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Interview

Décès de la petite Idya : «Symbole du lourd prix d'une mauvaise gestion hospitalière»

Blessée à la tête suite à une chute près d’un ruisseau, la petite Idya Fakhreddine, âgée d’à peine 3 ans, est décédée à Fès en début de semaine après avoir sillonné avec ses parents plusieurs hôpitaux à la recherche de soins. L’affaire a fait réagir plusieurs personnalités à l’instar du docteur Zouhair Lahna. Contacté ce jeudi par Yabiladi, il nous livre son point de vue sur les dysfonctionnements de nos services de santé. Interview.

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Docteur Zouhair Lahna, chirurgien obstétricien et acteur associatif. / Ph. DR
Temps de lecture: 4'

De Toudgha vers l’hôpital provincial de Tinghir, puis celui d’Errachidia avant d’arriver à l’hôpital ophtalmologique de Bab El Hadid de Fès puis au Centre hospitalier universitaire de la capitale spirituelle. C’est le périple de la famille Fakhreddine, le weekend dernier, pour soigner en urgence leur petite Idya âgée de trois ans. L’enfant décède au CHU de Fès suite au retard pris dans la prise en charge. L’hôpital de sa petite commune ne disposait pas, en effet, de scanner pour diagnostiquer son cas. L’affaire a fait réagir plusieurs personnalités dont le célèbre docteur Zouhair Lahna, qui s’est indigné sur sa page Facebook suite à ce drame.

Yabiladi : Que pensez-vous de ce drame qui est arrivé à la famille Fakhreddine et le décès de Idya faute de matériels et de soins d'urgence ?

Dr. Zouhair Lahna : Cette affaire est malheureusement courante. Actuellement, elle fait réagir plusieurs personnalités connues parce que le père de la jeune enfant est célèbre, c’est pour cela qu’elle prend cette dimension. Malheureusement, des cas comme celui-là sont fréquents. Le problème ne réside pas dans le fait de savoir si on dispose ou pas d’un scanner ou d’un bloc opératoire, mais il est beaucoup plus large. C’est tout le système d’urgences bancal, très mauvais et lent, qui est à revoir.

A Tinghir, on disait aux parents que la jeune Idya doit aller dans un autre hôpital mais on les laisse faire. Dans un pays qui se respecte, on ne laisse pas les parents réfléchir et voir s’ils font ou pas mais on fait pour eux, on prend la fille et on l’hospitalise et on la transfère nous-même. Dans le corps médical, on sait qu’une fille qui est tombé, qui a une perte de connaissance initiale, peut avoir un hématome intracrânien même si les symptômes sont normaux. Les parents, eux, diront que tout va bien s’ils voient leur fille réveillée parce qu’ils n’ont pas le savoir-faire médical. Cela a été fait dans la lenteur marocaine. C’est le parcours du patient qui est mal fait. La plupart de la mortalité en cas d’urgence est due au retard de transfert et de prise en charge. Ce retard on peut le voir à travers la décision des parents, la route, les moyens du transport mais surtout l’accueil aux urgences et la prise en charge. Tout ce système souffre d’un sérieux problème au Maroc.

Mais peut-on résumer cet incident en affirmant que seuls les villages enclavés qui en souffrent ?

Bien sûr que même les grandes villes sont concernées. Allez aux urgences pour constater vous-même le temps que vous devez patienter, la qualité de l’accueil, la qualité de la prise en charge. Ce sont des heures et des heures. C’est vrai que c’est surbooké des fois mais on n’a pas de système efficace et même dans les grandes villes, ça va mal ! Est-ce que c’est un système pour encourager le secteur privé avanceront les mauvaises langues ? Ils disent qu’on laisse toujours le système public mauvais pour que les gens en aient marre avant d’aller chercher de l’argent et partir se soigner dans le privé. Mais c’est une pensée médiévale et malsaine qui n’a pas lieu d’être parce que jamais le privé n’a pu se nourrir que du mauvais travail du public. L'hôpital public doit bien travailler surtout pour les urgences alors que le privé a toujours sa clientèle et sa façon de travailler. Il faut qu’il y ait une offre équilibrée d’accès aux soins pour tout le monde et je dis bien pour tout le monde. Mais on n’a pas cette pensée. «Quand le scanner dans le public ne marche pas, les gens vont aller dans le privé et quand moi je n’opère pas les gens et je les fais trainer, ils iront quémander de l’argent, lancer des appels sur Facebook et ils vont venir me payer en privé». Ce machiavélisme n’a pas lieu d’être dans un pays qui se respecte.

