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Grand Angle

Histoire : Quand les maristanes faisaient la réputation de la médecine au Maroc

Ces institutions médicales de renom au IXe siècle ont fleuri dans les grandes villes musulmanes de Grenade à Damas. Les maristanes accueillaient tous les malades, sans distinction de maladies mentales ou physiques, ni de ressources financières.

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Le maristane Sidi Frej. / DR
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Ils sont les hauts-lieux d’une médecine autrefois réputée au Maroc, et dans l’ensemble du monde arabo-musulman. Ce sont les maristanes, dont l’édification du premier d’entre eux remonte au IXe siècle, à Bagdad. Le mot «mâristân» viendrait du mot «bîmâristân». C’est un mot arabisé composé de deux mots persans : «bimar» qui signifie «malade» et «stan» qui signifie «maison», expliquent Fouad Laboudi et Jamal Mehssani, de la faculté de médecine et de pharmacie de l’université Mohammed V à Rabat, et Allal Ragoug, de l’Institut universitaire de recherche scientifique de la même université, dans une étude sur les maristanes durant la période médiévale.

Après Bagdad, ces institutions médicales ont fleuri dans les grandes villes du monde arabo-musulman, notamment Damas, Al Qods, Alexandrie, Le Caire, Fès, Algésiras, Grenade et Cordoue, indique le psychiatre et écrivain marocain Jalil Bennani dans «Le maristane, lieu de vie et de soin». «Les maristanes, institutions médicales en pays arabo-musulmans à l’époque classique, accueillaient au départ tous les malades, sans distinction entre les affections mentales ou physiques. Un enseignement médical et chirurgical y était souvent dispensé. Par la suite, ils furent utilisés principalement comme asiles d’aliénés. L’histoire de ces institutions demeure cependant incomplète, les livres anciens qui leur furent consacrés ayant disparu», écrit Jalil Bennani.

A en croire les descriptions du psychiatre, ces lieux eurent tout d’un cadre accueillant et sécurisant, à rebours des centres hospitaliers publics que l’on connaît aujourd’hui dans le royaume. «Nombre de maristanes se caractérisaient par une belle architecture traditionnelle, un confort visant le bien-être des pensionnaires. Situés au cœur de la ville, ils voisinaient avec la mosquée et la médersa. Les jardins et les cours d’eau leur conféraient un faste et un côté féérique se voulant en harmonie avec le prestige des dynasties qui les avaient créés», écrit-il. Avant de nuancer : «Il faut cependant souligner que si certains maristanes étaient somptueux, d’autres, beaucoup plus modestes, constituaient des lieux d’exclusion des handicapés pauvres, des malades atteints d’épidémies ou encore de troubles mentaux dangereux.»

Quand les maristanes font office de projet colonial

Au début du XXe siècle, seuls subsistent au Maghreb les maristanes du Maroc : en Algérie, les psychiatres français n’en trouvent aucun, et celui basé en Tunisie, la Tékia, était amené à disparaître. Au Maroc, ces institutions furent créées par les sultans et étaient, pour la plupart, à la charge de l’Etat. Certains bénéficiaient par ailleurs de revenus importants grâce aux ressources financières qui leur étaient allouées par des princes et à la constitution de habous, précise Jalil Bennani.

A la même époque, le Maroc se vide de ses médecins et tout enseignement médical a disparu. La médecine traditionnelle devient alors le réceptacle de malades qui ne savent plus à quel saint se vouer. Exorcisme, magie, sorcellerie, recours au taleb… Les approches spirituelles et superstitieuses – les malades sont alors considérés comme possédés – vont bon train en ce début de siècle, au détriment de la médecine moderne et des personnes en quête d’une prise en charge et d’un traitement.  

