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Grand Angle

Violences envers les femmes au Maroc : Des lois déconnectées de la réalité ?

Silvia Gagliardi, chercheuse au Centre des droits humains à l’Université nationale d’Irlande, souligne le manque de cohérence entre l’arsenal législatif en matière de lutte contre la violence faites aux femmes et la réalité vécue par de nombreuses Marocaines.

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Une campagne de sensibilisation contre la violence conjugale au Maroc. / Ph. Human Rights Watch
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Plus de dix ans après la promulgation de la Moudawana, le 10 octobre 2004 par le roi Mohammed VI, l’arsenal législatif contre la violence faites aux femmes a-t-il enregistré de réelles avancées ? Pas sûr. Silvia Gagliardi, chercheuse au Centre des droits humains à l’Université nationale d’Irlande (Galway), a recueilli les témoignages de soixante femmes, passé au crible le cadre juridique marocain relatif aux violences de genre et étudié les politiques mises en œuvre depuis la fin des années 1990, d’après le site Tafra.

Les témoignages des femmes trahissent le «fossé» qui sépare le cadre juridique de la réalité vécue quotidiennement par de nombreuses femmes. «J’ai moi-même été victime de violence avant de divorcer. Maintenant, je suis encore une fois maltraitée par les enfants de mon mari. (…) La police m’a dit que ce n’était pas leurs affaires. C’est l’affaire du tribunal. (…) Oui, je suis allée au tribunal mais, comme je vous l’ai dit plus tôt, ils ne s’en souciaient pas parce que mon mari avait de l’argent et que j’étais une femme pauvre. Je n’ai pas assez d’argent et c’est pourquoi ils ne se souciaient pas de moi», raconte l’une d’elles, originaire de la région d’Aït Baha (Souss-Massa). Force est de reconnaître que si des efforts ont bien été entrepris sur le front juridique, l’application de ces dispositions peine encore à se concrétiser.

Malgré les encouragements de l’ONU, les chiffres restent inquiétants

Preuve en est de l’augmentation du nombre de mariages des mineures dans les huit années qui ont suivi l’adoption du code la famille, en 2004, passant de 7% à 12%. D’après une étude du Haut-Commissariat au plan (HCP) en 2012, 36 000 dérogations ont ainsi été acceptées par les juges. La plupart des femmes sollicitées par Silvia Gagliardi sont unanimes : la nouvelle Moudawana a eu un impact très limité sur la polygamie et le mariage des mineures.

«Une chose qui me brise le cœur, c’est que les filles mineures se marient et que les familles en sont heureuses. Même si les filles vont au tribunal et que les juges leur demandent si elles comprennent ce que signifie le mariage et leurs devoirs, quelle que soit leur réponse, leurs pères donnent de l’argent au juge et ils marient tout simplement leurs filles. Certaines d’entre elles se marient, puis enregistrent le mariage après», témoigne une autre, dans la région de Rabat.

En 2013, l’ONU était pourtant optimiste. «Le Maroc est parmi les premier pays à avoir accordé un intérêt particulier à la lutte contre les violences faites aux femmes et ce grâce aux efforts de différents acteurs nationaux notamment les départements gouvernementaux, le parlement, les organisations de la société civile, les chercheurs et les médias», soulignait un rapport de la commission onusienne sur la condition de la femme.

Seulement voilà, dans son «enquête nationale sur la prévalence de la violence à l’égard des femmes», le HCP révélait en 2011 que 6 millions de Marocaines (62,8%) avaient subi un acte de violence au cours de l’année précédente (mais que seuls 17,4% des cas étaient rapportés à une autorité compétente). Cinq ans plus tard, en 2016, les chiffres étaient toujours aussi peu rassurants : plus de 60% des femmes sondées affirmaient encore avoir été directement confrontées au phénomène de la violence, tandis que 60% des hommes déclaraient ne pas voir d’inconvénients à violenter leurs épouses, selon une enquête internationale sur les violences faites aux femmes, réalisée par ONU Femmes dans quatre pays de la région MENA.

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