Cela n’a évidemment pas pris la forme d’un débat feutré dans un club de bridge. Il y a de l’affrontement, des noms d’oiseaux, et même des coups bas. Les initiateurs du Mouvement du 20 février ont subi la première salve : vous êtes payés ou manipulés par le Polisario et l’Algérie. Peut être même par l’Espagne, Israël, les Etats-Unis et le Ku Klux Klan. Puis quand une vidéo montra une série de Marocaines et Marocains expliquer pourquoi ils sortiraient le 20 février, les attaques sont devenues plus personnelles. Untel se serait converti au christianisme puisqu’on le voit en photo dans une cathédrale à Rabat, une autre est devenue la petite amie du vieux leader du Polisario (encore eux) à savoir Abdelaziz Marrakchi. Photo avec une très vague ressemblance prise en Espagne en 2006 alors que la jeune fille n’a jamais dû quitter les frontières du Royaume. D’autres sont devenus homosexuels, prostitués, athées, alcooliques, joueur de black jack, etc…
3i9na bikom
Toutes ses calomnies ont amusé les personnes qui se reconnaissaient dans les revendications du Mouvement du 20 février, ou qui en avaient tout simplement marre des injustices, de la corruption, du népotisme, et des inégalités. On a d’ailleurs vu fleurir les statuts ou commentaires sur Facebook et Twitter, assez amusants : «je suis un Algérien homosexuel converti au christianisme, et je vais sortir le 20 février au Maroc», «je suis une prostituée islamiste alcoolique membre du Polisario, et je vais sortir le 20 février au Maroc». Le message était clair : «toutes vos attaques sont ridicules», ou comme l’a bien dit Mohamed Aliouine, un courageux Marocain aux Etats-Unis : «3i9na bikom», «nous ne sommes pas dupes».
Ce que les anti-mouvement du 20 février n’ont pas compris, c’est que cette tentative de disqualification dont on avait l’habitude au Maroc est dépassée. Car peu importe qui a allumé l’étincelle, l’essentiel était de lancer le mouvement. Et même ceux qui étaient réticents au départ, sont en train de rejoindre petit à petit, parfois à reculons, la demande de réformes. Partis politiques, patronat, et acteurs de la société civile rejoignent la marche…
Métaphore du guichet de banque
Lorsque vous avez une longue file d’attente au guichet de votre banque, vous avez à chaque fois un «moul chkara» qui se pointe. Il dépasse tout le monde, se dirige droit vers le guichet et pose ses liasses de billets. La guichetière, au lieu de lui signifier qu’il doit faire la queue comme tout le monde, le sert comme s’il valait plus que les autres clients. C’est ce qu’on appelle en darija : «el hogra». Personne n’ose gueuler parce que trop timide ou parce que terrassé par le fatalisme. Mais il suffit d’une seule personne trop fière pour se laisser marcher sur les pieds, pour qu’une bonne partie des «sous-citoyens» recouvre son pouvoir d’indignation.
Mais dans ce cas précis, personne ne demande le CV de celui qui a allumé la mèche. Personne ne va fouiller son passé pour savoir si lui-même n’est pas un nanti, un alcoolique anonyme, un pas-tout-à-fait-musulman, un membre de la cellule dormante d’Al Qaida… Et c'est exactement cela qui s’est passé pour le mouvement du 20 février. Peu importe l’identité des initiateurs où même s'ils on retourné leur veste, l’essentiel est dans la prise de conscience et la fin du fatalisme.
L’ami Chicoré
Aujourd’hui le réveil a sonné. Certains ayant avalé un peu trop de somnifères la veille veulent faire la grasse matinée. Personne ne leur ôte ce droit. Le droit au sommeil devrait d’ailleurs être inscrit dans la charte des droits de l’homme. Mais vouloir que ceux qui sont désormais réveillés retombent dans les bras de Morphée, c’est tout simplement impossible. Ces jeunes ont décidé de ne pas faire comme leurs aînés et de ne pas devenir à leur tour des Hibernatus. Regardez les hommes politiques ou certains leaders d’opinion ne rien comprendre aux changements en cours dans ce pays. Ils se sont assoupis pour une sieste de quelques minutes, et finalement ont hiberné pour se réveiller dans une société complètement étrangère à ce qu’ils ont connu dans le passé.
Comment ne pas s’indigner face à ces membres du gouvernement qui utilisent le parapluie royal pour éviter toute critique. Dans toutes les conférences de presse d’un ministre, vous le verrez invoquer les «hautes directives royales» comme alibi à son incurie. Essayez de poser une question pour faire un bilan de l’action du ministre ou sur la pertinence du choix du TGV pour le Maroc ! On vous répondra : «c’est une priorité de Sa Majesté». La proximité ou l’évocation de la tutelle royale suffit pour excuser tous les retards, les choix inopportuns ou la mauvaise gestion. Et l’opinion des citoyens ? Quels citoyens ?
Parodie de démocratie
Les députés et les ministres sont censés rendre des comptes auprès de leurs administrés, sinon nous ne sommes pas dans la démocratie tant ressassée par les médias officiels. On nous a tellement chanté les charmes de la démocratie à la marocaine qu’on risque d’en être dégouté avant même d’avoir vu son visage. Comment voulez-vous croire à cette démocratisation de façade quand le chef du parti majoritaire élu en 2007, devenu Premier ministre, nous annonce fièrement : «J’appliquerai le programme de Sa Majesté». A quoi sert cette mascarade électorale inutilement couteuse ? Les 35% d’électeurs devraient faire comme les 65% d’abstentionnistes et ne plus aller voter. A quoi bon participer à un suffrage si le programme qu’on a choisi est enterré au cimetière de l’expression populaire ? On touche là le nœud gordien de l’incohérence démocratique du Maroc.
L’électrochoc
Le Maroc vient de vivre un sacré électrochoc. Même les plus aveugles qui avançaient que le Maroc fera exception, que le Royaume n’est pas la Tunisie ou l’Egypte, se sont rendus compte que des réformes importantes et rapides sont inévitables. Le discours officiel avait d’ailleurs était préempté par tous les pays qui ont vécu des révoltes : Moubarak disait que l’Egypte n’est pas la Tunisie. Kadhafi répète encore que son peuple l’aime. L’Algérie, notre voisin estime également qu’il ne faut faire aucune comparaison avec la Tunisie ou l’Egypte. Zut ! Ils nous ont tous copié ou quoi ?
L’exception marocaine ne pourra se concrétiser seulement si le roi Mohammed VI entend son peuple réclamant de la dignité, et si des réformes radicales sont entreprises. Ainsi, le Maroc pourrait devenir le seul pays de la région à procéder à une évolution démocratique en douceur, sans dégâts et avec une symbiose entre le roi et son peuple. Ce type d’évolution fait justement partie de la culture et de l’histoire du Maroc, puisque c’est cette alliance qui a fécondé l’indépendance du Maroc en 1956.