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Grand Angle

Du «109» pour le Maroc de demain... [Edito]

La concentration des postes à responsabilité aux mains de quelques individus a de quoi inquiéter sur la capacité du pays à renouveler son élite.

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A l’image des Power Rangers, une poignée de responsables concentre les pouvoirs au Maroc. / DR
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«109», c’est le nom de la nouvelle filiale casablancaise de l’agence Avant-Scène, fondée par Myriam Abikzer et Jamel Debbouze. A la fois nombre et expression, voilà une bien jolie dénomination dans un pays qui manque si cruellement de sang neuf.

Si on devait publier un who’s who des hauts responsables au sein de l’administration, conseils, fédérations, fondations, entreprises publiques, on y croiserait beaucoup de visages et de noms familiers. Au fil des années, cette petite famille ne changera que de manière marginale : de ministre, il passera ambassadeur, de directeur d’une entreprise publique il deviendra responsable d’une agence de développement, de président d’un conseil il partira pour une ambassade... Comme en Liga, à chaque inter-saison, le mercato fait rage alors que les écoles de formation semblent ne produire que très peu de joueurs/responsables pro.

Que s’est-il passé pour voir se concentrer autant de pouvoir sur quelques dizaines de femmes et surtout d’hommes ? Le Maroc vit-il une panne de renouvellement de ses élites ? Alors que le pays a cruellement besoin de compétences et de sang neuf, l’ascenseur social monte de moins en moins haut, et l’école publique marocaine, tel un lourd radeau, part à la dérive.

La fameuse mobylette Peugeot 103 / Archive - Ph. AFPLa fameuse mobylette Peugeot 103 / Archive - Ph. AFP

Du 109 pour ne pas finir en 103

La source de femmes et d’hommes d’Etat autrefois abondante semble avoir été elle aussi touchée par le changement climatique. On peut toujours prier pour la pluie, mais que faire quand le stress hydrique est entretenu par le système de nomination des responsables ? Plus que la longévité de leur mandat, c’est l’accumulation des fonctions qui interpelle.

Ainsi, à leur responsabilité de chef d’entreprise, Aziz Akhannouch et Moulay Hafid Elalamy accumulent des superministères avec d’autres responsabilités connexes. Ainsi, le pdg d’Akwa Group a ajouté au ministère de l’Agriculture et de la pêche maritime, les portefeuilles du Développement rural et des Eaux et forêts. Avant cela, M. Akhannouch avait décroché la gestion des 10,5 milliards de dirhams (sur 7 ans) du Fond de développement rural et des zones de montagnes. Il est également président du RNI depuis le 12 octobre 2016. De son côté le président fondateur de Saham Group a la lourde charge du grand ministère de l’Industrie, du commerce, de l’investissement et de l’Economie numérique. Et l’année 2018 débute avec une nouvelle responsabilité : la présidence du comité de candidature du Maroc pour l’organisation de la Coupe du monde 2026.

Les multi-casquettes concernent aussi les conseils. Ainsi Driss El Yazami cumule les présidences du Conseil de la communautés marocaine à l’étranger (CCME) et celui des droits des l’Homme (CNDH). N’oublions pas qu’en 2011 il avait été nommé membre du Conseil économique, social et environnemental, ainsi que du Conseil consultatif de la révision de la constitution.

Quelque soient les qualités et les compétences de ces hommes, est-ce bien raisonnable de concentrer autant de dossiers importants entre aussi peu de mains ? N’étant pas descendants de Kali, la déesse indhoue aux bras multiples et les heures d’une journée restant limitées à 24, les Power Rangers risquent le burn-out.

Statue de la déesse hibdoue, Kali / DRStatue de la déesse hibdoue, Kali / DR

Sang pour sang

Pire encore, après plusieurs années d’accumulations de responsabilités différentes, on peut se rendre compte d’une cruelle erreur de casting. Il en est ainsi du serial haut fonctionnaire, Ali Fassi-Fihri. Il cumulera le poste de directeur général de l’Office national de l’eau potable (ONEP) et de l’Office national d’électricité (ONE), les deux regroupés au sein de l’ONEE, et enfin la présidence de la Fédération royale marocaine de football (FRMF). Beaucoup pour un seul homme. Vraisemblablement oui, puisqu’il sera relevé de ses fonctions par le roi, le 24 octobre 2017, suite au rapport de la Cour des comptes épinglant les défaillance dans la réalisation des projets de développement de la région du Rif.

Le cas de Ali Fassi-Fihri est emblématique du besoin de sang neuf. Il renvoie à une autre tendance de notre élite : la consanguinité. En effet, l’époux de Yasmina Baddou, ancienne ministre de la Santé (2007-2012), est aussi le frère de Othmane, ancien directeur général de Autoroutes du Maroc (1997-2014), sans oublier l’autre frère, Taïeb, qui est conseiller du roi Mohammed VI depuis 2012, après avoir fait une longue carrière dans la diplomatie et avoir pris les rênes du ministère des Affaires étrangères (2007-2012). Les trois frères sont en outre les cousins de Abbas El Fassi, l’ancien premier ministre (2007-2011).

On pourrait continuer ainsi longtemps cet inventaire à la Prévert. Alors, comment imaginer l’émergence du Maroc avec autant de concentration de dossiers clés ? Goulot d’étranglement, surcharge de travail, burn-out, incompétence, ne sont pas les seuls risques. Le plus gros reste sans conteste le signal envoyé aux compétences marocaines d’ici et d’ailleurs, qui conclurons a l’impossibilité d’accéder aux postes à responsabilité. Autant de «109» qui manquera au moment où il faudra accélérer notre économie et la gouvernance du pays.

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