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Histoire : Quand le sultan du Maroc offrait deux lions au président des États-Unis

En 1839, le sultan alaouite Moulay Abderrahmane Ben Hicham envoie deux lions au consulat des États-Unis à Tanger en guise de cadeau pour le président américain Martin Van Buren. Le cadeau «empoisonné» et impossible à refuser, sera finalement expédié aux États-Unis en 1840 pour être finalement vendu aux enchères.

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Photo d'illustration. / Ph. DR
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Les présidents des États-Unis ont reçu au fil des ans, de nombreux cadeaux d'autres pays. Des bijoux précieux aux animaux sauvages, la Maison Blanche a été inondée de cadeaux présentés par des États amis et les alliés, dont le Royaume du Maroc.

Dans les années 1800, après l'établissement de relations diplomatiques entre le Maroc et le pays de l’Oncle Sam, le sultan alaouite Abderrahmane Ben Hicham a eu l’idée d'offrir au huitième président des États-Unis deux des plus beaux animaux vivant dans le royaume. Le souverain offre alors des lions, un mâle et une femelle, au consulat américain à Tanger. Des félins de l'Atlas qui ont failli provoquer une crise diplomatique entre les deux États ayant pourtant ratifié le plus long traité ininterrompu de l'histoire des États-Unis.

L’histoire des Lions de l’Atlas a été un lourd fardeau pour le consul américain à Tanger, Thomas Carr. Le fameux cadeau royal a été même au cœur d’une longue lettre qu’il a adressée au président Martin Van Buren pour se plaindre des félins et du cadeau qu’il ne pouvait refuser. Et bien que le congrès américain ait interdit aux présidents et aux représentants du gouvernement d'accepter des cadeaux, en particulier des cadeaux coûteux, le sultan marocain a été déterminé à ce que son cadeau soit remis au chef de l'État américain.

Un cadeau impossible à refuser

Dans une lettre envoyée le 3 septembre 1839, le consul américain a indiqué «bien qu'il se soit employé à empêcher la présentation d’animaux comme cadeau du sultan et à convaincre ses ministres de l'impossibilité d'accepter un tel cadeau, [ses] efforts n'ont pas été accompagnés de succès». La lettre, citée par la «First Session of the Twenty-Sixth Congress» (Editions Order of the senate of the United States, 1840), révèle qu'après avoir expliqué de façon exaspérée à des responsables marocains qu'il ne pouvait accepter les cadeaux, le consul américain s’est retrouvé dans une situation embarrassante.

«On disait qu'une expédition arrivait de Fès avec des animaux pour le consulat américain», raconte Carr, en précisant qu'il «avait communiqué au gouverneur et à l'administrateur public [sa] détermination à refuser tout ce qui pourrait être envoyé».

Le consul américain Thomas Carr. / Ph. DRLe consul américain Thomas Carr. / Ph. DR

Les mots de Carr tombèrent dans l'oreille d'un sourd, car on lui dit qu’il ne pouvait rien faire à ce sujet et que le «présent doit être présenté». On aurait même fait comprendre au diplomate américain de «s'occuper de ses affaires», car le cadeau n'était pas pour lui, mais pour le président des États-Unis.

Irrité par la situation, Carr décide d'écrire lui-même au sultan, «mais avant qu'une lettre ne puisse être préparée, le son des tambours annonça l'arrivée du neveu du Pacha, à la tête de la troupe de soldats, avec deux énormes lion et lionne». Le consul a été aussitôt placé entre le marteau et l’enclume. Le commandant de la troupe savait exactement comment répondre aux arguments du diplomate et avait une réponse à toutes les questions qu'il posait.

En expliquant au commandant de l’expédition que le président n'est pas autorisé à accepter le cadeau, le diplomate a appris que «le sultan était au courant» et que le cadeau n'était pas destiné à Van Buren, mais au Congrès. Lorsqu'il a appris que c'était le Congrès qui avait décidé de mettre fin à la tradition, le responsable marocain a demandé qui avait rédigé «la Constitution». «Alors ce cadeau est pour le peuple américain», répond-t-il au diplomate installé à Tanger, lorsque celui-ci lui dit que c’est «le peuple» qui a rédigé la Constitution des Etats-Unis.

Deux lions de l'Atlas au sein de la légation américaine

Déterminé à délivrer les deux félins, le fonctionnaire chérifien finit par reconnaitre auprès de Thomas Carr que «cela lui coûtera la tête s'il désobéit» au sultan chérifien. Le Marocain affirmera qu’il ira jusqu’à «laisser les lions dans les rues, juste devant le consulat américain» s’il le fallait. L'idée faisait tellement peur au diplomate américain qu'il devait trouver une solution rapide.

«Voir plus de résistance, sans espoir et persister dans ce refus équivaudraient à détruire le bon sentiment avec lequel ce consulat est actuellement considéré, m'a obligé à céder à cette nouvelle forme d'attaque et à ouvrir l'une de mes pièces pour l'accueil des animaux.»

Thomas Carr

En novembre, une lettre de la Maison Blanche apporte enfin une solution au consul, accablé par le coûteux séjour de ces animaux. Signée par le secrétaire d'État américain, la lettre a autorisé Thomas Carr à expédier les lions aux États-Unis.

Un lion de l'Atlas. / Ph. DRUn lion de l'Atlas. / Ph. DR

«Ces raisons (citées précédemment dans la lettre du consul) ont été bien comprises par le président, qui a suggéré à ce que vous soyez chargé d'envoyer les animaux aux États-Unis, soit par un bateau public, soit par un navire marchand», est-il mentionné dans cette lettre de délivrance.

Selon un article du Washington Post, le congrès a accepté, par la suite, que Van Buren vende le cadeau du sultan. «Les lions, expédiés du Maroc en Pennsylvanie, ont été vendus aux enchères au Navy Yard de Philadelphie en août 1840 pour 375 dollars», a conclu le journal.

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