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Grand Angle

Du tifinagh sur les dirhams ? L’idée fait déjà bondir les salafistes marocains

La Chambre des conseillers a approuvé deux amendements au projet de loi portant statut de Bank Al-Maghrib. Celui qui crée la polémique concerne l’impression du tifinagh en même temps que l’arabe, sur les billets et pièces de monnaie. Cette annonce aura suffi pour que certaines figures du salafisme marocain se déchaînent, comme Hassan El Kettani.

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Mohamed Abdelouahab Rafiqui et Hassan El Kettani, anciens détenus salafistes jugés puis graciés dans le cadre des attentats terroristes du 16 mai 2003 à Casablanca / Ph. DR.
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L’adoption par la Chambre des conseillers d’un projet de loi prévoyant l’inclusion du tifinagh (écriture amazighe) dans les pièces de monnaie et les billets de banque suscite d’ores et déjà une vive controverse auprès des prédicateurs salafistes marocains. Ces derniers voient en cette mesure une restriction sur l’arabe, pourtant langue officielle dont la retranscription sur la monnaie n’est pas remise en cause.

La semaine dernière, la Commission des finances et du développement économique à la chambre haute des conseillers a en effet approuvé deux amendements au projet de loi n°40.17 portant statut de Bank Al-Maghrib, sur proposition du Parti authenticité et modernité (PAM). Profitant de l’absence de députés de la majorité, la formation a pu obtenir un vote favorable, renvoyant ainsi le texte en nouvelle lecture devant la chambre haute.

Parmi ces modifications approuvées, celle de l’article 57 relatif à la définition des billets de banque, de leurs formats, de leurs couleurs et de toutes leurs caractéristiques. Cet article inclut désormais un alinéa sur l’impression en langues arabe et amazighe, toutes deux considérées officielles en vertu de la Constitution de 2011.

Une proposition qui hérisse les salafistes

Si cet amendement est voulu comme une manière de consolider le statut officiel de l’amazigh, les salafistes ne sont résolument pas de cet avis et l’expriment ouvertement. Parmi eux, Hassan El Kettani a ainsi écrit sur sa page Facebook que cette décision a été approuvée «au mépris de tous et à la surprise de tout le monde», dénonçant que «nous trouverons soudainement des lettres tifinaghes sur nos billets de banque».

Plus loin, le prédicateur salafiste dit percevoir en cette mesure une «marginalisation de la langue de l’islam et des musulmans». Face aux vives critiques qu’il a essuyées à cause de sa prise de position, El Kettani a fini par supprimer son statut.

Parmi celles et ceux qui ont justement critiqué le prédicateur, on retrouve Mohamed Abdelwahab Rafiqui (dit Abou Hafs). Ce dernier a qualifié de «raciste» la position de son ex-compagnon de route, déclarant que l’idée de préférence pour les Arabes et la langue arabe «est stupide» et basée sur «une pensée tribale fanatique et néfaste».

L’ex-détenu salafiste souligne que «le Coran est écrit en arabe parce qu’il s’est inscrit dans un environnement arabe, tout comme d’autres livres saints sont parus dans la langue de ceux à qui il ont été destinés en premier». Il ajoute ainsi que «faire le lien entre une religion et une langue n’est valable que pour les cultes ethniques et nationalistes, alors que l’islam est une religion pour toutes et tous, arabes et non-arabes».

La hache de guerre entre anciens codétenus n’est pas enterrée

Mohamed Abdelwahab Rafiqui, qui a été libéré en 2012 avec Hassan El Kettani et d’autres salafistes impliqués dans les attentats terroristes du 16 mai 2003 à Casablanca, écrit sur sa page que «le système de valeurs ne s’est nullement développé dans les discours les plus racistes». «Nous vivons dans un Etat moderne qui exige de nous des idées modernes, pas des idées fanatiques qui ne sont plus de ce temps», a-t-il ajouté.

Il a ajouté que la langue amazighe «est une langue officielle de la constitution et dont l’existence au niveau géographique a précédé l’arabe, qui fait tout autant partie intégrante de notre identité, de notre histoire et de notre culture». De ce fait, Rafiqui souligne qu’«il n’y a aucun mal à être fier de sa langue, qu’elle soit arabe ou amazighe», indiquant que «le danger est dans son idéologisation et le mépris de celles des autres».

Ces arguments n’ont pas laissé indifférent Hassan El Kettani, qui a répondu à son ancien codétenu dans un statut publié dimanche. Sans pour autant le nommer, il taxe Rafiqui de «traitre». «C’est intéressant de voir que dans nos récents combats, nous nous retrouvons confrontés à des ignorants nationalistes, mais sont entrés en ligne également des perdus et des Judas».

Dans la continuité de cette tirade, il accuse Rafiqui notamment d’«empiéter et de déshonorer l’imam Al Boukhari», allant jusqu’à définir l’ex-détenu de «zéro» dont il «ne se soucie aucunement».

Selon le programme de la Chambre des représentants, la deuxième lecture du projet de loi amendé par l’opposition devra avoir lieu demain, mardi. En revanche, ce texte risque de se confronter à un nouveau rejet de la part de la coalition gouvernementale menée par les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD), qui expliquent leur réticence par le coût nécessaire à la réimpression de la monnaie nationale.

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