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Interview

Samya El Alami de l’AMDOT : « Sensibiliser les Marocains au don d’organes » et « en parler lorsqu’on est donneur potentiel »

Le Maroc a célébré hier la Journée nationale de sensibilisation au don d’organes et des tissus, qui coïncide avec la Journée mondiale du don d’organes. Un combat de longue haleine a finalement accouché de la loi n°16-98 régissant le don et la transplantation des organes et des tissus humains. Mais la bataille ne s'arrête pas là.

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Photo d'illustration. / L'Obs
Temps de lecture: 4'

Les Marocains restent peu informés sur le don d’organes. En cause, le manque de sensibilisation et d’information, pointé du doigt par des ONGs telles que de l’Association marocaine pour le don d’organes et de tissus (AMDOT). D’ici dix ans, cette chirurgie leur sera peut-être plus familière, espère la présidente, Samya El Alami.

Le communiqué à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de la transplantation d'organes et de tissus humains du ministère de la Santé parle d’une «cadence qui s'est accélérée de manière spectaculaire» ces dernières années. Constatez-vous cette évolution ?

Il faut dire que si on compare le Maroc avec d’autres pays étrangers, on en est encore très loin. Mais en matière d’évolution, oui ça avance. Il reste encore beaucoup de travail à faire car il y a un manque d’informations. Les Marocains ne sont ni sensibilisés ni informés sur le plan juridique. Seules les familles touchées sont informées. Il faut donc aller chercher les personnes qui n’y sont pas confrontées. Je crois que les juristes ont fait leur travail. Désormais, c’est aux médias et aux associations de poursuivre cette sensibilisation. Aujourd’hui, le donneur passe devant une commission juridique. Les gens ne savent pas vraiment qu’il y a des réseaux ou des enjeux. Il faut dire que ce sont seulement les hôpitaux publics qui ont l’autorisation d’effectuer ce genre d’opérations. Ce sont des gens compétents et très professionnels en matière de chirurgie notamment, mais aussi en termes de sensibilisation.

Comment rassurer les Marocains pour les encourager à faire don de leurs organes ?

Ils doivent savoir qu’à partir du moment où c’est le secteur public et les CHU qui s’en occupent, il n’y a pas de manigances ou d’enjeux financiers qui découlent de tout ça. Nous, en tant qu’associations, on craint le privé. On veut que cette situation reste telle qu’elle et que le privé ne s’en charge pas.

Par rapport à l’aspect religieux, il faut savoir que les oulémas ont ouvert cette porte. Maintenant, il s’agit d’un sujet nouveau auquel la population doit être sensibilisée. Cela prendra du temps et c’est notre rôle à nous tous d’intéresser les Marocains et de les sensibiliser à cette cause.

Pour le donneur vivant, il est libre de faire don d’un organe qui n’est pas vital, mais il faut qu’il y ait un lien familial. Donc soit à ses ascendants, soit à ses descendants. En d’autres termes, à ses parents, ses frères et sœurs, ses tantes et oncles ou ses cousins. Une personne vivante ne peut recevoir que de sa famille proche et ne donner qu’à ces gens-là. Ce cercle est instauré pour éviter toute question de trafic ou d’argent. Le prélèvement d’un organe vital d’un donateur n’a lieu que lorsqu’il est déclaré mort encéphalique pour qu’on puisse retirer les organes dans les heures qui suivent le décès.

Il existe aussi un registre des donneurs auprès des tribunaux du Maroc. Que pensez-vous de ce mécanisme ?

Le registre des donneurs vivants auprès des tribunaux connaît tout de même quelques lacunes. Bravo aux gens qui l’ont mis en place ; on sait que ça n’a pas été évident. Maintenant, il faut évoluer et l’adapter. Actuellement, seuls les personnes détentrices d’une CNIE (carte nationale d'identité électronique - la carte d’identité nationale, ndlr) et d’une résidence dans une ville peuvent s’enregistrer. Par exemple, si moi j’ai la résidence à Nador mais que j’habite à Rabat, je ne peux m’enregistrer qu’à Nador. Pour le moment, c’est comme ça.

Ensuite, si je suis inscrite, que je décède chez moi et que mes proches ne savent pas que je figure sur ce registre, ils vont m’enterrer sans pour autant que les personnes en attente de donneurs pour une greffe profitent de mes organes, conformément à mon souhait. L’information de mon décès ne sera donc pas transmise aux services concernés. Finalement, sur ce point, ce qui a été fait jusqu’à maintenant reste insuffisant.

Parce que justement certains proches s’y opposent après le décès du donneur…

C’est assez courant d’informer ses proches en cas de décès pour respecter un vœu, un souhait ou un testament. Le don d’organe doit aussi en faire partie. Il faut dire à ses proches qu’on est sur le registre des donneurs et qu’il faut, en cas de mort encéphalique, faire don de nos organes. Il faut aussi leur interdire de s’opposer à cette décision après notre mort. Parce que, même avec le registre et en cas de mort encéphalique, lorsque les proches s’opposent à cette opération chirurgicale, personne n’a plus le droit de toucher à la personne décédée. Il faut donc les préparer, parce que ce sont eux les décideurs après notre décès. La meilleure solution reste de les convaincre.

Récemment, le père d’une fille âgée de 13 ans avait fait don de l’ensemble des organes de son enfant. Il a reconnu qu’il s’agissait d’un acte hautement charitable. Ça n’est pas facile d’arriver à ce stade de conscience. Les médecins font face à beaucoup de difficultés dans un moment de deuil et de chagrin. Nous devons en parler autour de nous. Il faut également être conscient que tout se passe dans le plus grand respect du corps. Les médecins et les chirurgiens ne vont pas charcuter la dépouille de la personne. Ils pratiquent le prélèvement de façon très discrète et très professionnelle et le corps est remis à la famille dans un bon état.

Selon vous, quelle est la clé de réussite pour avoir un maximum de personnes donatrices de leurs organes ?

La sensibilisation, et elle va prendre du temps. Je pense que ce n’est pas au bout de deux ou trois ans que tous les Marocains seront conscients de l’importance de cet acte et de cette cause. Peut-être que dans 10 ans cette opération deviendra plus familière. Déjà actuellement, il faut avouer qu’on en parle difficilement. Il faut aussi régler pas mal de soucis au niveau de la prise en charge sociale. Tout le monde ne bénéficie pas d’une prise en charge nécessaire. Tout le monde n’a pas l’argent qu’il faut pour gérer la situation du malade et celle du donneur. C’est d’ailleurs le combat que mènent les associations.

Une journée dédiée à la sensibilisation au don d'organes

En partenariat avec la Jeune chambre internationale (JCI), l’AMDOT organise mercredi 19 octobre à la faculté de médecine dentaire de Rabat, dans le quartier estudiantin de Madinat Al Irfane, un événement spécial pour célébrer cette journée nationale et mondiale. Des activités sont prévues de 10 heures à 16 heures pour sensibiliser les gens au don d’organes et de tissus.

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