Au-delà du simple problème de matériels avancé par nos confrères, vous semblez donc voir un problème plus large...

Le matériel n’est juste qu’une excuse en fait. Hippocrate travaillait sans scanner ; Avicenne (Ibn Sina, ndlr) travaillait sans scanner aussi et il y a des gens dans le désert qui travaillent sans scanner. Moi-même j’ai travaillé en Afrique sans échographie et j’ai pu consulter des gens avant de les opérer. Le matériel nous aide à diagnostiquer mais on ne peut pas remplacer les hommes, les médecins et les compétences. Ils sont irremplaçables.

Pour qu’il y ait un équilibre dans tout le Maroc, il faut qu’il y ait une équité, que tout le monde puisse se rendre dans des hôpitaux pour y travailler de plein gré. Il faut arrêter avec cette politique d’éparpillement des compétences. Des fois on nomme un nouveau chirurgien quelque part mais il n’y a pas de matériels pour travailler donc on tue ce chirurgien. On ne peut pas avoir une belle voiture et quand on n’a pas de l’huile on dit qu’elle ne roule pas ! Ce qui manque, c’est de mettre les personnes compétentes à la bonne place, et surtout arrêter de dire que c’est un problème de matériels. Est-ce que vous pensez qu’à Tinghir, si dès demain on y met un scanner, l’affaire sera réglée ? Bien sûr que non. Mettons un scanner qui marche, un transport efficace, un accueil de qualité et une explication de qualité aux gens, pour qu’ils reprennent confiance dans ce système qui quand-même est là et soigne beaucoup de gens. Il y a beaucoup de gens soignés même si notre système de santé public est décrié par tout le monde. Pour ma part et comme je travaille dans la santé publique, je pense qu’il faut revoir tout le système de transfert et de prise en charge en urgence. Et quoi que nous dise le ministère, le terrain montre que ça ne va pas !

Cette petite fille est le symbole de femmes enceintes qui meurent sur la route, de morsures de scorpions qui tuent encore au Maroc et des choses simples qui font que les gens payent le prix lourd d’une mauvaise gestion hospitalière malheureusement.

Sur votre page Facebook, vous avez écrit : «les caravanes médicales n’ont pas laissé ces régions se développer médicalement». Expliquez-nous pourquoi.

Cette phrase n'est pas de moi. C’est un médecin généraliste qui a justement travaillé à Tinghir et qui m’a dit cela. Et je lui avais répondu que les caravanes médicales sont une perte d’énergie pour un résultat médiocre parce qu’on ne soigne pas les gens quand on a envie d’y aller. Les caravanes sont généralement en avril et mai. Alors où est ce qu’elles sont en mois de décembre, ou au mois d’août où il fait 40° ?

Je ne suis pas contre évidemment. Les campagnes de chirurgie précises, de sensibilisation, pourquoi pas. Mais faire croire aux gens que les caravanes vont les soigner, c’est un leurre. Le pire, c’est que beaucoup d’énergie humaine, beaucoup d’argent sont investis dans ces caravanes pour un résultat médiocre. Pire, le ministère actuellement investit lui-même dans les caravanes au lieu d’investir dans les gardes de médecin. Il y a de l’argent public dilapidé. On devrait mettre cet argent pour recruter de jeunes médecins. Il faut donc mettre fin à cette politique de caravanes qu’on mène depuis 15 ans et qui n’a apporté aucune amélioration dans la santé publique au Maroc.

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