40 ans. Donc pour schématiser, sur 100 personnes infectées, 99 vont guérir. 85 d’entre elles vont guérir rien qu’en buvant de l’eau et en s’hydratant car elles n'auront pas de complication.

Toutes les études sérieuses jusqu’à présent n’ont pas prouvé l'efficacité de ce traitement. Il pourrait même avoir des effets secondaires sur le rythme cardiaque. Les antiviraux ne constituent pas vraiment le traitement miracle. Ni l’hydroxychloroquine, ni le Remdesevir ne seront la solution idéale.

Article modifié le 21/05/2020 à 02h53

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