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Histoire : Yuder Pacha, ancien esclave et conquérant des routes d’or transsahariennes

En 1590, le sultan saadien Ahmed Al-Mansour désigna le militaire espagnol Yuder Pacha pour mener une campagne en Afrique de l’ouest. Grâce à cette conquête, les Saadiens réussirent à contrôler les routes commerciales de l’or et du sel.

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Photo d’illustration / Ph. DR.
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Sixième sultan de la dynastie saadienne, Ahmed Al-Mansour (1578 - 1603) avait le soucis entretenir une relation apaisée avec l’Europe. Plutôt donc que tenter de reconquérir une Andalousie déchue de ses principautés musulmanes depuis 1492, il choisit d’étendre sa zone d’influence au sud, vers l’Afrique subsaharienne. Par ce biais, il réussit surtout à avoir la main sur le circuit commercial de l’or, s’imposant ainsi face à ses homologues européens. Cette mission sera confiée à Yuder Pacha, un chef d’armée qui mena la campagne dans le sud-est, en direction du Mali, sous les ordres du sultan.

Né en 1550 dans la province d’Almeria sous le nom Diego de Guevara, Yuder Pacha, appelé également Jaouad Pacha ou encore Judar Pasha, fut captif des Saadiens (1554 - 1636). Rendu esclave à un bas âge, il fut rapidement enrôlé au service du sultan. En 1590, Ahmed Al-Mansour le désigna pour diriger la conquête du Songhaï (XVe s. - XVIe s.). Ce grand empire ouest-africain, où Tombouctou était un chef-lieu du commerce, était alors déchiré par la guerre civile.

Par sa situation géographique, l’empire du Songhaï constitua un véritable carrefour commercial stratégique / Ph. DR.Par sa situation géographique, l’empire du Songhaï constitua un véritable carrefour commercial stratégique / Ph. DR.

La conquête de l’empire du Songhaï

L’instabilité du Songhaï constitua une occasion en or pour le sultan saadien et son bras-droit militaire. En conquérant la région, ils pouvaient en effet contrôler les commerces de l’or, du sel, du cuir, de la noix de cola ou encore de l’ivoire.

A ce propos, l’historien ghanéen John Coleman De Garft Jonhson consacra une étude intitulée «Gloire africaine : L’histoire de la civilisation nègre disparue» (African Glory : The Story of Vanished Negro Civilization - Black Classic Press - 1986). Dans son écrit, le chercheur indiqua que le 28 février 1591, «Yuder Pacha et son armée s’arrêtèrent sur la rive gauche du fleuve du Niger, dans un village appelé Karabara».

Le chef de l’armée conquérante et ses hommes restèrent brièvement là-bas, avant de prendre la direction de Gao, capitale du Songhaï et véritable ‘mine d’or’. A près de 80 kilomètres de la capitale ouest-africaine, ils se préparaient à commencer la grande bataille. Quant aux hommes de l’empire Songhaï, ils constituèrent rapidement une armée de 18 000 cavaliers et 9 700 membres de l’infanterie, menés par Askia Ishak II, qui gouverna de 1588 à 1591.

L’armée de Songhaï fut guidée par l’empereur Askia Ishak II / Ph. DR.L’armée de Songhaï fut guidée par l’empereur Askia Ishak II / Ph. DR.

Malgré son importance en nombre, l’armée de Songhaï avait peu de matériel et pratiquement pas d’armes à feu, selon le John Coleman De Garft Jonhson. Face à elle, les hommes de Yuder étaient armés jusqu’aux dents et même munis de canons. Ainsi, la bataille de Tondibi eut lieu le 12 avril 1591 et même si l’armée adverse était plus nombreuse, Yuder s’en sortit avec une victoire éclatante. En effet, il «réussit rapidement à poser pied à Gao sans grande opposition», rappelle le chercheur. Yuder repousse ainsi les fidèles d’Askia Ishaq plus au sud, près des cours inférieurs du Niger.

Il s’avança également pour atteindre Tombouctou et Djenné, contrôlant ainsi le circuit commercial transsaharien principal et accomplissant la mission confiée par Ahmed Al-Mansour. Cependant, la santé des combattants ne tarda pas à souffrir des séquelles de cette lutte ainsi que du climat.

Retour à Marrakech

Selon l’historien ghanéen, «l’armée de Yuder Pacha souffrit de maladies tropicales, à tel point que le chef songea sérieusement à se réconcilier avec l’empereur qu’il avait chassé de son fief». Plus de 400 hommes de Yuder périrent ainsi, ce qui poussa ce dernier à tenter de limiter les dégâts. A cet effet, il entreprit les démarches nécessaires auprès d’Ahmed Al-Mansour pour conclure un traité de paix avec Askia Ishak II.

Grâce à la prise de Tombouctou, les Saadien contrôlèrent le commerce transsaharien / Ph. DR.Grâce à la prise de Tombouctou, les Saadien contrôlèrent le commerce transsaharien / Ph. DR.

Plusieurs sources historiques suggèrent que Yudar changea d’avis rapidement, décidant finalement de rester dans le Sahel. Mais le sultan saadien, lui, avait déjà un autre projet. Il «voulait un leader, avec plus de vigueur, plus fort que le Pacha», indiqua John Coleman De Graft Johnson. Ahmed Al-Mansour voulait en effet un guerrier plus féroce que cet allié qu’il ne percevait plus comme un véritable homme de fer.

En somme, le sultan voulait un chef d’armée, prêt à arracher à la population du Songhaï ses magasins d’or. Il nomma alors Mahmud ben Zergun pour remplacer Yuder, mais ce dernier refusa de se plier à la décision. «Il ne fut pas intimidé par le choix du sultan, répondant par écrit qu’un homme d’expérience militaire était nécessaire» pour affirmer la présence saadienne dans la région, comme le rappelle l’historien américain Comer Plummer III dans son livre Conquistadors of the Red City : The Moroccan Conquest of the Songhay Empire (Lulu.com, 2018).

«Exaspéré, le sultan envoya Ammar Pacha à Yuder, pour lui ordonner de revenir ‘même si la terre serait en flammes’», rappelle Plummer. N’ayant plus le choix, le missionnaire quitta le Sahel pour Marrakech, le 27 mars 1599, laissant derrière lui une grande instabilité.

Territoire de l’empire saadien à son apogée / Ph. DR.Territoire de l’empire saadien à son apogée / Ph. DR.

Un nouveau pacha remplaça ainsi Yuder, dès l’arrivée de celui-ci à la cité ocre. C’est là-bas que le militaire déchu fut assassiné, huit ans plus tard, sous les ordres de Moulay Abdellah, un membre de la dynastie saadienne. Il n’en resta pas moins que c'est grâce à cette conquête, entreprise par Yuder Pacha et permettant de contrôler les routes commerciales sahariennes, qu’Ahmed Al-Mansour fut connu comme ‘Al-Mansour Addahbi’ (le sultan d’or). 

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