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Interview

Najat M’jid et l'urgence de «saisir les services sociaux pour l'accueil des mineurs migrants»

Spécialiste des droits de l’enfant auprès de l’ONU, fondatrice de l’association Bayti pour l’accueil des mineurs en errance, Najat M’jid revient auprès de Yabiladi sur la question de leur protection en situation de mobilité. Elle rappelle que les dispositions internationales en la matière doivent accompagner leur évolution.

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Najat M’jid, spécialiste des droits de l’enfant auprès de l’ONU et fondatrice de l’association Bayti pour l’accueil des mineurs en errance. / Ph. wikipeacewomen.org
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En Europe, des mineurs étrangers en errance, dont des Marocains, sont soumis à des examens osseux, malgré l’avis de médecins et d’avocats qui lui reprochent un taux d’erreurs élevé. Jusqu’à quelle mesure cette expertise respecte l’intérêt supérieur de l’enfant ?

La détermination de l’âge reste en effet problématique. Etant médecin pédiatre, j’affirme que l’on ne peut pas déterminer précisément cet âge par un examen osseux des poignets et une radio panoramique dentaire. Il y a des écarts majeurs. Des jurisprudences ont été faites, où la détermination était explicitement soumise au doute qui doit bénéficier à l’enfant.

L’autre aspect de cette question est que les pays européens qui recourent à l’expertise osseuse sont tellement dans une approche sécuritaire que même lorsque les enfants ont leurs papiers authentifiés, ils ne sont pas reconnus. La crédibilité qui leur est donnée n’accompagne pas l’importance de respecter leur l’intérêt supérieur.

Si on voulait réellement en tenir compte, le premier débat qui doit primer est celui de prioriser le statut d’enfant à celui de migrant. Or, au niveau des frontières, ce sont les services migratoires qui interviennent et non pas les services sociaux, notamment dans les espaces de rétention.

Le Maroc refuse officiellement la construction de centres de rétention des migrants, au moment où des centres d’accueil sont en cours de mise en place, notamment celui de Marrakech, à rebours des Affaires étrangères marocaines. Quel est le poids du Pacte de Marrakech dans cette configuration ?

Il faut savoir que ce Pacte précise bien que la privation de liberté ne doit pas avoir lieu et si elle est envisagée, elle doit être vraiment un dernier recours. Donc la rétention administrative et la détention des enfants n’a pas lieu d’être, en vertu de ce texte qui reste non contraignant, mais qui se réfère à la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), que tous les pays ont ratifiées à part les Etats-Unis. Maintenant, le débat de fond se fait dans le cadre de pressions de l’Union européenne.

Dans ce contexte, nous avons entendu débattre de la mise en place de structures pour ces migrants par les collectivités locales. Ces dernières appellent ces bâtiment «centre d’accueil» et non pas de rétention, mais tout dépend de ce qui y sera mis. Si c’est un centre ouvert qui assure protection, accès aux soins et hébergement décent aux migrants, c’est louable. En revanche, je n’ai encore aucune idée du contenu de ce projet, ni de son cahier des charges.

Je rappelle que le Maroc a un mémorandum de rapatriement des enfants qui, normalement, doit se faire selon les principes de protection internationale de l’enfants, à savoir un retour concerté et volontaire avec une garantie de solutions durables pour chaque cas. Dans ce cadre, il y a eu depuis des années une coopération avec l’Entraide nationale pour créer des structures d’accueil, qui n’ont pas vu le jour.

Cette protection pourra-t-elle être assurée efficacement, au moment où l’externalisation des frontières européennes en Afrique suit son cours ?

Il faut voir ce que l’on entend par l’externalisation des frontières. Si c’est pour assurer la sécurité, c’est l’approche répressive qui va primer. Le cœur du débat pose surtout la question des refoulements qui se font de plus en plus aux portes de l’Europe et parmi les ressortissants expulsés, il y a des mineurs et des adultes tout âge confondu. Je pense que la position du Maroc sera cependant maintenue, car créer des centres de rétention pour les migrants est une folie furieuse.

Nous avons adopté une politique migratoire basée sur les droits de l’Homme. Mettre en place de telle structure est antinomique avec la démarche officielle et avec les mécanismes internationaux. Il est hors de question que le Maroc devienne un centre de rétention qui accueille tous les migrants dont l’Europe ne veut pas. En tant que militants des droits des enfants, nous allons veiller à ce que cela ne se produise pas à travers un plaidoyer, d’autant plus que le Pacte de Marrakech le stipule bien.

Si le Maroc agit en contradiction avec ces principes, ce sera complètement schizophrène : une circulaire pour que les enfants migrants soient scolarisés est publiée, nous nous battons pour que les familles soient protégées, deux campagnes de régularisation ont été lancées, nous avons des enfants qu’on accueille au niveau des associations, avec la collaboration de la justice. Donc, cela est incohérent et inadmissible de créer des centres qui serviront à la rétention. Ce n’est rendre service ni aux enfants ni aux migrants.

Comment peut-on mettre en place des mécanismes de protection mobiles pour garantir les droits des enfants migrants en errance dans ce contexte ?

Pendant mon mandat de rapporteuse des Nations unies pour les droits des enfants, de 2008 à 2014, nous avons fait une étude sur les mécanismes de protection transnationaux des enfants en situation de mobilité, avec huit ONG et agences internationales de migration. Toute la problématique est dans la manière avec laquelle il faudra créer une coopération internationale dans ce sens, comme repris aujourd’hui dans le Pacte. Nous avons identifié à l’Afrique de l’Ouest tout un circuit analysé pour comprendre ce qui se fait. Le challenge de créer un mécanisme de protection se voulant transnational est qu’il y ait une collaboration réelle qui n’implique pas uniquement les autorités chargées de la gestion des migrations, mais également une assistance sociale, une synergie des ONG, des polices et des justices et une coopération des représentations consulaires. Le processus pour mettre en œuvre un tel projet reste long.

Dans le cadre de la CEDEAO, des procédures de prise en charge et de protection des enfants ont été mises en place avec tout un réseau régional. Nous réfléchissons aujourd’hui aux possibilités que peut avoir le Maroc pour créer un lien avec ce réseau-là. Il en existe de manière informelle, mais ce qui reste dur est la traçabilité des familles dans les zones en conflit et il faut donc créer un système d’information efficace.

Si nous arrivons à suivre l’itinéraire de ces enfants et à les informer sur leurs droits et sur les points de protection présents sur leur parcours, ce sera la meilleure des choses. Mais cela demande en revanche de grand moyens humains et matériels et ne pourra se faire du jour au lendemain.

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