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Grand Angle

Maroc : Comment un réfugié politique en France s’est retrouvé emprisonné à Agadir

Arrêté dès son arrivée à l’aéroport d’Agadir, Zine El Abidine Erradi est emprisonné. Il a entamé une grève de la faim, au moment où les autorités françaises donnent peu d’éléments sur les circonstances de la permission exceptionnelle de retour qu’elle lui a accordé.

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Zine El Abidine Erradi / Ph. DR.
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Membre de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) à Paris et membre-fondateur de sa section à Sidi Ifni, Zine El Abidine Erradi est un réfugié politique installé en France depuis 2015. Sa présence à Agadir, depuis le 4 avril, a été prévue dans le cadre d’une permission exceptionnelle lui permettant de se rendre à son pays natal, pour des raisons humaines.

Président de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), Ahmed El Haij indique à Yabiladi qu’Erradi «a demandé aux autorités françaises de lui permettre de se rendre au Maroc, puisqu’il n’a pas pu assister aux obsèques de son père, il y a quarante jours. Il devait rentrer en France peu après, sans être inquiété sur ses droits». Mais une fois à Agadir, les choses se sont déroulées autrement.

Arrêté le 4 avril à l’aéroport, Zine El Abidine Erradi est aujourd’hui à la prison d’Aït Melloul. En effet, il est sous le coup d’une amende de 5 000 dirhams et d’une peine d’un an de prison ferme pour «participation à un rassemblement non-autorisé» et «désobéissance civile». Une décision prononcée in absentia en 2016 par la Cour d’appel d’Agadir, qui lui reproche d’avoir pris part aux mobilisations de 2014. Cette année-là, l’homme a fait partie d’un groupe de militants exigeant l’ouverture d’une enquête sur la mort d’un jeune à Sidi Ifni et suspectant l’implication d’agents de police.

Depuis le 10 avril, Zine El Abidine Erradi a entamé une grève de la faim pour protester contre son arrestation. Neuf jours plus tard, d’autres détenus ont affirmé à des sources contactées par Yabiladi que son état de santé a nécessité son admission à l’hôpital à deux reprises.

Un quiproquo judiciaire et administratif

Le président de l’AMDH regrette un manque de coordination en amont de la part des autorités françaises, qui n’auraient pas averti tous les concernés du retour du militant au Maroc.

«Nous n’avons pas été avisés avant son arrivée à Agadir, sinon nous l'aurions avisé quant aux risques encourus. Cela dit et même si notre droit interne n’est pas doté d’une loi sur les réfugiés, le Maroc a des engagements internationaux à tenir concernant ces personnes-là.»

Même son de cloche à Agadir, où Aziz Sellami, président de la section locale de l’AMDH, affirme à Yabiladi que cette arrivée n’a pas été notifiée à l’association.

«Nous n’avons pas été informés, mais même sans cela, il faut partir du principe que les réfugiés politiques bénéficient d’une protection internationale à laquelle le Maroc adhère, en sa qualité de signataire de la Convention de Genève. L’Etat marocain doit partir du principe qu’Erradi est un réfugié politique et elle doit le traiter comme tel, considérant aussi que sa présence exceptionnelle dans le pays est motivée par des raisons spécifiques.»

Une note d’information de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) explique que la venue de Zine El Abidine Erradi au Maroc a été conclue suite à un accord, via un sauf-conduit, du préfet de Cergy (Val-d’Oise). Il s’agit d’une mesure exceptionnelle permettant à un réfugié d’effectuer un déplacement dans son pays natal, pour des raisons humaines et familiales.

Hassan El Haymouti, de la section régionale du parti de la Voie démocratique, dont Erradi est également membre, nous affirme que «le Maroc a donné des garanties au centre des refigurés en France, s’engageant à ne pas s’en prendre à lui à son arrivée au pays. C’est pour cela qu’il a organisé son voyage».

Contactées par nos soins, les autorités françaises sont peu bavardes sur les circonstances de l’octroi de cette autorisation. Cette dernière porte la signature du ministère français de l’Intérieur, mais elle omet de préciser si elle est conclue ou non après négociations avec l’Etat concerné. Ainsi, la préfecture du Val-d’Oise n’a pas donné de suites à nos requêtes dans ce sens, de même que le ministère de tutelle.

De leur côté, les différents services de l’ambassade de France au Maroc contactés par Yabiladi ont affirmé ne pas avoir d’éléments sur le dossier de Zine El Abidine Erradi.

Cette version contredit celle des associatifs à Agadir, qui nous affirment avoir été reçus par le consulat de France au sujet de cette affaire, le lendemain de l'arrestation.

«Le consul de France à Agadir a reçu à deux reprises des militants qui l’ont alerté sur ce qui est arrivé depuis le 4 avril. Il a été en contact avec les autorités marocaines, leur précisant qu’Erradi ne devait pas être arrêté. Il a affirmé également qu’un avocat avait été désigné en France pour se charger du dossier et coordonner avec un homologue ici au Maroc. Des promesses sur la remise en liberté du détenu nous ont été faites.»

La mobilisation s’organise

Initialement placé en détention avec d’autres détenus, Erradi est en isolement depuis qu’il a entamé sa grève de la faim. Hassan El Haymouti nous l’explique :

«Nous ne pouvons pour le moment pas lui rendre visite, mais nous sommes en train de formuler une requête auprès de la Commission régionale des droits de l’Homme (CRDH) à Agadir à cet effet.»

Le militant nous informe qu’une réunion s’est tenue mardi pour constituer un Comité de soutien, fédérant treize centrales syndicales et politiques. Une conférence de presse se tiendra lundi prochain, en présence de la famille du détenu. Cette dernière fournira les pièces en sa possession, prouvant le caractère arbitraire de l’arrestation.

Avant d’être sous le coup du jugement qui lui vaut aujourd’hui sa détention à Aït Melloul, Zine El Abidine Erradi a été emprisonné puis relâché à plusieurs reprises depuis 2011, d’où sa demande d’asile en France, acceptée en 2015.

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