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Grand Angle

Disparition de certains dialectes marocains : « La vie d’un parler dépend avant tout de la communauté qui la porte » (Partie 2/2)

La disparition de certains dialectes amazighs, que nous avons évoquée dans un précédent article, est notamment due à l’exode rural, au caractère restreint de certaines communautés et à leur abandon par l’Etat, explique l’écrivain Ahmed Assid, spécialiste de la question amazighe. Détails.

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Un cours de langue amazighe dans une école à Rabat, le 27 septembre 2010. / Abdelhak Senna, AFP
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Au Maroc, les langues se taisent. Pas celles que la politique d’arabisation menée à partir de l’indépendance a porté sur le devant du paysage linguistique marocain, qu’on conjuguera au singulier ; l’arabe, puis plus récemment le tifinagh. Plutôt celles qui, pendant longtemps, ont été reléguées aux provinces rurales, aux douars qui hébergeaient les populations amazighes du royaume. Des dialectes reçus en héritage de «langues mères», comme c’est probablement le cas du sanhaja de srayr, qui a accouché du zenaga, du chleuh et du kabyle. «Ces langues ont été délaissées pendant des décennies, négligées par l’Etat, car elles n’étaient pas enseignées. Elles n’ont fait l’objet d’aucun travail académique», regrette l’intellectuel et écrivain Ahmed Assid, spécialiste de la question amazighe.

Des carences éducatives couplées au caractère restreint des communautés censées les faire perdurer. «La plupart de ces langues sont pratiquées par de petites communautés, quelques milliers de personnes, pas plus. Ces populations sont limitées. Or, la vie d’un parler dépend avant tout de la communauté qui la porte et la rend fonctionnelle», analyse-t-il.

Sauf que la transmission d’une langue d’une génération à l’autre recouvre parfois un air de défi face à un phénomène que ces populations connaissent bien : l’exode rural. C’est là aussi l’origine du déclin du patrimoine linguistique marocain, d’après Ahmed Assid : «La migration vers les grands centres urbains a vidé le monde rural de ses habitants, ce qui a favorisé la disparition progressive de la langue d’une génération à l’autre. Lorsqu’il arrive en ville, un Amazigh est obligé d’emprunter d’autres langues, la darija notamment. Il fait une sorte de ‘nœud de la langue’ ; il l’oublie car il se rend compte que c’est une langue peu fonctionnelle, pas très respectée. Il va ainsi lui-même négliger son parler en ne le diffusant pas auprès de ses enfants, craignant qu’ils soient marginalisés et subissent les discriminations culturelles dont lui-même a été victime. Il adopte donc la langue dominante, les langues de l’administration - le français et l’arabe -, privilégiant celles qui vont garantir à ses enfants une place dans la société et des privilèges sociaux».

Les médias en renfort ?

Mises au ban par l’Etat, menacées par la migration, ces langues qui disparaissent contiennent aussi souvent des phénomènes linguistiques rares. «Rares et limités», abonde Ahmed Assid. «Certains parlers de l’amazigh présentent un tronc commun. Par exemple, il y a plusieurs termes pour signifier le mot ‘tête’ dans plusieurs petits dialectes. Certains termes sont standards et peuvent coexister avec tous les changements socioculturels. Mais les mots rares utilisés dans des petites localités finissent par disparaître», constate le spécialiste.

A terme, ces disparitions progressives risquent d’amputer la nation marocaine d’une partie de son patrimoine, redoute encore le militant berbère. «Quand un dialecte millénaire s’éteint, c’est une grande perte pour l’humanité. Les Marocains n’ont pas la valeur du bien symbolique du passé, ils ne connaissent pas leur histoire, leur patrimoine et ne se rendent donc pas compte de ce qu’ils perdent.»

Pourtant, l’appareil étatique semble aujourd’hui vouloir rattraper le temps perdu. La reconnaissance de l’amazigh comme langue officielle aux côtés de l’arabe dans la Constitution de 2011 est déjà une première pierre portée à l’édifice. «L’Etat parle de la gestion rationnelle de la culture et du patrimoine, de la diversité linguistique et culturelle qui a marqué notre pays. C’est une chose fondamentale», salue Ahmed Assid. Ce dernier fustige toutefois les tergiversations du gouvernement, «qui a traîné des pieds pendant cinq ans» pour le projet de loi organique fixant les étapes de mises en œuvre du caractère officiel de langue amazighe et les modalités de son intégration dans l’enseignement et les différents secteurs prioritaires de la vie publique.

La mise en place prochaine du Conseil national des langues se greffe également à ce projet de loi. Deux mesures qui, selon Ahmed Assid, pourraient être couronnées par l’intégration de la diversité culturelle et linguistique dans les médias marocains à travers la pratique de ces dialectes.

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