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Interview

Santiago Agrelo : «La situation des migrants au Maroc reste liée aux politiques européennes»

Lors de sa prochaine visite au Maroc, le Pape François rencontrera entres autres des migrants au siège de la Caritas diocésaine de Rabat. Santiago Agrelo, archevêque de Tanger depuis 2007, que certains surnomment «l’archevêque des migrants», dit espérer que le Pape se prononce sur cette épineuse question.

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Santiago Agrelo, archevêque de Tanger. / Ph. DR
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Le programme de la visite du Pape François comprend, entre autres, la visite du siège de la Caritas diocésaine de Rabat. Cette visite de grande envergure pourrait-elle permettre d’aborder la situation actuelle des migrants au Maroc ?

La problématique de la migration ne sera pas le thème central, mais ce sujet est important. Pour l’Eglise, la légalité ou non dans laquelle se trouvent ces personnes, qui peuvent êtres des hommes, femmes ou enfants, est une question qui ne la concerne pas. Seule la situation et la question humanitaire l'intéressent. De là, notre préoccupation et la mienne personnellement est la situation dans laquelle vivent ces personnes.

Quand ils réussissent à trouver une porte de sortie pour atteindre la péninsule ibérique, ils l’empruntent en risquant leurs vies. Ceci représente pour l’Eglise un défi préoccupant que je dénonce et regrette depuis de nombreuses années.

Dans ce sens, j’espère que le Pape François, qui a toujours eu des discours accueillants envers les migrants et demandé aux autorités locales des pays qu’il visite d'ouvrir des chemins pour les migrants pour qu’ils puissent transiter, aborde cette question avec le Maroc. J’espère dans ce sens qu’il pourra en parler, bien que ça ne soit pas le thème central.

Vous avez récemment publié «Outrage au silence», qui est une recompilation d’articles et de réflexion qui vous «taraudent l’esprit depuis plusieurs années». A quel silence vous référez-vous ?

C’est un livre pour la rupture de ce silence ambiant qui entoure la situation des migrants. Les sociétés, les autorités et les médias couvrent d’un voile le sujet de la migration. Il est important de souligner qu’en Espagne, le gouvernement a imposé une omerta sur les sauvetages maritimes dans la mer d’Alboran. Au niveau des frontières et près des clôtures de Ceuta et Melilla, il n’y a pas de journalistes depuis plusieurs années.

L’information est véhiculée par les autorités, que ce soit espagnoles ou marocaines, et cela va de soi que ces informations ne soient pas totalement fiables. C’est dans ce sens que je parle d’un silence autour de la situation migratoire.

De la parole, vous avez même pensé à un passage à l’acte. Vous avez déclaré vouloir vous embarquer dans une patera et mourir en mer…

Cette idée ne m’est pas venue juste lors d’une conférence. Je l’ai eu à Tanger. Pour moi, s’il fallait informer le grand public sur la mort d’un archevêque en mer, l’information ne passerait pas inaperçu, comme cela se produit avec les nombreuses morts enregistrées dans le détroit de Gibraltar. Ce serait une façon de rendre visible le drame des migrants cette zone de la méditerranée.

Seulement, si un archevêque s’embarque dans une patera ou un zodioc dans les mêmes conditions, je vous assure qu’on l’accusera d’être un trafiquant d’êtres humains. Le message que j’aurai voulu transmettre serait donc finalement effacé et remplacé par un mensonge ou une calomnie.

Vous êtes au Maroc depuis 2007, y a-t-il eu un quelconque changement qui se serait opéré ces dernières années selon vous ?

Mon sentiment, qui peut être croisé avec plusieurs faits réels, c’est que depuis les douze années de ma présence au Maroc, la situation des migrants n’a fait que s’empirer. Un triste constat qui s’est toujours produit parallèlement à la dégradation des politiques européennes envers la migration.

Au Maroc, le migrant se sent un peu mieux ou moins bien. Cela dépend finalement si les politiques européennes sont plus ouvertes ou restrictives. De ce fait, les migrants avaient connu au Maroc des situations plus paisibles, lorsqu’ils pouvaient mendier ou demander à des automobilistes en direction de Ceuta de les emmener. Seulement, depuis des années, ils ne peuvent plus faire tout cela.

De plus, la police peut à n’importe quel moment les arrêter et les renvoyer, sans qu’aucun avocat ne soit présent et sans qu’un juge ne puisse les écouter, pour savoir pourquoi ils sont au Maroc, ce qu’ils cherchent ou ce qu’ils fuient. Ils sont ainsi dans une situation d’extrême vulnérabilité. C’est pourquoi notre église tente d’être à leur côté et de les écouter.

Le diocèse de Tanger a créé en 2011 la délégation diocésaine des migrations, qui vient en aides aux migrants. Quels sont les plans d’actions dans lesquelles intervient cette entité ?

La délégation a été créée exclusivement pour venir en aide aux migrants en transit au Maroc. Elle agît sur trois volets, principalement l’aide direct aux migrants grâce à la distribution de repas, une assistance sanitaire et la scolarisation des plus jeunes. Le deuxième volet est relatif à l’accompagnement psychologique qui est mis en place, grâce à plusieurs personnes qui sont présentes tous les jours et qui accueillent quotidiennement cette population dans la crypte de la cathédrale de Tanger.

Le troisième volet concerne la sensibilisation, qui se fait à l’église, à travers des expositions, des présentations d’ouvrages et de pièces de théâtre.

Pour moi, un changement dans les politiques des pays ne peut se faire que s’il y a un changement dans le regard que porte la société sur ce sujet.  

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