Depuis plusieurs mois au Maroc, la polémique enfle sur les réseaux sociaux autour d’une société de vente de produits cosmétiques à base d’huile d’argan et de figue de barbarie : Learn & Earn Cosmetique (L&E). Tout l’intérêt est dans le système de rémunération qu’elle propose à tous ses adhérents : gagner plus en ramenant plus de nouveaux adhérents. C’est ce qu’on appelle la vente pyramidale ou le système de Ponzi, en référence à Charles Ponzi, un anonyme Italien devenu millionnaire en six mois, grâce à un montage financier frauduleux consistant à rémunérer les investissements des clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants.
Plusieurs personnes -flouées ou non- appellent les Marocains à la vigilence contre ce type de business qui a, rappelons le, ébranlé le marché financier américain et international en 2008, après l'éclatement de la bulle formée par Bernard Madoff. «Le système pyramidale est vieux comme le monde, c'est une arnaque à éviter, le seul gagnant là-dedans c'est la société [du moins, jusqu’à essoufflement du système, ndlr]», interpelle Alaa-eddine Kaddouri, un ingénieur marocain résidant en France, dans un post sur Facebook qu’il a assorti d’un reportage de France 2 sur le cas d’une société française.
Des investisseurs qui attendraient toujours de percevoir leurs intérêts
Et il n’est pas le seul. Plusieurs jeunes ont récemment publié des vidéos sur Youtube pour décortiquer mathématiquement les méthodes utilisées par L&E, appelant leurs concitoyens à ouvrir les yeux. Sur Facebook, les publications se multiplient, comme celle d’A.A qui prend la peine d’expliquer par écrit le fonctionnement de L&E.
De plus, une page baptisée «Contre l’arnaque de Learn&Earn» a même été créé en octobre dernier pour sensibiliser les internautes. L’administrateur, Mohamed -infirmier dans une clinique à Safi- dit avoir «échappé» au système. Approché par des amis pour investir dans L&E, le jeune homme décide d’en savoir plus sur ce business «si facilement rentable». «Je me suis rendu compte que c’est tout simplement de l’arnaque. Ils rémunèrent les premiers arrivés avec l’argent investi par les nouveaux, ça ne peut pas tenir», estime l’homme qui compte au moins 5 collègues enrôlés dans cette aventure. «Malheureusement leur capital a été bloqué. Cela fait deux mois qu’ils sont éligibles à la rémunération des intérêts, ils n’ont jamais rien reçu», explique Mohamed, soulignant que l’un des médecins associé de la clinique est «tombé dans le piège». «Il a investi 70 000 dirhams et se retrouve aujourd’hui en mauvais termes avec ses associés et sa famille», raconte-t-il.
«Système pervers»
En effet, L&E promet à ses adhérents jusqu’à 2% de rendement quotidien. Des sommes qu’ils peuvent commencer à toucher environ 70 jours après leur premier investissement. Pour Alaa-eddine Kaddouri, la perversité de la vente pyramidale réside dans le fait que «les victimes deviennent complices, car chacune d’elle souhaite au moins rentabiliser sa mise avant de "quitter le navire". Pour cela, elle n'a pas d’autre choix que d'arnaquer d'autres personnes», explique-t-il à Yabiladi. C’est ainsi que l’engrenage se forme.
L’ingénieur estime d’ailleurs que ceux qui restent dans le business deviennent généralement conscients de l’arnaque. «La plupart des victimes se rendent compte à un moment ou un autre de la supercherie mais ce sont généralement des gens démunis qui ne cherchent pas de problèmes qui souhaitent juste récupérer leur argent», dit-il. Mais ce que les sensibilisateurs regrettent le plus dans ce cas de figure, c’est le reniement de tout principe d’éthique «favorisé par le système». «Pour gagner de l'argent il faut recruter des gens et dans l'immense majorité des cas, ces nouvelles victimes sont des amis, des proches, de la famille…», relève l’ingénieur.
Le jeune PDG tente de calmer la tension
Au cœur de la polémique, L&E a publié la semaine dernière une vidéo sur Youtube dans laquelle le PDG, Zakaria Fathani, insiste sur la légalité de son activité.
Joint par nos soins ce vendredi, pour répondre à toutes ces alertes persistantes sur la Toile en dépit de la réaction du PDG, L&E nous a répondu par voie de communiqué. Se décrivant comme «une success story 100% marocaine», la société estime que l’audit récemment commandée est une «preuve qu’elle agit dans la légalité».
Une enquête démonte l'argumentaire de la société
Pourtant une enquête menée en septembre dernier par nos confrères du magazine Telquel dit tout le contraire. Alors que l’entreprise créée en 2013 a souvent justifié ses bénéfices impressionants par la commercialisation de ses produits à l’étranger, notamment dans les pays du Golfe, l’hebdomadaire n’avait découvert «aucune activité commerciale» dans les bilans comptables de l’entreprise à cette date. Et un dirigeant d’une grande banque casablancaise leur avait clairement confié «les taux proposés par cette entreprise sont impossibles dans l’économie réelle». A ce moment, les taux d’intérêt (de l’épargne) étaient autour de 2 % par an. «Des rendements aussi faramineux ne peuvent être garantis que par une fraude. Un système de Ponzi peut le permettre», avait-il assuré.
Pour la justice
Ce qui inquiète les internautes sensibilisateurs, c’est l’engouement que suscite ce type d’activité auprès des Marocains. «Les sociétés qui s’y adonnent ne font pas uniquement dans le cosmétique. Il y a aussi des sociétés qui vendent des boissons énergisantes, des objets ayant des propriétés miraculeuses…», cite un des sensibilisateurs. A début des années 2000 déjà, trois sociétés faisaient particulièrement l’objet de mise en garde sur la Toile. Il s’agit de Surlune, Hemisphere et la «célèbre» société espagnole Relevance.
De son côté, la justice commence à sévir. En janvier dernier, un ressortissant soudanais a été arrêté et déféré devant la justice pour avoir escroqué près de 6000 Marocains via une société fictive. Il promettait aux «investisseurs» des gains rapides, des voyages à travers le monde, assortis de réductions de 40% pour la location de voitures et les nuitées dans les hôtels, selon Al Massae. Tout ce que ces derniers avaient à faire : ramener de nouveaux membres qu’ils parraineraient.
Aujourd’hui, beaucoup restent confus quant à l’engouement de milliers de personnes pour ces business de gain facile. Mais pour les sensibilisateurs, «la répétition est la mère des sciences», estiment-ils. Mohamed l’infirmier de Safi, pour sa part, entend poursuivre le combat jusqu’à en dissuader le plus grand nombre.