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Interview

Monde arabe : Quand les mariages de la jeunesse répondent à des impératifs religieux

L’anthropologue marocain Chakib Guessous, auteur de «Mariage et concubinage dans les pays arabes» (La Croisée des Chemins), revient sur les différentes formes de mariage observées dans plusieurs pays arabes, miroirs de l’évolution de ces sociétés et des aspirations de sa jeunesse.

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Photo d'illustration. / DR
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Quelles nouvelles formes de conjugalités observez-vous dans le monde arabe ?

Il y a d’abord le mariage coutumier, c’est-à-dire qui n’est pas enregistré. Il se conclut entre deux personnes en présence de deux témoins, conformément aux obligations de validité du mariage dans la religion musulmane. Ici au Maroc, nous avons toujours eu ce type de mariage. Avant, il se concluait en présence de tout le douar et les témoins étaient dignes de foi. Aujourd’hui, ils ne le sont pas forcément. Ça peut être des étudiants, par exemple, qui décident de s’unir par les liens d’un mariage coutumier et qui, en guise de témoins, ramènent des étudiants qui sont en cours avec eux… Et les familles ne sont pas avisées.

Sur le plan législatif, le Maroc a ouvert une possibilité dans le Code de la famille pour reconnaître cette forme de mariage coutumier, mais il faut ramener des preuves… La preuve d’une fête où il y a du monde, les douze témoins au tribunal… Or, ici les témoins sont de jeunes étudiants, alors qu’avant, c’était des personnes âgées respectables… Mais je ne dis pas que les jeunes ne sont pas respectables !

En Egypte, il y a également cette forme de mariage (le mariage orfi) et là, les unions sont établies en présence des deux familles. Avant, vu que les gens n’avaient pas toujours la possibilité d’aller s’enregistrer, surtout dans les régions rurales, il fallait acheter un formulaire dans le commerce et le remplir. Les deux mariés signaient, ainsi que les deux témoins. En règle générale, c’était un exemplaire unique qui faisait foi et mentionnait une dote de tel montant. Aujourd’hui c’est la même chose mais sans les familles ; ce sont des mariages qui se font en catimini.

Et il y a deux autres formes : le mariage de plaisir et le misyar...

La deuxième forme de mariage date des temps préislamiques : deux personnes qui se rencontrent et décident de s’unir pour un moment donné. Ce sont les mariages dits de plaisir. A l’issue de la période impartie, le mariage est dissout sans nécessité de faire un acte de répudiation du divorce. Ils peuvent durer trois semaines, comme trois heures, comme 99 ans ! En Iran aujourd’hui, ces mariages sont valables et reconnus. Les chiites disent que l’on n’est pas un vrai chiite si l’on n’a pas pratiqué une fois ce type de mariage.

Enfin, il y a les mariages misyar, qui se traduit par «mariage du voyageur». C’est une formule qui a été créée dans les années 1990 par les théologiens des pays du Golfe, face à tous ces jeunes qui ne pouvaient avoir de relations sexuelles, et les femmes veuves ou divorcées. Ce sont des mariages tout à fait classiques, à condition seulement que la femme accepte de ne pas exiger de son mari deux obligations maritales : la cohabitation et l’entretien.

Comment les couples conjuguent impératifs religieux et ceux qui relèvent de l’affectivité et de la sexualité ?  

Chez les jeunes, il y a effectivement des besoins affectifs et sentimentaux. Ils pratiquent ces formes de mariage pour répondre aux impératifs religieux. Quand on analyse tout cela, on se rend compte qu’il y a quelque chose qui ne répond pas parfaitement au mariage tel qu’il est décrit dans la religion musulmane. En Tunisie, lors du Printemps arabe, on a vu des jeunes se marier sans avoir de témoins, par une sorte de contrat oral. Or un mariage sans témoin, dans l’islam, est considéré comme nul.

Quelles peuvent être les dérives ?

En règle générale, les gens se marient pour avoir des enfants. Or ici, les gens ne se marient pas dans ce but-là, mais parce que le fait qu’ils soient mariés les protègent sur un plan religieux. C’est surtout cela qu’ils veulent… mais les enfants, il peut y en avoir. Et quand le mari ne les reconnaît pas, la femme a beaucoup de mal à faire reconnaître la paternité de son enfant.

Au Maroc, dans les associations qui prennent en charge les filles-mères, on se rend compte que nombre d’entre elles ont été mariées à des hommes qui les ont abandonnées lorsqu’elles ont été enceintes. En Egypte par exemple, il y a beaucoup d’enfants dont les pères viennent d’Arabie saoudite. Il n’y a aucune protection, ni pour l’épouse qui peut être abandonnée du jour au lendemain, ni pour l’enfant.

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