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Grand Angle

Sondages à caractère politique : Les opinions divergent sur l’interdiction du ministère de l’Intérieur

La réalisation ou la publication de sondages d’opinion à caractère politique est interdite, a indiqué lundi le ministère de l’Intérieur dans un communiqué parvenu à notre rédaction. Le département de Mohamed Hassad évoque l’argument de «l'absence d'un cadre législatif régissant les sondages d’opinion et leur contrôle ». Pour comprendre cette interdiction, nous nous sommes adressés à des politologues et des professeurs de sciences politiques. Si tous les intervenants appellent à la mise en place de ce cadre, leurs avis sur l'interdiction divergent. Témoignages.

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Photo d'illustration. / DR
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Vivier de terroristes nouvellement démantelé ou critiques qui pleuvent sur un parti politique qu'il se garde de nommer ? Le dernier communiqué de presse du ministère de l'Intérieur parvenu à notre rédaction est d'un tout autre registre : il annonce l'interdiction des sondages d'opinion à caractère politique.

Le département de Mohamed Hassad se base sur les dispositions de la loi 57.11. Un texte qui stipule, dans son article 115, qu’il est «interdit de réaliser des sondages d'opinion ayant un rapport direct ou indirect avec un référendum, des élections législatives ou des élections de conseils de collectivités territoriales ou de chambres professionnelles». Une interdiction qui concerne « la période allant du 15e jour précédant la date fixée pour le début de la campagne référendaire ou de la campagne électorale, jusqu'à la fin des opérations de vote»

Le communiqué du ministère ne fait sans doute pas l’unanimité au sein de la confrérie universitaire - professeurs de droit et politologues - et auprès des militants associatifs. Entre ceux qui se disent favorables à cette interdiction, ceux qui la critiquent et ceux qui s'abstiennent de trancher, les opinions divergent.

«La vraie démocratie est l’expression par le bulletin de vote»

Contacté ce jeudi par notre rédaction, le politologue Mustapha Sehimi déclare être favorable à la mesure prise par le ministère de l’Intérieur. «Cela permet au citoyen de se déterminer non pas en se basant sur des sondages scientifiques, pseudo scientifiques ou pas du tout scientifiques, mais en exerçant son droit de vote dans des conditions de sérénité et de crédibilité», défend-t-il.

Mustapha Sehimi estime qu'«il ne faut pas que les sondages fassent les élections comme on le voit souvent dans des pays européens ou ailleurs, avec ce qu’on appelle la démocratie d’opinion, parce que cette dernière doit être relativisée. La vraie démocratie est l’expression par le bulletin de vote».

Tout en qualifiant de «regrettable» l’absence d’un cadre et d’un texte législatif régissant l’activité des instituts de sondage au Maroc, le politologue rappelle qu’au royaume, «il n’y a pas une culture du sondé ni même une culture du sondage». Selon lui, «les citoyens sont très réservés quand ils sont sondés et le sont aussi concernant les résultats des sondages».

De son côté, Khalid Jamaï, journaliste et homme politique istiqlalien qualifie de «bonne décision» l’interdiction annoncée par le département de Mohamed Hassad. «On peut bien reprocher au ministère de l’Intérieur tout ce qu'on veut mais sur le plan juridique, il a raison», argue-t-il. Tout en appelant à la création d’un organisme «indépendant, constitué de professionnels et suffisamment crédible pour réaliser des sondages d’opinion fiables», Khalid Jamaï ne manque de pointer du doigt les partis politiques représentés au Parlement qui «n’ont pas présenté de projets dans ce sens».

Pour sa part, Abdelali Hamieddine, membre du secrétariat général du Parti de la justice et du développement (PJD) indique que l’interdiction ne concerne que la période allant du 15e jour précédant le début de la campagne électorale jusqu’à la fin de l’opération de vote. «En dehors de ce cas, personne n’a le droit d’interdire les sondages via les sites Internet ou d’autres canaux parce qu’il n’y pas une loi qui interdit ces sondages.»

«Démarche liberticide», «volonté d’autoritarisme» et «arbitraire primaire»

Toutefois, l’interdiction par le ministère de l’Intérieur des sondages d’opinions à caractère politique à la veille des élections n’enchante pas tout le monde. Sur sa page Facebook, l’écrivain Mohammed Ennaji a estimé mercredi que «dans une société comme la nôtre, l’interdiction du sondage trahit d’abord l’absence d’une démocratie véritable». Pour lui, le sondage est un «instrument propre aux démocraties, où le pouvoir politique est l’enjeu des élections»

«Jadis, on recourait aux sorciers, aux chamanes, aux kahana pour prédire, en décodant les mystères du ciel, ce qui sera ou ne sera pas», rappelle-t-il. Et d’ajouter : «Dans une société où l’autorité suprême est de légitimité divine, on n’a pas besoin de sonder parce que les jeux sont faits d’emblée».

Même son de cloche chez le militant associatif Fouad Abdelmoumni. Contacté par notre rédaction, ce dernier persiste et signe. «C’est une démarche délibérée, liberticide et qui relève de la volonté d’autoritarisme et d’arbitraire primaire, puisque le pouvoir monarchique veut continuer de disposer tout seul de tous les moyens de connaissance, d’influence et de décision», déplore-t-il.

Pour lui, l’interdiction vise à «priver certaines forces politiques de l’accès à cette information et l’accès à certains médias pour que justement cette information ne soit utilisée que par le service des beaux clients du pouvoir monarchique».

Fouad Abdelmoumni indique aussi que l’«Intérieur, en décidant de servir ses candidats, agit en tant que parti politique et non pas en tant que force administrative neutre».

Ne pas critiquer le ministère mais plutôt la loi

Dans les rangs des professeurs de sciences politiques, le discours, pondéré, tend à expliquer cette décision sans tacler le ministère de l’Intérieur. Abdessamad Belkabir, professeur de sciences politiques à l'université Cadi Ayyad de Marrakech, ancien membre de l’OADP (Organisation de l’action démocratique populaire) et du PSD (Parti socialiste démocratique), explique que «l’interdiction ne concerne que les sondages dont les résultats sont publiés à la veille des élections». Ce dernier considère encore que «l’interdiction ne devait pas être obligatoire avant la campagne électorale».

«En tenant en compte du principe de l’égalité des chances même si cela reste théorique, les sondages ont une influence sur les citoyens, que ce soit de manière positive ou négative. Le jeu du sondage est connu pour être subjectif ou émanant d’organismes pas du tout neutres», analyse-t-il.

Pour sa part, Abderrahim Elaalam, professeur de sciences politiques et président de l'Union des écrivains du Maroc (UEM), détaille les deux segments de cette question : « Il y a deux volets : la légalité de l’interdiction et sa légitimité. Pour la première, le ministère de l’Intérieur a fait appel à une loi qui existe depuis 10 ans».

Du point de vue légal donc, le ministère de l’Intérieur ne franchit pas la ligne rouge. «Pour ce qui est de la légitimité, il ne faut pas critiquer le ministère mais plutôt cette loi puisque plusieurs pays démocratiques font appel à ces sondages qui font parties de l’opération politique et démocratique», conclut-il. 

Pour rejoindre l’avis de son collègue, Abderrahim Elaalam affirme avoir «toujours dis que les sondages peuvent intervenir même jusqu’au dernier jour du scrutin pour donner un aperçu sur l’opération».

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