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Organisations secrètes marocaines #1 : «La Main Noire», groupe armé de Rachidi contre les «traîtres»

Dans cette série, Yabiladi fera la lumière sur les organisations secrètes qui ont marqué l’histoire du Maroc contemporain. Dans cette première partie, zoom sur «La Main Noire», filiale de l’«Organisation secrète» fondée par Mohammed Zerktouni, Hassan Lahraichi et Houcine Berrada.

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Le procès des membres de «La Main Noire» s'est déroulé du 22 juin au 5 juillet 1954. / Ph. «Mémoires du patrimoine marocain»
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Comme tout pays qui a subi l’injustice et l’oppression du colonisateur, ainsi que la répression postcoloniale, le Maroc a lui aussi disposé de ses organisations secrètes. Des groupuscules destinés tantôt à lutter contre le protectorat français et espagnol, tantôt à mener la vie dure à feu le roi Hassan II.

De 1912 à 1956, l’histoire de la lutte nationale contre la colonisation a été marquée par plusieurs étapes. L’ère pré-indépendance reste sans doute la plus féroce et la plus meurtrière, écrite par une France déterminée à se maintenir au pouvoir au Maroc et, parallèlement, par une résistance aspirant à la liberté. Avec la montée des tensions entre Marocains et forces coloniales dès 1950, la résistance nationale décide de franchir une étape cruciale ; celle de la lutte armée. Plusieurs organisations secrètes prennent ainsi le relai, visant les Marocains qui collaborent avec les autorités coloniales ou des personnalités françaises établies au Maroc.

Le 7 avril 1951, Mohammed Zerktouni, Hassan Lahraichi et Houcine Berrada créent, à Casablanca, la fameuse «Organisation secrète». Un groupe armé né dès le lancement, par le France coloniale, d’une campagne à l’encontre du parti historique de l’Istiqlal et ses membres. Plusieurs actions sont menées, notamment la bombe du Marché central de Casablanca le 24 décembre 1953 et l’assassinat du directeur du journal La Vigie marocaine.

Un Marocain se faisant contrôler par un policier français. / Ph. «Mémoires du patrimoine marocain»Un Marocain se faisant contrôler par un policier français. / Ph. «Mémoires du patrimoine marocain»

L’«Organisation secrète» accouche d’autres groupuscules armés, dont «La Main Noire». Ce dernier, constitué par Ahmed Rachidi, avait pour quartier général le fameux cinéma Rio, situé dans l’ancienne médina. Dans les «Mémoires du patrimoine marocain» (Septième volume, Editions Nord Organisation, 1986), Ahmed Akhchichen et Jamel Ennaji retracent la courte vie de cette organisation secrète, devenue célèbre suite à l’arrestation de ses membres le 12 octobre 1953 et leur procès.

«Les leçons tirées de l’expérience de ‘La Main Noire’ ont un apport très important pour la résistance (…) Le fait que ses membres aient été vite identifiés poussera les autres organisations secrètes à en aborder sérieusement la question.» 

Une organisation née dans les bras de l’Istiqlal

Le livre d’histoire raconte ensuite comment les membres de «La Main Noire» ont commis deux erreurs fatales : «La première étant d’avoir recruté des membres sans passé national commun et opérant dans la même zone. Le deuxième étant le non-respect d’une règle importante du travail secret ; celle de séparer les cadres.»

L’idée de mettre en place une organisation secrète voit le jour lors des réunions des jeunes de l’Istiqlal au centre-ville de Casablanca. A l’origine, les arrestations et l’oppression du colonisateur français. «C’est alors que Moulay Taher, un jeune cadre des chemins de fer, âgé d’à peine 25 ans, en prendra l’initiative et recevra, sous peu, les nouveaux membres du groupe armé», racontent Ahmed Akhchichen et Jamel Ennaji. C’est Fqih Belahcen Ettalîe qui proposera de baptiser le courant «La Main Noire». Un nom inspiré de la révolution turque.

