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Grand Angle

Zynecoin : Fuite en avant d'un projet de cryptomonnaie «révolutionnaire» en Afrique

Il y a quelques mois, Yabiladi réalisait une enquête sur le Zeencoin, projet de cryptomonnaie basé au Maroc et devenu par la suite Zynecoin. Malgré les avertissements de plusieurs experts contactés par nos soins et les antécédents judiciaires de l’un des fondateurs, le projet avance... avec toujours autant de flou.

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Karim Benabdelkader (à gauche), co-fondateur du projet et Mossaab Tazi (à droite), nouveau dirigeant du projet. / Photomontage
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Le projet Zeencoin, devenu Zynecoin est toujours à l’ordre du jour. Sur leur nouveau site web on peut lire que l’ICO* a démarré le 25 janvier 2019 et devrait se poursuivre jusqu’au 27 juin. Sur les réseaux sociaux, les porteurs du projet affirment avoir atteint la somme colossale de 500 000 dollars pour la levée de fonds.

Dans notre premier article, l’un des fondateurs Karim Benabdelkader, nous affirmait qu’une holding française proposera le «smart contract»* pour l’organisation de l’ICO. Prévue en septembre 2018, elle tardait à voir le jour comme nous l'évoquions dans nos différents articles (ici et ). D’ailleurs depuis la promulgation de l’article 26 sur les ICO en France, l’Autorité des marchés financiers (AMF), pourrait en effet «exiger que les émetteurs se dotent d’un statut de personne morale établie ou immatriculée en France». Ces acteurs seraient en quelques sortes «labellisés» par l’AMF en tant qu’acteur qui respectent ces règles.

Un expert européen ayant requis l’anonymat, nous confie cependant qu’il est tout de même possible de lancer une ICO sans disposer d’une société immatriculée. D'ailleurs, c'est que précise  l'AMF : «ces opérations échappent pour l’instant à un cadre juridique clair». 

Des réponses au compte-goutte

Quid aujourd'hui de la holding française et de sa filiale au Maroc qui devaient être créées en septembre 2018 ? Sur le site officiel apparait bien le nom d’une société, «Zyne LTD*» et une adresse dans le 16ème arrondissement de la capitale française. Après une rapide vérification, aucune société portant cette dénomination n’est alors immatriculée en France, ni Zeencoin, ni Zynecoin. Nous sommes même partis vérifier à l’adresse indiquée sur le site, là encore aucune allusion à une entreprise portant le projet Zynecoin.  

Nous contactons alors un des responsables du projet pour en savoir plus. Nos questions pourtant simples, semblent le déranger. Ce jour-là, le mercredi 27 février, on nous affirmera qu’il y a bien «une société juridique, qui est légale en France». Etrangement, notre interlocuteur affirme ne pas avoir en tête le nom qu’ils auraient donné à cette entreprise et refusera de nous donner le Kbis* ou un identifiant.

Nos échanges avec les porteurs du projet se poursuivent laborieusement plusieurs jours durant. Les informations sont distillées au compte-goutte, on nous renvoit vers le cabinet d'avocat, qui invoque à son tour le secret professionnel... On apprend tout de même qu'une entreprise est en cours d'immatriculation à Malte qui aura pour mission de «bancariser et donc de convertir les etherum, bitcoin ou n’importe quelle cryptomonnaie en euros». Le 5 mars, on nous communique enfin un premier numero d'immatriculation qui s'avère être celui du business center à Paris où ils viennent de domicilier la société Zeencoin7, reprenant étrangement l'ancienne dénomination de leur cryptomonnaie. 

Nous nous procurons sur le site du greffe du Tribunal de Commerce de Paris les statuts constitutifs de l’entreprise, qui s’avère être une SASU* (Société par actions simplifiée unipersonnelle). Le président de la société n’est autre que Mossaab Tazi, âgé de 21 ans et fils du docteur El Hassan Tazi, qui était conseiller du Zeencoin et qui avait pris ses distances avec le projet après l’éclatement de l’affaire.

