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Grand Angle

Dans le Maroc rural, femmes et filles en marge de l’accès aux soins et à l’enseignement

Faute de personnel soignant pour la santé, d’établissements scolaires trop éloignés des habitations pour l’enseignement, les femmes et les filles se heurtent encore à de nombreux obstacles pour se soigner et apprendre.

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Photo d'illustration. / DR
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C’est une réalité encore bien palpable dans de nombreux territoires ruraux : le difficile accès des femmes et des filles aux soins de santé et à l’enseignement. D’après les chiffres du Haut-commissariat au plan (HCP) communiqués ce week-end, l’accès aux jeunes filles aux cycles d’enseignement secondaire reste encore limité, malgré des avancées notables au niveau du primaire.

«Avant de parler des femmes rurales, il faut avant tout comprendre les caractéristiques du milieu rural marocain, souligne la sociologue Soumaya Naamane, contacté par notre rédaction. Il y a au Maroc 33 000 douars dans le milieu rural, et les habitations y sont très dispersées. C’est une caractéristique particulière qui explique en grande partie les difficultés à installer les infrastructures de base à proximité des populations.»

«La plupart des technocrates, ingénieurs et géographes considèrent le rural en tant qu’espace géographique. Or dans la réalité, le rural désigne un ensemble de valeurs culturelles, de croyances. La question de l’accès à la santé et à l’enseignement dans ce milieu s’inscrit dans un contexte marqué par plusieurs de types de ruralités», complète Abderrahim Anbi, sociologue spécialiste des problématiques rurales.

Avec un taux d’accessibilité avoisinant les 80%, le Maroc a bénéficié d’une importante politique de désenclavement ces dernières années. Reste que l’accès à l’éducation et à la santé n’est toujours pas une garantie. Au collège, le taux net de scolarisation des filles rurales est de 39,73% en 2019, contre 80,15% pour les filles urbaines. Au niveau du secondaire qualifiant, ce taux est de l’ordre de 12,48%, contre 57,39% pour les filles en milieu urbain et 38,1% au niveau national.

Des établissements scolaires trop éloignés des habitations

«On constate en effet une déperdition scolaire après le primaire», nous dit Saida Idrissi, militante féministe et ancienne présidente de l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM). «La plupart des collèges et des lycées sont loin des douars et bien souvent, il n’y a pas de transports pour assurer le trajet, ce qui complique forcément l’accès des filles à l’enseignement. Les parents ne peuvent pas, ou ne veulent pas, envoyer leurs filles à l’école, pour des raisons de sécurité et culturelles – on a toujours plus peur pour une fille que pour un garçon. On prive donc les filles parce qu’elles sont des filles, au bénéfice des garçons sur lesquels les familles préfèrent miser», ajoute la militante.

Pour Saida Idrissi, l’éloignement des établissements scolaires secondaires et l’insécurité expliquent donc en grande partie l’abandon scolaire constaté chez de nombreuses jeunes filles. D’après le Conseil supérieur de l’Education, de la formation et de la recherche scientifique, sur l’année 2016-2017, les filles ont été 1,2% (plus que les garçons) à décrocher : 8% (moins que les garçons) au collège et 10,3% au lycée (comme les garçons). «Dans certains milieux ruraux, des pensionnats gérés par l’entraide nationale ou des associations accueillent des jeunes filles pour qu’elles soient scolarisés, mais l’éloignement des collèges et des lycées des douars reste un obstacle majeur», abonde la sociologue Soumaya Naamane.

Pudeur

Si la sociologue se dit «optimiste» quant à l’accès des jeunes filles à la scolarité dans les années à venir, estimant que «cette décennie sera celle de la généralisation de la scolarité au niveau du primaire», elle se montre plus sceptique concernant l’accès des femmes aux soins de santé. Selon le HCP, le taux de mortalité demeure encore élevé en milieu rural, avec 111,1 décès. La proportion de femmes rurales ayant bénéficié des soins prénatals qualifiés est de 79,6%, contre 95,6% des femmes citadines et 88,5% au niveau national. «Au Maroc, la pauvreté (…) et la vulnérabilité à la pauvreté (…) entravent peu ou prou l’accès des femmes à des soins de santé reproductive de qualité, ce qui se répercute de juré ou de facto sur le taux de mortalité maternelle mais également néonatale», indique dans ce sens une étude sur «les femmes et l’accès aux soins de santé reproductive au Maroc» (2017).

Alors qu’il est le troisième pourvoyeur hors Union européenne de médecins pour la France, selon le Conseil national de l’ordre des médecins français (CNOM), le royaume peine à pallier le manque de médecins et d’infirmiers dans les régions rurales. «Le Maroc est l’un des 57 pays souffrant d’une pénurie aiguë en professionnels de santé avec un ratio de 1,86 pour 1 000 habitants», rappelle à cet égard le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans un rapport sur «les soins de santé de base». «La répartition des médecins est très mal faite ; beaucoup ne veulent pas aller dans des petites villes ou dans les villages. On se retrouve avec des dispensaires pas équipés du tout, des infirmiers présents une fois par semaine et des médecins présents une fois par quinzaine», indique Soumaya Naamane.  

Au-delà de la pénurie de médecins dans le rural, l’absence de médecins femmes peut-il contraindre l’accès des femmes aux soins de santé ? Oui, estime Abderrahim Anbi, pour qui «beaucoup de femmes sont encore mal à l’aise à l’idée de dévoiler leur corps devant un médecin de sexe masculin». «Les maris ont encore tendance à jouer le rôle de médiateur entre la femme et le médecin», ajoute-t-il.

Un constat que ne partage pas Soumaya Naamane, qui estime au contraire que c’est «un luxe» auxquelles les femmes, confrontées à de grandes difficultés d’accès aux soins de santé, ne peuvent se permettre : «Au niveau des villes, peut-être, mais dans les campagnes, les femmes se heurtent à de telles négligences que même face à des hommes, elles ne sont pas pudiques. Quand il y a un médecin, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme, elles y vont.»

De façon générale, Abderrahim Anbi déplore «l’absence d’une politique sanitaire ou sociale». Et de conclure : «Nous avons des projets généraux concernant la pauvreté et la santé, mais il n’y a pas de spécificités.» Un constat similaire avait déjà été formulé en 2017 par le CESE, qui déplorait que «l’intégration de l’approche genre dans la planification stratégique demeure limitée, puisque les politiques publiques ne fournissent pas toujours des mécanismes opérationnels et accessibles aux femmes».

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