En 2015, une chercheuse espagnole reconnue, Victoria Veguilla del Moral, s’est penchée sur les élections régionales marocaines dans la région de Dakhla-Oued Eddahab. Elle se questionne alors sur le croisement de deux problématiques : la question de la souveraineté sur le Sahara d’une part, et le processus de régionalisation opéré par le Maroc et qui est au cœur de son Plan d’autonomie proposé en 2007 pour résoudre le conflit, d’autre part.
Elle rendra compte de ses conclusions dans un article intitulé «Se situer dans le nouveau système décisionnel au Sahara Occidental. Les élections régionales à Dakhla-Oued Eddahab», paru dans la revue scientifique française l’Année du Maghreb. La chercheuse en sera pour ses frais, car il en ressort que le jeu électoral lui-même est resté très éloigné de ces problématiques donnant lieu à des stratégies de prise de pouvoir très classiques, semble-t-il, des politiciens locaux.
A première vue pourtant, la victoire à l’élection régionale de Khatta Yanja, du Parti de l’Istiqlal aurait pu être le signe de l’importance de la question de la souveraineté dans le débat puisque le candidat sahraoui est venu s’installer à Dakhla depuis les camps de réfugiés de Tindouf dans les années 1990. Il est ce qu’on appelle «un retourné»
«Durant ces élections, le clivage nationaliste reste marginal suite à l’interdiction du Maroc d’en faire une quelconque référence publique. Les candidats ne se positionnent donc pas sur le conflit (...) - bien que, sur la scène publique marocaine et sur la scène internationale, le Maroc utilise les données sur la (forte) participation électorale dans les circonscriptions du Sahara Occidental (qui dépassent les moyennes nationales) comme argument allant dans un sens favorable à sa position dans le conflit.»
Changer de couleur politique tout en gardant son siège
Par ailleurs, si pour la première fois tout le Maroc vote directement pour l’élection du Conseil régional dont les pouvoirs ont été élargis, son indépendance améliorée vis-à-vis du pouvoir central et son budget promis d’être très largement augmenté, les élections municipales ont continué à concentrer tout l’intérêt des politiciens locaux.
«La majorité des secrétaires régionaux des partis politiques – qui sont souvent des notables, c’est-à-dire des personnes connues dans la ville que les électeurs associent davantage aux sigles partisans - a opté pour se porter candidat dans la circonscription électorale de la municipalité de Dakhla, laissant ainsi la tête de liste pour le conseil régional à un autre membre du parti», écrit la chercheuse espagnole.
Enfin, durant la campagne, les analyses politiques soulignaient l’opposition entre le candidat de l’Istiqlal et la candidate du PAM, Mouna Chagaf. Fille du premier pacha après la Marche Verte et épouse de Mohamed Salah Tamek, ancien militant et détenu politique sahraoui devenu ensuite wali de la région et gouverneur de la province d’Oued Eddahab, elle était considérée comme la «candidate du pouvoir». Ce clivage Istiqlal/PAM ne s’est pas reflété dans le résultat de l’élection, le PAM étant très largement distancé. Par contre, l’élection de Khatta Yanja reflète clairement la stratégie gagnante de l’Istiqlal qui consiste non pas à proposer des candidats aux élections municipales, mais à recruter des élus pour les soutenir dans leur réélection.
«Ce parti [l’Istiqlal] va faire un tabac dans les communes rurales, parce que Hamdi [Hamdi Ould Errachid, maire istiqlalien de Laâyoune] est venu et a obligé les élus en poste à changer de parti. Ces candidats ne veulent pas prendre de risques, même s’ils sont restés longtemps au conseil, parce qu’ici, tout est assez instable, et ils se méfient du fait que Hamdi (…) pourrait finir par leur faire perdre leurs postes. Ceux qui vont gagner seront plus ou moins les mêmes personnes, mais ce qui change ce sont les sigles du parti sous lequel ils se présentent. Le but [pour Hamdi], je pense, est d’occuper un poste important au sein du prochain gouvernement, car l’Istiqlal va avoir beaucoup de postes au Sahara grâce à lui.»
Expliquer la régionalisation à la population et le monde politique local
Cette stratégie bien particulière a non seulement permis à l’Istiqlal de gagner un grand nombre de communes rurales, mais a également amené la victoire du parti à l’élection régionale sous l’effet conjoint du désintérêt de la population pour cette élection et du «bulletin unique». Les élections municipales et régionale ayant lieu en même temps, l’électeur devait cocher un logo de parti pour chacune d’elles sur le même bulletin de vote.
« Les gens sont assez ignorants et analphabètes, et ne savent pas lire ou sont mal informés ; si le candidat [à la commune] leur dit de marquer la balance [symbole de l’Istiqlal], alors ils vont le faire aussi pour la région», confiait un autre candidat originaire du Sahara.
Les enjeux proprement politiques de l’élection régionale ont ainsi été réduits à leur portion congrue. Selon la chercheuse, l’État marocain devrait donc être vigilant à ce que la réforme de régionalisation soit pleinement comprise et saisie par la population et le monde politique local car ce n’est pas le cas aujourd’hui.
«Les réformes introduites dans la Constitution nécessitent ainsi une mise en œuvre effective autour de dossiers spécifiques, pour que les partis politiques et les électeurs perçoivent l’institution régionale comme une institution clé dans les systèmes décisionnels régionaux», suggère Victoria Veguilla del Moral.
«À ces contraintes juridico-politiques s’ajoute le rôle que le président de région est censé jouer dans la défense de la position du Maroc dans le dossier du Sahara Occidental [sa participation aux commissions internationales]. Le risque serait qu’il apparaisse alors - comme l’ont pointé du doigt certains de nos interlocuteurs - davantage "comme un ministre des Affaires extérieures que comme un président de région".»
Avec la régionalisation, si l’intention de départ était d’accorder plus de démocratie locale, donc plus de démocratie tout court, les résultats ne semblent pas être là, conclut la chercheuse.