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Interview

«Créer une banque d’ADN au Maroc pour retrouver les enfants volés est urgent» [Interview]

Volé à sa naissance dans l’hôpital de Berkane, Brahim Kermaoui vit aujourd'hui en France. Il découvre la vérité à 14 ans. Du haut de ses 39 ans, il est déterminé à rallier la France au Maroc en vélo, en passant par l’Espagne, pour sensibiliser sur la situation de milliers de personnes comme lui.

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Brahim Kermaoui lors de son périple / Ph. Brahim Kermaoui
Temps de lecture: 4'

Pourquoi un périple à vélo entre la France et le Maroc ?

Il y a bien longtemps, j’ai effectué 700 kilomètres à vélo depuis Bordeaux, pour rallier finalement l’île de Groix. Mon livre paru en 2015 retrace cette histoire et en la relisant, il y a deux ans, je me suis demandé pourquoi ne pas rejoindre cette fois-ci le Maroc, en traversant la France et l’Espagne, pour enfin rencontrer le roi Mohammed VI et sensibiliser, chemin faisant, sur ma situation comme celle de tous les enfants volés à leur naissance.

En préparation, j’ai entendu dire que le roi Mohammed VI était en France. J’ai donc tenu à le rencontrer pour lui parler de cette question. Nous nous sommes rencontrés au cours de l’une de ses sorties à Paris, mais nous n’avons malheureusement pas pu discuter.

Entre temps, j’ai pu trouver un sponsor qui m’appuie actuellement dans mon projet de traversée à vélo. Il s’agit d’un Marocain résidant à l’étranger, lui-même désireux d’adopter un enfant. Ainsi j’ai fait le départ dans la matinée du 30 juillet dernier depuis les Champs-Elysées et je me trouve actuellement à Madrid.

En 2015 justement, vous avez publié «L’enfant égaré», un livre retraçant votre biographie. Comment avez-vous découvert la vérité ?

J’avais toujours pensé que mes parents étaient séparés et que je vivais en France avec ma mère. Enfant, cette situation de séparation, surtout que ma mère adoptive était souffrante, avait un grand impact sur moi. A un moment, je n’allais presque plus à l’école et je recevait peu d’attention de ma mère, ce qui avait poussé une assistante sociale à me présenter devant un juge pour enfants. Il décida alors de me placer à la DASS à l’âge de 10 ans.

Quatre ans plus tard, lorsque je rendais visite à ma mère adoptive, j’avais été violemment agressé par son frère, ce qui mena à mon hospitalisation pendant un mois. La mère avait dû être convoquée par mon éducateur, qui lui expliquait la gravité de ma situation en lui rappelant certaines obligations de me protéger au moment des visites. C’est là qu’elle lui avait lancé que je lui coûtait cher, qu’elle ne voulait plus de moi et que de toutes les façons, je n’étais pas son fils. Elle m’avait juste adopté et en l’apprenant ainsi, j’étais effondré.

C’est ainsi que je restais au foyer jusqu’à l’âge de 19 ans, d’autant plus que mon père adoptif refusait de me reprendre, ayant refait sa vie après avoir quitté ma mère adoptive.

Quelles démarches avez-vous suivies pour en savoir davantage ?

Pendant mon adolescence, j’ai sombré dans l’alcool et dans la délinquance. A l’âge de 20 ans et au lendemain de ma sortie de prison, j’ai choisi mon droit chemin dans l’islam. Dans cette nouvelle quête, je me suis rendu à l’évidence qu’il était important de savoir, même d’un point de vue religieux, qui étaient mes parents et d’où je venais. Je me suis donc rendu à Berkane pour rencontrer la famille de ma mère adoptive, où j’ai appris, après maints efforts, qu’un bébé avait effectivement été adopté à l’hôpital de Berkane, quelques jours après le décès d’un nourrisson. Ce bébé était moi et je porte le nom de celui qui est mort.

Au décès de mon père adoptif, en 2009, sa famille m’a contacté concernant l’héritage, dont j’ai été évincé, même si j’étais reconnu sur le livret de famille. Dans le temps, une assistante sociale à l’hôpital a même fini par m’avouer qu’il y avait un trafic de bébés dans les années 1970 et 1980 dans notre région. J’ai vu un juge et une avocate, qui m’a expliqué que ce dossier était très difficile et m’a conseillé d’aller vers le roi Mohammed VI, puisqu’il est le seul à pouvoir le régler.

Travaillez-vous aujourd’hui avec d’autres personnes dans la même situation que vous ?

Mohamed Ali Bennani est un exemple de réussite qui prouve que toutes les démarches que mènent aujourd’hui les enfants volés pour retrouver leurs parents payent. Aujourd’hui, il se bat pour porter le nom de son père naturel et nous sommes plusieurs à travailler étroitement sur l’ensemble de cette problématique. J’ai également été contacté par trois femmes qui m’ont expliqué vivre la même situation que moi. Par ailleurs, une mère m’a confié avoir perdu son fils, en 1984, dans des circonstances troubles et elle considère être victime de ces réseaux. Elle est déterminée à retrouver son enfant mais elle a besoin d’aide.

Un jeune homme est également venu vers moi, me racontant que son frère avait disparu ainsi à sa naissance, il y a plus de vingt ans, sans pouvoir définir s’il était véritablement mort ou s’il avait été remplacé. Ce tord doit être réparé et pour ce faire, nous pensons que la solution commence par la création d’un bureau, avec sa cellule de communication, afin de centraliser les noms de tous ces enfants-là. Ce sera une première au Maroc.

Avez-vous trouvé une réponse du côté des autorités marocaines ?

Beaucoup de médias commencent à parler de notre situation, ce qui est positif. Les gens ont de moins en moins peur de s’en saisir. Mais ce qui me fait mal au cœur, c’est que cette réactivité se limite aux médias justement, puisque l’Etat n’aborde pas encore ces affaires.

Il y a quelques année, j’ai fait parler de mon cas sur 2M, dans le cadre de l’émission Moukhtafoune. Après ce passage, les journalistes de l’émission ont été débordés par des milliers d’appels concernant le trafic d’enfants qui a sévi ces années-là dans nos hôpitaux. Mais encore une fois, Moukhtafoune est une émission télévisée et c’est au gouvernement marocain de trouver une solution.

Envisagez-vous une action ici au Maroc, auprès des familles qui auraient signalé, dans le temps, la disparition de leurs enfants dans de telles circonstances ?

Je suis convaincu de notre pouvoir, en tant que citoyens, à mener des actions pour faire avancer les choses. Dans ce sens, nous avons essayé de créer une association opérant entre la France, l’Espagne et le Maroc à ce sujet, puisque ces réseaux communs de trafic se sont activés dans les trois pays. Toujours reste-t-il que ce travail ne peut pas se substituer aux rôles des institutions.

Nous allons donc continuer nos actions sur le terrain, jusqu’à faire réagir l’Etat, dans une démarche pacifique qui donnera lieu, je l’espère, à la création d’une banque d’ADN. Nous pouvons nous inspirer des expériences qui ont prouvé leur efficacité dans ce sens, comme celles du Sri Lanka, des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de l’Inde.

Après, si je ne réussis pas à venir à bout de ce projet de mon vivant, je suis sûr qu’il y aura toujours une autre personne dans le même cas que moi pour continuer ce travail. Je reste déterminé à ce que la création d’une première cellule pour répertorier tous ces cas soit un premier et un grand dénouement, pour nous comme pour les familles qui cherchent leurs enfants depuis trente ans maintenant.

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