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Grand Angle

Diaspo #35 : Abdellah Samate, des mines de charbon à la Légion d’honneur

Cet ancien mineur du nord de la France se bat depuis près de trente ans pour que soient reconnues les discriminations perpétrées jusque dans les années 80 dans les mines de charbon, surtout envers les populations maghrébines.

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Abdellah Samate préside l’Association des mineurs marocains du Nord-Pas-de-Calais. Abdellah Azizi - almaouja.com
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A quelques détails près, cheminots et mineurs marocains, sans oublier les chibanis, mènent le même combat : celui de la reconnaissance. Abdellah Samate, président de l’Association des mineurs marocains du Nord-Pas-de-Calais (AMMN), en sait quelque chose. Depuis la création de l’AMMN en 1989, cet ancien mineur originaire de Taroudant, aujourd’hui âgé de 73 ans, se bat pour que soient reconnues, et réparées, les discriminations commises par les charbonnages français, autrefois légion dans le nord de la France, envers les mineurs maghrébins – marocains pour la plupart.

«J’ai travaillé cinq ans dans la fosse Barrois de Pecquencourt et je me suis toujours senti inférieur aux Français. C’est pour cela que nous avons été recrutés, le petit Marocain ne va pas se battre contre la montagne que représentaient les Charbonnages de France», confiait-il en 2013 à La Voix du Nord. Cinq ans plus tard, ce sont les mêmes souvenirs qu’il évoque auprès de Yabiladi : «Dans les années 60, la France avait besoin de main d’œuvre pour exploiter le charbon au fond des mines. Les anciens mineurs français, polonais ou italiens ne voulaient plus y envoyer leurs enfants car les conditions de travail étaient trop dangereuses, mais aussi parce qu’il n’y avait pas d’avenir. La fermeture des mines avait été programmée bien avant 1960.»

Cols bleus contre cols blancs

Surtout, la docilité des mineurs marocains est appréciée dans les rangs de la direction. «Il fallait une main d’œuvre costaude, pas chère et qui ne conteste pas. D’ailleurs, les ingénieurs français sont venus recruter dans les campagnes marocaines (notamment dans les régions d’Agadir, Marrakech, Ouarzazate et Guelmim) plutôt que dans les villes, là où les gens étaient pour la plupart dépourvus d’éducation», se souvient Abdellah Samate, lui qui a débarqué en France en 1963, à l’âge de 18 ans. «A l’époque, il fallait avoir 22 ans pour pouvoir y aller. A la maison, on n’avait pas de livret de famille, pas d’acte de naissance. J’ai donc demandé à mon père qu’il triche sur mon âge sur le papier pour que je puisse partir», complète-t-il.

Avec 150 autres jeunes hommes, il arrive à Marseille en bateau, puis remonte peu à peu l’Hexagone en train. «Une fois à Paris, on nous a donnés à chacun une baguette, une bouteille de limonade et une plaquette de chocolat. Quand on est arrivé à Hénin-Beaumont, on a été dispatchés vers différentes cités. Moi, je suis allé à Montigny-en-Ostrevent.»

Docile, oui, mais pas aveugle pour autant. Après un grave accident dans une mine, Abdellah Samate s’engage auprès des syndicats, en l’occurrence à la Confédération générale du travail (CGT), et commence à «ouvrir les yeux» : «Venant d’un pays où il manquait beaucoup de choses, on était contents du peu qu’on avait en France, c’est pour cela qu’on n’était pas très demandeurs. Mais moi, j’étais un Marocain qui résistait et ça, ça ne plaisait pas beaucoup à la direction. Il ne fallait pas donner l’exemple aux autres…»

Un engagement salué au plus haut sommet de l’Etat

Le jeune syndicaliste prend également conscience des discriminations qui règnent dans les mines : «Quand on n’avait plus besoin des Marocains, on les renvoyait directement chez eux. Il ne fallait pas trop favoriser leurs conditions de vie en France car il était prévu qu’ils rentrent chez eux à l’issue de leur contrat. On n’avait même pas le statut de mineurs, contrairement aux autres. Par exemple, les Français, les Polonais ou les Italiens, lorsqu’ils avaient un accident ou une maladie professionnelle, étaient en invalidité générale ou redirigés vers un autre poste compatible avec leur état de santé pour qu’ils puissent terminer leur carrière».

En 1987, une grève de deux mois est initiée par les mineurs marocains pour revendiquer plus de droits. L’Association des mineurs marocains du Nord-Pas-de-Calais est créée deux ans plus tard. «Je continue à me battre pour pallier les erreurs que les charbonnages ont commis», insiste Abdellah Samate, aujourd’hui installé à Aniche, petite commune qui a longtemps vécu de l’exploitation du charbon.

Son combat, s’il n’est pas terminé, a tout de même été remarqué au plus sommet de l’Etat : en 2009, il a été promu Chevalier de la Légion d’honneur par la France. Une distinction qui sonne comme un premier pas vers la reconnaissance.

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