Monsieur le Ministre,
Technocrate sympathique, j’assimilai votre présence à une nécessaire gestion rationnalisée de nos affaires sportives. Un des malheurs de notre gouvernance est d’avoir trop d’hommes politiques qui sont piètres managers, et trop des managers qui ne sont pas hommes politiques.
Jusqu’à récemment, vous bénéficiez pour beaucoup d’entre nous de l’indifférence
bienveillante que l’on accorde à un technocrate au portefeuille inoffensif, changeant de partisans états d’âme, pourvu qu’il fasse son travail correctement. Vu l’état de délabrement de nos institutions, c’est dire que la barre n’était pas haute. Pourtant, vous venez de la dépasser par le bas, et spectaculairement.
A tout prendre, je pensai un homme tel que vous préférable à un Khalid Naciri. Je vous découvre marchant sur ses pas en le bousculant sur sa droite.
Là où le porte-parole du gouvernement oppose une indifférence tranquille aux appels à manifester le 20 février, vous écrivez sur votre page Facebook «traitres» ou encore «ennemi de la Nation».
Monsieur le Ministre, relisons ensemble les revendications de ces «traitres» et «ennemis»qui sont mes amis et votre relève, la seul qui vaille en fait.
Que veulent-ils ? Envoyer Monsieur Abbas El Fassi jouir d’une retraite dont on laissera aux historiens le soin de juger si elle est méritée.
Ensuite ? Obtenir les quatre points suivants :
1) Une réforme constitutionnelle dans le sens d’un Etat réellement démocratique
2) Des réformes sociales qui garantissent à tous une vie décente
3) Une justice indépendante qui garantisse les libertés fondamentales
4) Un respect complet des Droits de l’homme, sans exceptions d’aucune sorte.
Sans doute avez-vous été rebuté par l’une de ces quatre revendications ? Par toutes
les quatre ? Les trouvez-vous à ce point subversif ? Le RNI a-t-il donc une position diamétralement opposée à cela ?
Pourtant, en lisant les commentaires sur votre page, j’en viens à me dire que –finalement- les aspirations de vos supporters ne sont pas lointaines de celles de vos détracteurs. Quelques différences importantes les séparent : les premiers applaudissent à tout rompre la politique du gouvernement, les seconds la rejettent. C’est –somme toute- l’exercice même de la démocratie.
Voila pourquoi vos mots ont un sens terrible pour moi. A un appel ayant pour objet des revendications aussi raisonnables, vous réagissez par l’apostasie : vous érigez une position, celle du gouvernement, en norme absolue. En cela, votre démarche ressemble à celle de l’intégrisme religieux. En identifiant vos positions et vos intérêts à ceux du pays, vous faites de vos adversaires ceux du Maroc tout entier.
N’habillez pas votre intérêt personnel des habits de celui de la Nation. Le costume est tropgrand et vous vous y prenez les pieds.
Et puis la ficelle est trop grosse. C’est même une corde : les partis politiques marocains s’y sont pendus. Faut-il vous rappeler le taux de participation aux dernières élections ? Le multipartisme olympique de notre Parlement ?
Ministre d’un gouvernement de coalition hétéroclite, vous n’êtes pas tout à fait responsabledevant un Parlement qui n’est pas franchement élu. Les citoyens ne votent pas, et vousrestreignent à une légitimité de procédure. Comment leur en vouloir ? Les partis, et le vôtre entête, jouent la comédie devant un public qui s’en fiche.
Vous vous posez en imam d’un nouvel intégrisme qui a ses croyants. Certains de mes amis s’amusent à l’appeler le «khobzisme», entendant par là cette fameuse doctrine benalisante selon laquelle, «le pain d’abord, la liberté ensuite». D’autres restent à la traditionnelle dénonciation d’un makhzen qui croit que le progrès se chiffre en kilomètres d’autoroutes nouvelles.
Quelle étrange conviction que celle qui pose la croissance économique en préalable à la justice. Ainsi, il nous faudrait être plus développés ou plus éduqués pour enfin ne plus se faire tuer dans un commissariat ? Pour ne plus avoir à corrompre pour obtenir un service de droit ? Et dénoncer cet état de fait nous vaudrait donc le qualificatif de «traitre» ?
Ceux que vous appelez ainsi sont en réalité les forces vives de notre pays. Et votre surdité à leurs revendications est inquiétante. Elle est de celle dont on fait les révolutions. Car à opposer une réaction hystérique à des revendications conventionnelles, on les radicalise fatalement. A défaut d’emporter l’adhésion des progressistes libéraux, vous risquez de ne laisser comme alternative crédible que celle qui n’est ni progressiste, ni libérale.
Voila pourquoi, Monsieur le Ministre, vous m’avez profondément déçu et amené à réviser mon jugement sur vous. La prochaine fois qu’un ami me demandera «Et Belkhayat, tu en penses quoi ?»
Je lui répondrai : «Bof, un Naciri comme tant d’autres».