«Actuellement, la mine [d’Imiter] utilise 1 million de m3 d’eau par an», annonce Farid El Hamdaoui, chef d’exploitation chargé des ressources humaines et du développement durable pour la Société Metallurgique d’Imiter (SMI), dans une région où le manque d’eau est un problème structurel. Une telle consommation fait toujours débat dans la Province de Tinghir où ses 322 301 habitants consomment, selon le ratio national moyen de 100L par jour et par habitant, 11,7 millions de m3 par an. La mine d’Imiter représente ainsi l’équivalent de 8,7% de la consommation d’eau potable et industrielle dans la province de Tinghir. A titre de comparaison, Ouarzazate, la plus grande ville de la région, et ses 71 000 habitants consomment 2,6 millions de m3 par an.
«Nous ne prenons dans la nappe phréatique que 300 000 m3 par an ‘d’eau fraiche’, insiste Farid El Hamdaoui. Le reste, les 700 000m3, c’est l’eau d’exhaure, pompée au fonds de la mine. » Cette eau apparaît dans toutes les exploitations minières, par infiltration, dès lors que les galeries pénètrent assez profondément dans le sol. Les galeries de la SMI atteignent 400m de profondeur. Pour exploiter le minerais, la mine doit, de toute façon, pomper cette eau.
700 000m3 d’eau d’exhaure
« Qu’ils soient d’exhaure, ou n’importe quoi d’autre, ces 700 000m3 sont toujours pompés dans les réserves d’eau de la région ! », rappelle Mohamed Daoudi, l’un des leaders du mouvement «Movement on the road 96 Imider». Cette eau est effectivement puisée dans les ressources en eau disponibles sur le territoire de la Province, mais pas nécessairement sur les ressources actuellement mobilisables, car certaines ressources peuvent être difficilement accessibles.
La SMI a augmenté sa consommation d’eau avec sa troisième grande extension lancée en en 2012. «La concentration d’argent dans le minerais extrait a baissé, elle était de 450g par tonne auparavant, elle est aujourd’hui de 200 à 300 grammes par tonne», précise Farid El Hamdaoui. Pour compenser la baisse de la concentration d’argent, la SMI se met à extraire 700 à 750 000 tonnes de minerais par an, entre 2013 et 2017, contre 3500 000 tonnes, environ, 10 ans auparavant, or le ratio des besoins en eau, immuable, est proportionnel au volume de minerais.
Plus la SMI extrait de minerais, quel que soit la concentration d’argent, plus elle a besoin d’eau. Pourtant, alors que les volumes extraits ont doublé en 10 ans, la consommation d’eau n’aurait augmenté que de 14%, selon la SMI. «Avec l’épaississeur, la matière solide dans nos rejets représente environ 60% contre 35% auparavant. Les boues sont plus épaisses. On recycle également une partie de l’eau de ces boues par décantation, en captant les eaux claires qui remontent en surface», détaille Farid El Hamdaoui. «Finalement, le conflit social a débouché sur la décision de la SMI de rationnaliser sa consommation d’eau», se réjouit Mostafa Benzaazoua.
Captage à Imiter contre emplois
Tout commence en 2004, quand la SMI signe une première convention avec «les représentants des terres collectives d’Imiter pour pomper de l’eau depuis la nappe phréatique qui servait aussi, à cet endroit-là, aux cultures des habitants du village. En contrepartie, la mine s’engageait à embaucher 8 personnes et à réaliser des projets de développement », raconte Mohamed Daoudi. Une clause stipulait aussi l’embauche saisonnière des étudiants de la région pendant leurs vacances d’été.
L’eau a dans la région une telle valeur qu’elle servira régulièrement de monnaie d’échange dans les relations entre la SMI et la population riveraine de la mine. «Partout dans le monde, les gens se plaignent de la pollution et du manque d’eau, alors que ce qu’ils veulent vraiment ce sont des emplois et des investissements. Fondamentalement, je pense qu’ils ont raison, parce que ce sont eux qui subissent les effets négatifs de la mine », reconnaît Mostafa Benzaazoua, enseignant chercheur à l’Institut de recherche en mines et en environnement à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
La mine est proche du village et ses habitants se voient exclus d’une production de richesses qui considèrent comme leur. Le sol de la région n’est devenu propriété de l’Etat qu’en 1951, par Dahir, alors qu’il était exploité en continu ou non, selon le droit coutumier amazigh local, depuis le Moyen Age.
Baisse de 60% de l’eau dans les Khettaras
En 2005, moins d’un an après la signature de l’accord entre la population et la SMI, les agriculteurs de la zone ont constaté une baisse de près de 60% du niveau d’eau dans le système traditionnel d’adduction d’eau des Khettaras, selon Mohamed Daoudi. «La convention précisait que si le pompage de la mine avait une influence sur le niveau d’eau disponible pour l’irrigation, il faudrait cesser ces pompages, mais rien n’a été fait », assure-t-il.
Le conflit entre la SMI et les habitants du village d’Imiter, en contrebas de la mine, n’éclate qu’à l’été 2011. La SMI vient de refuser d’embaucher des jeunes d’Imiter, comme elle le fait chaque été. Au même moment la pénurie d’eau touche la région et les révolutions agitent le monde arabe. «A l’été 2011, 300 personnes se sont présentées et ont demandé à travailler comme saisonniers ; il y avait même des enfants. Nous avons refusé», affirme Rachid El Hamdaoui. Pour Mohamed Daoudi, ai contraire, «tous les jeunes remplissaient les critères définis par la clause pourtant la mine a refusé 40 personnes.»
Baisse de la production de 40%
La mesure de rétorsion ne se fait pas attendre : le 28 août 2011, les habitants d’Imiter ferme la vanne de la conduite qui alimente la SMI en eau depuis leur village. «Cette année-là, nous avons essuyé une baisse de la production de 30 à 40% à cause du manque d’eau», évalue Farid El Hamdaoui. «Notre objectif n’a jamais été de faire fermer la mine mais de sauver notre agriculture, mais en 2012-2013, au lieu de trouver un accord avec nous, ils sont allés chercher l’eau ailleurs», regrette Mohamed Daoudi.
«A partir de là, nous avons développé plusieurs outils dont l’épaississeur pour réduire notre consommation en eau. Nous utilisons l’eau d’exhaure et nous avons creusé deux nouveaux puits à 20km d’ici», reconnaît Farid El Hamdaoui, même si durant cette période des rounds successifs de négociations ont lieu entre la SMI et la population.
Un barrage collinaire de 3 millions de m3
En 2013, un accord est trouvé, avec notamment l’embauche de 50 personnes, mais «il ne répondait pas à 10% de nos attentes», assure Mohamed Daoudi. Les élus et certains manifestants ont signé cet accord, d’autres le refusent toujours et d’autres encore ont abandonné la lutte.
Depuis, les manifestations continuent sur le Mont Alban, siège de la lutte, en fonction du nombre de personnes disponibles. Désormais, les habitants d’Imiter n’ont plus de moyens de faire pression sur la SMI pour obtenir des emplois. La mine n’a plus aucune raison d’écouter les derniers manifestants : elle a accès à toute l’eau nécessaire. «Actuellement nous travaillons avec la ville de Tinghir sur le projet d’un barrage collinaire qui nous permettrait au bas mot d’accumuler 3 millions de m3 par an. Il permettrait ainsi de fournir la population riveraine», assure Farid Hamdaoui.