La voie terrestre est presque la seule par laquelle les étrangers peuvent accéder à la Libye depuis le déclenchement de l’insurrection populaire le 15 février dernier. Les services diplomatiques libyens, étaient pris «dans la tourmente des événements», comme l’ambassade de la Libye à Paris, qui ne pouvait pas délivrer de visa au médecin M. Lahna. Direction donc Alexandrie, en Egypte, qui venait tout juste de faire chuter son «pharaon», écrit le médecin.
«L’atmosphère surréaliste» à la frontière traversée, cap sur le centre de Benghazi, «déjà tombée dans les mains de la population révoltée» mais au prix de «centaines de morts et de blessés». M. Lahna se rendit compte de leur arrivée «forcément tardive» à Benghazi une fois qu’il posa pieds dans les hôpitaux Al Jalaa et Al Hawari de la ville. «J’ai vu des patients paraplégiques qui ont reçu des coups de feu dans la nuque et la tête. D’autres ont des coups de feu dans le dos provoquant des sections de la moelle épinière.» Sans parler des «photos (…) insupportables» de patients «coupés en deux par des missiles».
C’est au prix fort donc que la deuxième ville du pays fut arrachée à celui qui gouverne la Libye depuis près de 42 ans. La situation humanitaire reste des plus alarmantes. Des milliers de personnes ont fui la ville pour aller chercher refuge chez le voisin égyptien. D’autres par contre ne pensent nullement à la quitter. Ce sont ceux qui ont «réussi, nous dit M. Lahna, à mettre en déroute [les forces de Kadhafi] et prendre la ville en quatre jours».
La jeunesse chasse le pouvoir
Il s’agit des «jeunes remontés à bloc» qui «se sont battus avec les moyens du bord». Ces jeunes qui ont «usé d’un courage insolite afin de venir à bout d’une milice qui leur tirait dessus, par des missiles antiaériens». Des bombes fabriquées «avec des boites de conserves» ajoutées à celles récupérées des «milices» et «assaillants» du pouvoir ! «L’un d’entre eux, a rempli sa voiture par ces bombes artisanales et des butanes de gaz et a foncé sur la porte de la garnison, faisant exploser cette dernière» a-t-on raconté au médecin marocain.
Liberté... fraternité
Mais ce qui semble le plus impressionner l’auteur de la missive, c’est la réapparition de la fraternité entre tribus de cette localité. Un des traits «légendaire des Arabes qui s’est amenuisé un peu par la mauvaise gouvernance et la rapacité de la mondialisation capitaliste.» A Benghazi, ajoute-t-il, «les Libyens m’ont dit qu’ils ont retrouvé leurs âmes qui leurs ont été confisquées. Ils se sentent frères et sœurs, ils respirent enfin, un air pur, celui de la liberté retrouvée. Ils s’activent dans l’entraide et le partage.»
Pour le médecin, cette ère de liberté à Benghazi (si toutefois Kadhafi ne se ressaisisse pas de la ville) fait réfléchir «toutes ses forces d’ (in)sécurité qui sévissent dans le monde arabe et qui ne sont que le reliquat du temps colonial». Au lieu de protéger et de la servir, elles passent leur temps à «terroriser la population et la racketter». D’où cet appel du fond du cœur : « Il est temps que les peuples se débarrassent des reliquats de la colonisation et recouvrent leur dignité.»