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Grand Angle  

Maroc : Millions, milliards de dollars, et quelques tonnes de drogues

D’après le Bureau central des investigations judiciaires, le montant de la valeur de la cocaïne saisie plafonne à 25 milliards 850 millions de dirhams. Des calculs erronés qui ont enflammé la toile et les médias.

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La cocaïne saisie à Rabat par le Bureau central des investigations judiciaires. / Ph. Médias 24
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De la poudre aux yeux. C’est par cette expression proche du mauvais jeu de mot que l’on pourrait qualifier le montant de la valeur de la cocaïne saisie (2,5 tonnes) aux alentours de Rabat - 25 milliards 850 millions de dirhams -, dévoilé hier par le Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ) lors d’une conférence de presse. «La valeur totale de la quantité de cocaïne saisie s'élève, après traitement, à 25 milliards 850 millions de dirhams (environ 2,75 milliards de dollars)», a en effet déclaré Abdelhak Khiam, patron du BCIJ.

Le chiffre, fantasmagorique, a été relayé dans une dépêche MAP reprise en chœur par les médias marocains (Yabiladi compris) à l’exception du Desk, qui s’est fendu d’un calcul élémentaire. «Un petit calcul sur la base de cette évaluation (2,7 milliards dollars pour 2,6 tonnes) nous indique que selon Khiam, le gramme vaudrait ainsi 1 038 dollars !», écrit le site d’information dans son Désintox. «Si la cocaïne demeure toujours la drogue la plus chère, comparativement à l’héroïne et aux opoïdes, elle n’atteint jamais les prix stratosphériques annoncés par le patron du BCIJ», poursuit-il.

S’appuyant sur la plus récente enquête américaine sur les drogues, le Desk indique que le prix moyen pour un gramme de cocaïne plafonne à 78 dollars, contre 120 dollars pour la pure. Avec un prix dépassant les 330 dollars le gramme, le Koweït culmine en tête, suivi des Etats-Unis et de l’Australie, tandis que la Colombie et la Bolivie affichent les prix les plus bas à 3,50 dollars le gramme, précise encore le site d’information, citant le Havocscope, un site de marché noir qui, sur la base du rapport mondial des Nations unies sur les drogues et des données récoltées auprès du marché, répertorie les données mondiales sur l’offre et la demande de cocaïne dans le monde.

Un article Désintox qui n’a pas empêché TelQuel et Médias 24 d'insister pour justifier l'évaluation initiale, le premier se référant aux explications d’une «source autorisée» ; le second à celles d’une «source sécuritaire autorisée, celle qui a procédé au calcul». Difficile d'avoir un autre son de cloche quand on interroge à nouveau la source initiale de l'évaluation.

Pourtant, il suffisait de se référer aux autres saisies de cocaïne pure dans le monde et de l'évaluation de la valeur de revente pour dégonfler l'évaluation du BCIJ. Ainsi, en juillet dernier, les autorités françaises avaient saisi au port du Havre plus de 800 kilos de cocaïne, soit l’équivalent de 35 millions d’euros de poudre blanche, rapportait France Bleu. Si on fait le calcul à partir de cette saisie, une tonne de cocaïne équivaut à environ 50 millions de dollars. On comprend très vite que 2,5 tonnes peuvent difficilement franchir la barre du milliard de dollars.

Avant les chiffres faramineux de la cocaïne, ceux du haschisch

Avant la poudreuse à coup de milliards, il y a l'herbe qui valait plusieurs milliards de dollars. En mars dernier, c’est le Bureau international des stupéfiants et de l’application de la loi du département d’Etat américain qui s’était emmêlé les pinceaux. Sur l’appui de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), ce dernier révélait que sur la période 2015-2016, le Maroc a produit 700 tonnes de haschisch pour une valeur estimée à 23 milliards de dollars, soit 23% du PIB.

Des chiffres remis en cause par Chakib El Khayari, président de l’Association Rif des droits humains (ARDH), chevronné sur les problématiques liées à la culture de haschich au Maroc. D’après lui, les données de l’UNODC reprises par l’organisme américain «sont avant tout des estimations» qui n’émanent pas de «sources scientifiquement calculées».

En 2003, 2004 et 2005, le Maroc, via l’Agence de promotion et de développement du Nord (APDN), avait élaboré trois rapports annuels avec l’UNODC sur la base de photos prises par satellite. «A partir de là, ils ont pu déterminer le nombre de champs dédiés à cette culture et, ainsi, évaluer la production marocaine. Sauf qu’après 2005, les rapports n’ont plus été élaborés avec l’organe des Nations unies à l’aide de satellites. Dès lors, comment peut-on procéder à des calculs fiables ?», s’interrogeait Chakib El Khayari.

La drogue au Maroc fait tourner bien des têtes. Mais ce n’est en tout cas pas la première fois qu’un responsable mélange millions et milliards. Les plus vieux se souviennent probablement du moment d’anthologie du syndicaliste Henri Krazucky à la télévision française. Quand les zéros s'accumulent, nul besoin d'être sous l'emprise de drogues pour s'emmêler les pinceaux. 

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