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Interview

Agression sexuelle dans un bus à Casablanca : Quid du soutien psychologique pour les victimes ?

Une agression sexuelle, une tentative de viol ou un viol laissent des traces indélébiles chez les victimes qui souvent bataillent toute leur vie pour se battre contre un traumatisme qui les hante au quotidien. L’affaire de la jeune fille qui a subi une agression sexuelle en réunion en plein jour dans un bus à Casablanca n’est qu’un exemple de la triste réalité subie par de nombreuses femmes.

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Une agression sexuelle, une tentative de viol ou un viol laissent des traces indélébiles chez les victimes. / Ph. DR
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L’affaire de la jeune Imane qui a subi une agression sexuelle dans un bus à Casablanca, suscitant l’émoi des internautes marocains, soulève beaucoup de questionnements quant au devenir des personnes victimes de syndrome post-traumatique au Maroc. Yabiladi a interviewé docteur Naoual Ajoub, psychiatre de l’adulte et de l’enfant à Casablanca.

Quels sont les moyens mis en œuvre par les institutions pour accompagner les victimes de troubles post traumatiques ?

On n’a pas d’institutions de ce genre au Maroc. Il y a l’hôpital El Harouchi (Casablanca) où il y a un service de pédopsychiatrie qui prend en charge ce genre de cas et où il y a de très bons médecins. Il y a également des cabinets privés, mais on ne va pas parler de ces derniers parce que toutes les familles n’ont pas les moyens de consulter. Personnellement, j'interviens au Samu social où ils prennent les gens qui vivent dans la rue et qui ont été victimes de plusieurs choses et pas seulement de viol. Ils leur donnent à manger, leur trouvent un endroit où dormir. On peut y trouver des mères célibataires, des femmes battues. Je fais mes consultations là-bas. Mais concernant les institutions d’Etat je ne pense pas qu’on en a au Maroc.

Au Samu, j’ai vu pas mal d’enfants qui ont été victimes de viols. Enormément ! Des enfants vivant dans la rue et qui ont fui leur foyer où qui ont été battus. Parmi eux, beaucoup sont victimes de viols. Ils sont très bien pris en charge au Samu.

Y a-t-il un accompagnement particulier quand la victime est mineure ?

Il faut un accompagnement particulier, celui d’un pédopsychiatre, d’un psychologue c’est-à-dire une réinsertion sociale après même au niveau de la famille. Car il n’y a pas que le traumatisme de l’enfant, il faut accompagner la famille aussi. J’en reçois dans mon cabinet et souvent les parents ont plus besoin de cette prise en charge que les enfants. J’ai eu dernièrement le cas d’une mineure de 14 ans qui a été violée, séquestrée et filmée. Je voyais que les parents avaient besoin d’un accompagnement, dans le sens où ils sont eux aussi traumatisés mais aussi pour leur montrer comment se comporter avec l’enfant ou l’adolescent ayant subi ce genre de traumatisme.

Quels sont les risques pour l’enfant s’il n’est pas suivi par un pédopsychiatre ?

L’essentiel c’est qu’il soit suivi par un psychiatre, un psychologue, un pédiatre, une association n’importe, le plus important c’est qu’il soit entouré. Il faut aussi que l’entourage familial sache se comporter après une agression. Dans la plupart des cas, s’il n’y a pas de prise en charge le risque c’est la drogue, la prostitution, la soumission et les tentatives de suicide pour les adolescents ; les troubles du comportement, les fugues, pour les enfants de 7/8 ans par exemple.

Les ONG mettent-elles à disposition un soutien psychologique aux victimes d’agression sexuelle ?

D’après ma propre expérience au sein du Samu social, j’ai pu y voir des personnes très accueillantes. Ils prennent en charge des personnes qui n’ont pas les moyens et qui vivent dans la rue. J’ai vu des garçons de 7/8 ans qui ont été violés donc ils leur mettent à disposition un toit, la nourriture, les consultations de pédopsychiatres, de généralistes, de beaucoup d'autres choses. Ils leur trouvent aussi des maisons de jeune pour faire des formations.

A votre avis, les personnes victimes de syndrome post-traumatiques peuvent-elles s’en sortir ?

Oui, il faut que la prise en charge soit adaptée et qu’elle soit faite assez tôt, juste après l’agression. Dans le cas de la jeune fille du bus, elle souffrirait d'un retard mental, c’est difficile à dire. Elle a déjà beaucoup de problèmes, le pronostic est donc difficile. Mais plus globalement, si une jeune fille ou un enfant bénéficie d'une prise en charge pluridisciplinaire, adaptée, assez précoce et qu’il y ait un environnement familial ou une association à ses côtés, nous constatons de bons résultats. Mais il ne faut pas oublier que ça reste un traumatisme très violent.

De nombreuses affaires sexuelles sordides ont été médiatisées ces derniers jours. Comment pallier à ces déviances au sein de la société marocaine ?

Pour rebondir sur l’affaire de zoophilie qui a eu lieu la semaine dernière, il faut qu’il y ait une sensibilisation. Je vois personnellement dans mon cabinet des jeunes qui viennent avec une frustration sexuelle. On n’a pas d’éducation sexuelle, on a beaucoup de tabous. Il faut montrer aux enfants ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire, les bonnes pratiques pour assouvir un désir sexuel. Par exemple, une enfant peut subir des attouchements sans qu'elle ne dise rien. Cette dernière n’a jamais su que son organe est à elle et personne n’a le droit de le toucher. L’éducation sexuelle doit être inculquée soit au niveau de l’école soit par les parents.

Comment expliquer que des jeunes garçons commettent une agression sexuelle et en public ?

Ce qui pourrait les pousser c’est le milieu dans lequel ils ont grandi et où ils voyaient la femme humiliée de cette manière dans la rue. Peut-être ont-ils eux mêmes été victimes d’abus de ce type. Il y a égalemment la possibilité que les agresseurs soient sous l’effet de karkoubi (psychotrope puissant, ndlr). Je ne peux pas juger de leur cas sans connaître le milieu où ils ont vécu.

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