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Grand Angle  

Intégration à la CEDEAO : Le CESE apporte sa contribution

Le CESE a annoncé hier son intention de produire à son tour un rapport économique sur les leviers d’approfondissement de l’intégration économique du Maroc à la CEDEAO. S’il s’agit toujours de lever les réticences dans la sous-région, la réflexion autour des intérêts du Maroc reste limitée.

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Rencontre du CESE à Rabat, le 27 septembre 2018 / Ph. CESE
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Dans le silence total qu’impose aujourd’hui la CEDEAO sur la question de l’intégration du Maroc à la Communauté, les institutions marocaines se prononcent une à une sur le sujet.  Après l’intense lobbying de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) avec l’Institut Amadeus auprès des communautés d’affaires d’Afrique de l’Ouest et le rapport du ministère des Finances «Echanges commerciaux Maroc-CEDEAO : opportunités par pays et par produits» publié en mai 2018, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a annoncé à son tour, hier, son intention de réaliser un rapport dans ce sens.

Plus qu’une étude d’impact, il s’agit surtout de «rechercher les différentes manières d’approfondir l’intégration économique du Maroc à la CEDEAO», explique Ahmed Rahhou, président de la Commission économique du CESE.

«Je pense en particulier qu’il serait intéressant de développer une politique économique par filière à l’échelle régionale. Par exemple, les ‘textiliens’ marocains maîtrisent la confection et se développent en amont à travers des marques tandis que des pays de la CEDEAO produisent du coton. A l’origine, les plans de développement de la filière au Maroc comprenaient de la filature. On a perdu cet aspect, alors pourquoi ne pas développer une intégrée à l’échelle de la région?»

Ahmed Rahhou, président de la Commission économique du CESE

Le Maroc, un concurrent redoutable ?

Les hommes d’affaires des pays membres de la CEDEAO craignent que la puissance industrielle du Maroc détruise ou tue dans l’œuf leur propre industrialisation. Dans ce sens, le secrétaire général du CESE, Driss Guerraoui, énumère les raisons derrière ces inquitudes. Il considère que les réticences à l’intégration marocaine sont de trois ordres. D’abord, «le premier accord de principe des Etats membres a donné l’impression aux populations d’une décision à marche forcée, précipitée».

D’autre part, il existe selon le responsable «tendance à surévaluer la puissance du secteur privé marocain et redouter son hégémonie, d’autant plus que l’on entend certains accuser l’Etat marocain de subventionner ses produits». Enfin, «certains se demandent à quel degré les accords de libre-échange du Maroc avec ses autres partenaires pourraient impacter leur propre marché».

Cependant, cette opinion serait minoritaire, selon le sondage réalisé par le cabinet «Opinions des régions» et l’Institut prospectives et sécurité en Europe, entre le 15 juin et le 15 juillet 2018, auprès de 20% des 1783 députes des 15 pays de la CEDEAO. Ces derniers confirment que la vocation de la CEDEAO est de devenir un espace de libre-échange et de libre circulation. 42% estiment que son premier objectif est la circulation des biens et 38% la circulation des personnes.

Dans ce contexte, le fait que la CEDEAO ait donné son accord de principe à l’adhésion du Maroc est «une très bonne décision qui va renforcer la puissance et l’attractivité de la zone» pour 75% d’entre eux, mais 25% estiment que c’est une dimension «qui aurait nécessité plus ample réflexion».

«La dimension économique n’est pas la seule à jouer en faveur de l’adhésion du Maroc. Ainsi, l’Algérie, dont le PIB est supérieur à celui du Maroc, ne serait pas la bienvenue dans la CEDEAO. Seuls 32% des parlementaires seraient plutôt favorables à lui donner le statut d’Etat observateur.»

Emmanuel Dupuy, président l’Institut prospectives et sécurité en Europe

Une proposition appuyée par les Etats de la région

De son côté, le patron du Conseil économique, social et culturel malien, Boulkamoum Haïdara, partage l’avis des 75% et défend avec vigueur l’adhésion du Maroc. Pour lui, «il ne peut en être autrement». Le responsable souligne par ailleurs que»chaque partie doit évaluer les avantages et les risques de cette intégration, sachant qu’elle profitera à la sous-région». Haïdara va même à soutenir que les réticences observées quant à l’adhésion du royaume «n’ont pas beaucoup d’importance».

«Il faut seulement sensibiliser, faire de la pédagogie car dans beaucoup de domaine il n’y a aucun problème. Avec un peu d’effort, nous parviendrons à convaincre car l’intégration du Maroc n’est pas souhaitée. Elle est attendue!»

Boulkamoum Haïdara, président du Conseil économique, social et culturel malien

Ainsi, les efforts du CESE sont-ils résolument tournés vers la défense de l’intégration du Maroc à la CEDEAO. Il n’est pas question d’une étude d’impact propre, comme l’appelait de ses vœux l’économiste Mohammed Harakat, dans l’un de nos précédents articles et alors même qu’il s’agit d’une obligation légale. Depuis le premier janvier 2018, tous les projets de lois - et à fortiori la signature d’un accord de libre-échange ? - sont pourtant soumis à la réalisation d’une étude d’impact. Toutefois, le ministre de l’Indusie et du commerce assurait récemment à la presse que le chef du gouvernement ne l’avait pas mandaté pour en réaliser une.

Le fait que la décision d’intégrer la CEDEAO vienne du Palais royal et que le Maroc serait plus développé que ses éventuels partenaires continentaux semble tenir lieu de réflexion sur les intérêts du royaume. Pourtant, comme le rappelle le directeur général de l’Institut royal des études stratégiques (IRES), Tawfik Mouline, il y aurait matière à débat.

«Pour le Maroc, je pense qu’il y a trois risques à s’associer à la CEDEAO: l’instabilité politique de la région pourrait affecter le pays, mais est-ce une raison suffisante pour ne pas rejoindre la CEDEAO ? Je ne pense pas. Il y a un risque lié à la libre circulation des personnes qui est appliquée dans la CEDEAO. Cela pourrait mettre en difficulté nos partenaires européens, notamment.»

Tawfik Mouline, directeur général de l’IRES

Le représentant de l’institut se pose plusieurs questions, notamment sur le fait d’être «obligé» ou non «d’appliquer intégralement le principe de libre circulation dès notre entrée dans la CEDEAO». «Je pense qu’une entrée progressive pourrait permettre de résoudre cette difficulté», indique-t-il, tout en exprimant ses réserves sur un autres aspect : «le troisième risque est monétaire : la CEDEAO prévoit de se doter d’une monnaie unique, mais je n’y crois pas. L’UE a mis des années avant d’en arriver à cette étape.»

En somme, Tawfik Mouline estime que cette adhésion «nécessitera de revoir toutes nos politiques publiques à l’aune de cette nouvelle dimension», révélant tout de même une partie des enjeux de ce processus pour le Maroc.

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