Un constat sans appel 

Sur les documents, il est indiqué que le capital de l’entreprise n’est que de 1 000 euros. Si le montant du capital peut paraître faible pour une entreprise censée lever 15 millions de dollars, le plus étrange est la date du dépôt d’acte, qui date du jour où l’on nous a fourni l’identifiant, soit le 5 mars, alors que les responsables ne cessaient d'affirmer que l'entreprise existait depuis fort longtemps.

Une chose est sûre, Karim Benabdelkader a été «jeté par-dessus bord, parce qu’il a été attaqué», nous assure-t-on en interne, avant de préciser qu'«il reste un membre actif, un influenceur et un bon ami du projet Zynecoin». Si le sulfureux patron de Applinum, interdit de gérance en France après avoir laissé une ardoise de plus d'un million d'euros, n'a plus de fonction officielle, Mossaab Tazi assume désormais l'entière responsabilité juridique du projet.

De nos échanges laborieux, on retiendra que la société Zeencoin7 a été créée dans la précipitation après nos questions insistantes. Pourtant, le site officiel du Zynecoin affiche -jusqu'à aujourd'hui- le nom d'une autre société Zyne LTD dont nous n'avons retrouvé aucune trace. Pour ajouter au flou de la situation, l'adresse postale indiquée sur le site n'a de lien juridique avec aucune des deux entreprises. Il semblerait qu'à chaque question, demande de précision, le mystère Zynecoin s'épaissit. 

Alors que les conditions de l'appel à l'argent du public pour le token Zynecoin manquent indéniablement de transparence et de fiabilité, l'équipe basée à Marrakech embraye déjà sur un nouveau projet encore plus ambitieux : la création d'une blockchain* baptisée Wethio et prévue pour ce mois de mars, selon le site. L'un des responsable n'ayant pas froid aux yeux est fier de nous expliquer qu'ils «approcheront les chef d’Etat africains pour demander un partenariat. S'ils acceptent la cryptomonnaie dans leur pays, il leur sera retrocédé 25% des montants échangés sur la blockchain».

Mais pour l'expert européen, interrogé par nos soins, le White Paper* qui doit servir à juger du sérieux technique d'un projet de cette envergure est «très maigre comparé aux nouvelles blockchain, telles que Cosmos, Stellar, ou encore Telegram». Son constat est sans appel : «Le projet de blockchain est tout aussi amateur que leur cryptomonnaie de départ.»

Lexique

Ico (Initial coin offering) : méthode de levée de fond fonctionnant via l’émission d’actifs numériques échangeables contre des cryptomonnaies durant la phase de démarrage d’un projet.

Smart contrat : un contrat intelligent est l'équivalent informatique d'un contrat traditionnel. Il exécute automatiquement des conditions définies au préalable et inscrites dans une blockchain.

Kbis : ou l'extrait K-bis est le document officiel attestant de l'existence juridique d'une entreprise en France.

Blockchain : technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle. Par extension, une blockchain constitue une base de données qui contient l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis sa création.

Token : actif numérique émis et échangeable sur une blockchain.

SASU (société par actions simplifiée unipersonnelle) : une société par actions simplifiée (SAS) constituée par un seul associé. L’associé unique définit les règles d’organisation de la SASU ainsi que le montant du capital social de l’entreprise. Il peut faire des apports en numéraire ou en nature.

LTD  (Limited company) : est une forme juridique d'entreprise, notamment au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande, à Singapour, en Corée du Sud, au Canada (Ltée au Québec) et aux États-Unis d'Amérique, équivalent de la société à responsabilité limitée. 

White paper : un livre blanc est un rapport ou guide destiné à présenter des informations concises sur un sujet complexe tout en présentant la philosophie de l'auteur sur le sujet.

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