A l’aube du Protectorat, lorsque les médecins français arrivent au Maroc en mission d’exploration, «ils ne retrouvent que des traces du glorieux passé des médecins arabes dont les travaux avaient constitué durant des siècles – pendant le Moyen-Âge européen – les seuls textes médicaux existant dans les bibliothèques», précise Jalil Bennani. Les psychiatres français Paul Sérieux et Salomon Lwoff seront les premiers Européens à visiter les maristanes. En 1910, ils se rendent dans une dizaine de villes marocaines (Tanger, Asilah, Larache, Ksar el-Kébir, Meknès, Fès, Rabat, Salé, Casablanca) pour mener une enquête dans les maristanes et prisons. Constatant l’absence de soins médicaux et l’état déplorable des maristanes, ils suggèrent alors d’apporter une assistance médicale à travers les maristanes, «ce qui permettait de mieux justifier le projet colonial aux yeux des autorités».

«La porte du soulagement»

La plus connue de ces institutions au Maroc est sans conteste le maristane de Sidi Frej à Fès. Jalil Bennani raconte qu’il fut construit en 1286 par le sultan mérinide Abou Youssouf al-Mansour au cœur de la médina, entre le marché des herboristes et le souk du henné. Les origines du nom de Sidi Frej sont multiples, entre autres légendes nourries par l’imagination populaire. Ce qui est certain, c’est que le maristane de Fès avait été confié à un médecin, Fradj El-Khazradji (pour l’anecdote, il introduisit la musique dans l’établissement).

L’établissement devint peu à peu le lieu d’accueil de malades sans ressources, ce qui lui aurait valu le surnom de Bab El-Faraj («la porte du soulagement», en arabe). «En raison de la constitution de habous au profit des pauvres, le maristane devint non plus seulement un établissement destiné aux aliénés, mais également un centre de bienfaisance pour les indigents, les étrangers, les malheureux et les vieillards. Le terme Frej viendrait de l’expression Allah iffaraj alih (Que Dieu le réconforte)», ajoute Jalil Bennani.

Dans un article consacré à ce maristane, Driss Moussaoui (psychiatre), Abdelfattah Chakib (professeur de maladies infectieuses) et Omar Battas (psychiatre) donnent un aperçu des lieux tels qu’ils étaient à l’époque et de la manière dont ils fonctionnaient. «Le maristane était composé d’un rez-de-chaussée comprenant 18 chambrettes, et d’un étage qui en avait 22. Le rez-de-chaussée était fait pour l’hospitalisation des hommes et l’étage au-dessus pour celle des femmes, ainsi qu’un jardin attenant pour la promenade des malades et les concerts de musique andalouse qui leur étaient donnés chaque semaine. La gestion du maristane était assurée par un administrateur aidé de secrétaires et contrôlé par un Nadir des Habous (biens de mainmorte) qui supervisait l’utilisation des biens qui faisaient vivre l’institution.»

On en apprend plus également sur le personnel : celui non médical, qui comprenait des gardiens, des cuisiniers et des musiciens qui offraient des concerts aux malades tous les vendredis. L’équipe médicale, dirigée par un médecin chef, comprenait des médecins, des infirmiers, des aides-soignants, des pharmaciens et des herboristes. Plusieurs spécialités médicales ont pu avoir été pratiquées dans le maristane Sidi Frej à Fès, comme l’orthopédie, l’ophtalmologie et la psychiatrie.

Autre vertu de ce maristane : c’était aussi un lieu où l’on soignait les animaux. L’institution était en effet dotée d’un service vétérinaire où des cigognes blessées étaient soignées : «Il est hautement probable que les emplâtres réalisés au profit des cigognes fracturées, était un excellent moyen pour apprendre aux étudiants à en faire pour les êtres humains. C’était donc une sorte de médecine expérimentale avant l’heure. D’un autre côté, les responsables du maristane distribuaient vêtements et nourriture aux vieillards, aux impotents et aux indigents. En plus, le maristane avait un fond spécial qui servait à laver les morts étrangers et à leur donner une sépulture.»

Aujourd’hui, le maristane Sidi Frej fait partie d’un programme de valorisation et de réhabilitation des monuments historiques et lieux emblématiques. Il devrait être réhabilité en vue de sa réutilisation en tant qu’espace dédié à la médecine douce.

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