De nationalité française, mais marocaine dans l’âme, ainsi peut-on décrire Chantal Andres. Née le 20 avril 1933 à Rabat en plein protectorat, elle a grandi et vieilli en étant profondément attachée au royaume. Et des raisons, elle en a ! Bénévole à la cathédrale Notre Dame de Casablanca, elle jouit d’un parcours très riche dans sa terre d’accueil.
De la ferme au pensionnat
Quelques années après sa naissance, son père finit son service militaire et la famille déménage à Benslimane près de Casablanca pour se consacrer à la vigne et à sa ferme. Elle reste alors fille unique jusqu’à l’âge de six ans, avant que ses parents ne fassent trois autres enfants dont deux garçons et une fille. «Ma sœur est une vrai parisienne. Elle y vit d’ailleurs avec son mari. Mes deux frères par contre sont comme moi. Ils vivent au Maroc et parle couramment l’arabe», confie l’octogénaire. Mais l’arabe, Chantal ne l’a pas appris à l’école. «Ma génération n’a pas connu l’arabe à l’école. J’ai appris la langue dans le bled comme on dit».
A douze ans, alors qu’elle passe au collège, Chantal intègre le pensionnat Jeanne d’Arc à Casablanca. Mais la jeune fille préfère la vie à la campagne et se plaint régulièrement auprès de sa mère pour ne pas y retourner. Mais elle y passera trois ans avant de devenir une main forte pour ses parents à la ferme familiale de Benslimane. Parallèlement, l'adolescente prendra des cours de piano, de dessin et de comptabilité. «Mes parents voulaient que j’équilibre avec le travail de la ferme», commente-t-elle.
La France, à 18 ans
C’est à l’âge de 18 ans que Chantal découvre la France pour la première fois. «Quand je suis arrivée à Paris, j’ai failli faire demi-tour sur le champ», se souvient-t-elle amusée. «Personne ne m’avait dit que les maisons étaient grises !», ajoute-t-elle. Et la rencontre avec ses cousins restera à jamais gravée dans son esprit. «Je suis descendue du train à Bordeaux et ils étaient au nombre de dix à m’attendre. Ils m’ont demandé : "t’es pas noire ?"», raconte l’octogénaire. «Je leur ai aussi demandé pourquoi je serais noire», poursuit-elle avant d’ajouter «ils m’ont répondu : "mais tu vis au Maroc". Je leur ai dit que ce n’est pas pour ça que je doit être noire». «Quand je les vois encore aujourd’hui, on s’en souvient et on en rigole», souligne-t-elle sur un éclat de rire.
Dans l'armée malgré elle
Le 20 août 1955, les événements d’Oued Zem éclatent et son père est appelé à remettre la tenue militaire. La famille vend alors tout son bétail et Chantal doit trouver du travail. Elle devient ainsi «employée locale» dans l’armée. Face à une restructuration du personnel, la jeune femme est contrainte de rejoindre les rangs des militaires. C'est à Ain Borja à Casablanca qu'elle débutera, avant de rejoindre l’Etat-major à Rabat. «Je ne voulais pas devenir militaire. D'ailleurs à la première proposition j'avais dit: ''non''. Mais au lieu que je reste à la maison, mon père a tranché», explique-t-elle.
Au cours de ces années, Chantal a effectué un stage à Dieppe dans le nord de la France. A son retour, elle est mutée à Paris, mais s’y oppose. «Je ne me voyais pas à Paris dans une piaule avec deux filles, j’avais déjà 20 ans révolus, il n’en était pas question», argue l'octogénaire qui laisse encore paraitre la volonté d'une dame de fer.
«Le racisme, ça existe»
Finalement, Chantal sera mutée en Allemagne ou elle restera pendant deux ans. A son retour au Maroc, finit l’armée, elle doit retrouver la vie de civil. Elle cumule alors les expériences dans la comptabilité et l’assurance notamment, avant d’atterrir au Consulat de Suisse à Rabat où elle travaillera pendant 27 ans en tant que secrétaire du Consul. «J’étais plus ou moins bien acceptée par les Suisses-allemands … Quand on parle de racisme, ça existe», relève-t-elle, confiant que ses années de services n’ont pas toujours été roses.
Toutefois, c’est pendant ces années que Chantal rencontrera enfin l’amour. «C’était un Français "pied-noir" comme moi, c’est-à-dire un Français né au Maroc. C’est comme ça qu’on nous appelle communément», explique cette veuve qui a perdu son époux en 1993.
Le «Taxi-chrétien» des soeurs et prêtres à Casablanca
Quelques mois après, à 60 ans, Chantal prend sa retraite au Consulat, mais continue de s’occuper en assurant le secrétariat de l’Union des Français de l’étranger (UFE) dont son frère assurait la présidence à l’époque. Et c'est depuis une dizaine d’années qu'elle administre le bureau d'accueil de l’Eglise Notre Dame à Casablanca. «C’est dur de faire du bénévolat, plus dur que travailler parce qu’il n’y a pas vraiment de méthode…», confie la femme âgée dont la qualité organisationnelle se fait remarquer tout de suite. «Ma mère était une femme très organisée, elle me l’a transmis», souligne-t-elle.
Celle que les sœurs catholiques à Casablanca surnomment «Taxi-chrétien», aime se rendre utile pour les autres. «Elles m’ont baptisée ainsi, parce que j’ai une voiture qui est toujours disponible pour les sœurs, les pères quand ils arrivent d’Afrique, ou quand ils sont souffrants et ne peuvent conduire», explique l’octogénaire qui ne fait pas son âge, tellement elle parait robuste.
«Je me sens bien au Maroc»
Si Chantal a gardé un certain lien avec son pays d’origine, en s’y rendant souvent en vacances, elle n’a jamais eu l’intention de s’y installer. D’ailleurs depuis le décès de sa mère, ses déplacements vers la France sont moins fréquents. Son dernier voyage date d’il y a deux ans, lorsque l’une de ses nièces organisait un noël familial. «Je ne voyageais pas seule. Ça pouvait aller», dit la dame qui craint de se perdre dans les aéroports. «Je peux me tromper de porte à l’aéroport. Après je peux me retrouver en Côte d’Ivoire ou je ne sais pas où …», dit-elle en éclatant de rire. «Mais ce n’est pas pour ça que je suis restée au Maroc», poursuit-elle plus sérieusement. «Je reste parce que je m’y sens bien» conlut-elle.