Lors du premier meeting tenu dans la maison de Moulay Taher, le groupe établit un règlement interne, un code pour rédiger des messages secrets, noyau d’une organisation, et surtout un plan de travail. «Au moment de la déposition de feu le roi Mohammed Ben Youssef en 1954, le groupe disposait de 14 pistolets et d’une quantité importante de dynamites. Ses activités se concentreront sur les collaborateurs de la France coloniale et les intérêts économiques de la France à Casablanca», lit-on dans le Septième volume des «Mémoires du patrimoine marocain».

Manifestation au lendemain de la déposition de feu le roi Mohammed Ben Youssef. / Ph. «Mémoires du patrimoine marocain»Manifestation au lendemain de la déposition de feu le roi Mohammed Ben Youssef. / Ph. «Mémoires du patrimoine marocain»

Ahmed Rachidi et Ibrahim Sadki, figures de proue de «La Main Noire»

Natif de Casablanca, Ahmed Rachidi voit le jour vers 1927. Sa condamnation, le 5 juillet 1954 et son exécution, le 4 janvier 1955, resteront gravées dans l’histoire de la résistance nationale. Employé de l’hôtel Al Mansour, il poursuit ses études pour décrocher l’attestation des études primaires et parle français assez couramment.

Portrait d'Ahmed Rachidi. / Ph. «Mémoires du patrimoine marocain» Portrait d'Ahmed Rachidi. / Ph. «Mémoires du patrimoine marocain»

Lors du procès, son échange avec le juge est rapporté par ses anciens camarades et relayé par Ahmed Akhchichen et Jamel Ennaji. Il avoue avoir assassiné Mohamed Ben Larbi, moqaddem soupçonné de servir les intérêts de la France, pour «donner un exemple aux autres traîtres». «Mon activité est politique. Notre roi a été exilé. J’ai donc tué pour donner un exemple aux autres traîtres (…) Je serai fier de ma mort parce que j’ai défendu ma cause», annonce-t-il au juge. C’est surtout sa fameuse phrase, prononcée quelques secondes avant son exécution, qui marquera les esprits :

«Ne me bandez pas les yeux ! Laissez-moi voir une dernière fois le ciel bleu de mon pays.»

L'exécution, le 4 janvier 1955, d'Ahmed Rachidi et Moulay Taher. / Ph. «Mémoires du patrimoine marocain» L'exécution, le 4 janvier 1955, d'Ahmed Rachidi et Moulay Taher. / Ph. «Mémoires du patrimoine marocain»

Dans un article intitulé «Parcours d’un résistant oublié», le magazine Zamane a dressé en novembre 2012 le portrait d’Ibrahim Sadki, un autre membre particulièrement actif de «La Main Noire». Brahim Aït El Asri, alias Ibrahim Sadki, naît en 1925 dans la région de Tata, dans l’Anti-Atlas. De Tata vers Casablanca puis Marrakech, il devient militant. Il étudie les sciences islamiques et la charia à l’Université Ben Youssef et a pour camarade de classe le grand militant et fondateur de l’Armée de libération du sud, Bensaïd Aït Idder.

De retour à Casablanca, il est membre d’Al Yad Assawda (La Main Noire) et combat aux côtés d’Ahmed Rachidi. Il participe aussi, avec Mohammed Zerktouni, à l’élimination de plusieurs collaborateurs de la France coloniale. En octobre 1953, un dépôt d’armes et de munitions est trouvé chez sa famille. Il est arrêté et torturé avant d’être jugé.

Si Rachidi et trois de ses compagnons, à l’instar de Moulay Taher, sont condamnés à mort, 56 autres membres de «La Main Noire», dont Ibrahim Sadki, Fqih Belahcen Ettalîe, Ali Riyo, Mohamed Mossab et Mohamed Ben Brahim sont condamnés à des peines de prison ferme. Une condamnation qui constituera le dernier clou dans le cercueil de l’organisation secrète.

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