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Grand Angle

Langues : L’usage de l’arabe est en déclin dans la région MENA

Alors que l’arabe fait partie des dix langues les plus parlées dans le monde, elle serait en déperdition à cause de son usage en déclin. Même les Etats arabes n’échappent pas à cette disparition à petit feu, qui laisse la place à l’anglais ou au français, en plus des dialectes locaux.

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Ph. DR.
Temps de lecture: 6'

A travers la richesse de son verbe, la langue arabe a grandement contribué au développement de la philosophie, de la poésie, des sciences et des arts, pendant plus de 1 500 ans. Aujourd’hui, elle est employée par plus de 420 millions de personnes. Si elle est la cinquième langue la plus parlée dans le monde, elle serait aussi dans une impasse. Il en est de même dans la région MENA, qui est directement concernée. En effet, son usage serait vraisemblablement en déclin pour moult raisons, constate Hossam Abouzahr, fondateur du Living Arabic Project.

A travers cette plate-forme, le chercheur consacre son travail à rendre la langue arabe plus accessible, en développant des dictionnaires d’expressions dialectales pour faire le lien avec leurs variantes ou leurs origines arabes classiques. Il espère ainsi rendre l’arabe standard plus vivant, notamment auprès des nouvelles générations qui le connaissent de plus en plus mal et ont moins accès aux productions écrites dans cette langue.

Enseigner l’arabe dans les écoles n’est plus suffisant

Si «les Arabes voient souvent le déclin de la langue classique comme l’échec de leurs nations à défendre cet héritage», Hossam Abuzahr y voit plutôt «un avertissement sur l’affaiblissement de l’infrastructure sociale et le déclin des systèmes éducatifs» de la région dans leur globalité. Il note par ailleurs qu’il n’existe pas de statistiques précises pour appuyer l’hypothèse selon laquelle l’arabe pourrait disparaître à terme, mais que les usages des populations ont évolué dans un sens où cette langue est de moins en moins utilisée dans la vie courante.

En effet, l’arabe classique reste «employé par les médias panarabes, lors des rencontres officielles, dans les discours politiques, les prêches religieux et l’études des textes, ainsi que la littérature». Lorsqu’on évoque le «déclin de l’arabe classique», on se réfère plutôt à son déclin au niveau de l’alphabétisation face à l’usage croissant des dialectes ou des langues étrangères, à cause du difficile accès aux support de qualité, permettant de garder l’arabe classique en vie, explique Abuzahr.

Alors que les taux d’alphabétisation au Moyen-Orient évoluent positivement ces dernières années, à l’exception de l’Irak et probablement de la Syrie, Abuzahr explique que ces données ne permettent pas d’affirmer que les personnes arrivent à améliorer leur niveau en arabe classique. En effet, le chercheur souligne que ces statistiques se réfèrent souvent à «l’alphabétisation fonctionnelle» ou à la «capacité de comprendre une déclaration courte et simple».

Des données qui s’appuient également, selon la même source, «sur des enquêtes utilisant une échelle binaire d’alphabètes et d’analphabètes», au moment où «des questions plus complexes portant sur différents niveaux d’alphabétisation ou sur les ensembles de compétences, comme la capacité de produire (écrire), de dialoguer activement ou de lire des textes avec des difficultés variées, ne sont généralement pas tenues en compte».

C’est là où réside la complexité de la question, puisque si la jeunesse née dans les Etats de la région est mieux instruite, elle a effectivement tendance à employer l’anglais, le français et le dialecte local de son pays ou de sa localité. En janvier 2018, Le Monde diplomatique a repris dans ce sens le quotidien anglophone The National, édité à Abu Dhabi : «Aux Emirats arabes unis, où l’on compte deux cents nationalités, la jeunesse préfère utiliser l’anglais et a de plus en plus de mal à parler et à écrire l’arabe de manière correcte. Malgré sa prévalence dans une région où vivent 420 millions d’individus, l’arabe est en déclin. Plusieurs facteurs expliquent cela : les écoles privées [qui enseignent en anglais] et les médias numériques (…).»

Les Etats arabes produisent moins de livres en arabe

Pour pallier ces difficultés, le gouvernement émirati a lancé l’initiative Bil Arabi (en arabe), pour généraliser l’utilisation de l’arabe sur les réseaux sociaux, comme l’explique The National :

«Cela a du sens quand on sait que 90% des résidents des Émirats arabes unis sont quotidiennement connectés sur [les réseaux sociaux]. L’Arabie saoudite bat aussi le record mondial de fréquentation du site YouTube, avec 70% de sa population qui s’y connecte régulièrement. Bil Arabi, qui sera articulé autour d’événements et de campagnes, s’adresse à la jeune génération en lui proposant de nouveaux contenus [en arabe].»

Le quotidien anglophone The National.

Hossam Abuzahr explique par ailleurs que «le monde arabe ne publie plus que 15 000 à 18 000 livres par an, autant que les éditions américaines Penguin Random House produisent à elles seules». En matière de chiffres également, «la Grèce traduit cinq fois plus de livres en grec que les 22 pays arabes réunis».

Il fut un temps où l’Egypte était le plus grand producteur de livres en arabe dans la région, publiant entre 7 000 et 9 000 par an. Jusqu’aux années 2000, la production était encore en hausse, mais elle a brusquement chuté de 70% après la révolution de 2011. En 2016, elle montrait des signes de reprise, mais sans réussir à décoller réellement.

Par ailleurs, s’ils ne sont pas interdits officiellement, certains ouvrages dans le monde arabe sont rendus inaccessibles par d’autres moyens de contournement, à savoir l’absence de diffusion et d’impression.

Le cas du Maroc

Au Maroc, l’arabe standard est certainement «la langue que l’on ne parle pas», selon les chercheurs Karima Ziamari et Jan Jaap De Ruiter. Dans l’ouvrage collectif Le Maroc au présent – d’une époque à l’autre, une société en mutation, les deux contributeurs indiquent que même si l’arabe standard est reconnu comme langue officielle, plusieurs variétés linguistiques coexistent au Maroc, «ce qui lui confère le statut d’Etat plurilingue».

Les langues utilisées dans le pays sont «l’arabe standard, l’arabe marocain ou darija, l’amazigh, le français, l’anglais et l’espagnol ; elles ne sont pas en usage ou reconnues par les institutions de manière équivalente», indique la contribution des chercheurs. Par exemple, l’amazigh a été constitutionnalisé depuis 2011, mais «les deux langues [officielles] ne sont pas officialisées au même niveau : l’arabe est ‘la’ langue officielle, tandis que l’amazigh est ‘une’ langue officielle», ajoute la même source, précisant que «l’amazigh attend une loi organique pour la mise en pratique de son officialisation».

Dans ce sens, les chercheurs indiquent que le débat sur l’arabe standard au Maroc et celui sur les langues, de manière, globale revêt plusieurs aspects idéologiques :

«Langue non vernaculaire, l’arabe standard, littéral, littéraire ou même fusa, a toujours récolté tout le prestige dont sont dépourvues certaines autres langues au Maroc, notamment l’arabe marocain. D’abord, c’est une langue écrite, et ce caractère scripturaire lui donne un pouvoir particulier allant dans le sens d’une ‘hiérarchisation statutaire des langues’ fondée sur ‘les langues écrites versus langues orales’. Ce qui renforce le rapport diglossique avec l’arabe marocain ou la darija. Ensuite, c’est la langue de la domination sociale et politique, des discours officiels, celle de l’élite, celle qui représente la norme.»

Plus loin, les chercheurs expliquent que «l’arabe standard ‘n’est la langue naturelle d’aucun Marocain’», dans la mesure où il n’a pas de locuteurs natifs. «On l’apprend généralement à l’école. Pourtant, cette langue est présente dans plusieurs domaines, écrivent-ils. Elle est la langue de l’enseignement, du primaire au supérieur, dans la plupart des filières. Elle est aussi la langue des médias, de la presse et de l’administration. C’est la langue du sacré, de l’islam, de la prière et des rituels religieux, celle de ‘la révélation’ et de ‘Dieu’».

Karima Ziamari et Jan Jaap De Ruiter rappellent par ailleurs qu’«en tant que langue dominante», l’arabe standard bénéficie de «l’argument du sacré et du religieux comme de l’argument politique. L’idéologie dominante relative à cette langue, issue du panarabisme, est celle de l’arabisation. Par ‘besoin d’authenticité’, de promouvoir une identité arabe loin de la colonisation, les nationalistes panarabes se sont engagés dans la défense et la promotion de cette langue».

Ceci dit, cette dernière n’a pas bénéficié des outils d’enseignement les plus efficaces à même de la garder en vie, au moment où la politique d’arabisation du système de l’éducation nationale a prouvé ses limites dans les processus d’apprentissage. Dans l’une de ses conférences, l’universitaire, écrivain et critique d’art Abdelfattah Kilito a effectivement indiqué que quelques années avant sa retraite, ses étudiants en master «ne lisaient pas les livres en arabe» et «connaissaient encore moins des auteurs et des intellectuels très connus, cités par plusieurs», au moment où ils avaient des difficultés même dans les autres langues.

De son côté, Moussa Chami, de l’Association marocaine pour la défense de la langue arabe, explique également qu’au lendemain de l’indépendance «[le mouvement nationaliste] a maintenu les écoles françaises et y a placé ses enfants. D’ailleurs, c’est dans les écoles françaises qu’on apprend le mieux l’arabe». Auprès de TelQuel, il souligne qu’«on renvoie les langues à des idéologies. Dans le cas du marocain, on lui donne souvent une image ‘rebelle’ et ‘moderniste’», déplorant le fait de «trop enfermer une langue dans un carcan».

Comme l’indiquent les linguistes, une langue ne pourra jamais mieux être sauvée que par ceux qui la parlent, qui l’apprennent et qui l’étudient au-delà de ses usages fonctionnels de communication. Laissée ainsi livrée à une bataille idéologique ou prisonnière d’un enseignement inefficace dans l’apprentissage des langues, l’arabe standard trouverait plus de difficultés à être inculqué dans sa dimension scientifique.

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