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Interview

Couverture médicale : « Amener les petits indépendants à sortir de l’informel », pour Jilali Hazim [Interview]

48 347 étudiants ont déjà demandé leur affiliation à l’assurance médicale des étudiants, lancé mercredi 13 janvier 2015, sur les 288 000 qui devraient en bénéficier à termes. Le gouvernement prépare à présent la dernière assurance médicale nécessaire pour parvenir à la couverture de toute la population : l’assurance des indépendants. Jilali Hazim, directeur de l’Agence Nationale de l’Assurance Maladie (ANAM), a expliqué à Yabiladi la mise en place progressive de la couverture médicale universelle au Maroc.

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Yabiladi : Seuls 288 000 étudiants sur plus de 600 000 bénéficieront à termes de cette assurance. Pourquoi avoir décidé que les étudiants en formation professionnelle qui n’ont pas le bac ne pourront pas en bénéficier ?

Jilali Hazim : La différence entre 288 000 et 600 000 se sont des ayants droits pour la plupart ; ce sont les enfants de personnes salariées ou fonctionnaires qui bénéficient d’une assurance santé pour eux et leur famille. Les autres sont des petits entrepreneurs qui bénéficieront de l’assurance que nous allons mettre en place pour les indépendants. Les plus modestes d’entre eux, qui ne sont ni ayant-droits ni indépendants, ont logiquement accès au RAMED [assurance médicale pour les plus démunis, ndrl], bien sûr.

A termes, quand toutes les assurances prévues auront été mises en place, il restera certainement une zone grise composée d’individus qui n’appartiennent à aucune des catégories couvertes représentant 5 à 10% de la population. Nous sommes en train d’y réfléchir afin de les intégrer aussi à la couverture médicale. On commence notamment à faire des études pour voir dans quelle mesure on peut intégrer dans les ayant-droits les ascendants, c’est-à-dire les parents des cotisants.

La couverture médicale des indépendants a été adoptée par le gouvernement. En couvrant 30% de la population, elle sera l’assurance la plus importante devant l’AMO (Assurance Maladie Obligatoire) et le Ramed. Comment allez-vous la mettre en place sachant qu’une grande partie de ces ‘indépendants’ sont de petits entrepreneurs individuels dont l’activité est informelle ?

Il s’agit d’une réflexion qui va commencer le 26 janvier. Le panier de soin devrait être équivalent à celui de l’AMO et devrait comprendre une assurance retraite qui ne sera pas obligatoire. Je pense que l’on va commencer progressivement, probablement par les professions les plus formalisées pour finalement approcher toutes les catégories par le biais notamment de leurs formations professionnelles, de leurs syndicats. L’idée – la mienne en l’occurrence – est de demander un forfait annuel moyen à chaque CSP qui aura valeur de cotisation.

Pensez-vous que cette démarche suffira à amener les petits travailleurs de l’informel les plus isolés vers vous ?

Ceux-là sont très probablement déjà dans le Ramed. Ils ne sont pas rendus à eux-mêmes, mais nous espérons justement vider le Ramed en amenant ces petits indépendants vers l’assurance qui leur sera dédiée. Le Ramed ne doit être que résiduel. On espère justement qu’avec ce produit d’assurance on pourra amener les individus de l’informel vers le formel.

La loi votée en 2002 a décidé que les salariés qui bénéficiaient jusque-là d’une assurance maladie de base privée (équivalente de l’AMO par la CNSS ou la CNOPS) aurait 5 ans pour basculer sur le régime général public. Aujourd’hui, plus de 14 ans plus tard, des assurances privées continuent à offrir une couverture médicale de base, pourquoi ?

Le problème, c’est que la loi donnait 5 ans à ces personnes à partir de la publication des textes or certains textes ne sont jamais parus jusqu’à ce jour. A l’ANAM, nous avons réuni une commission avec tous les intervenants pour définir un amendement qui lève les ambiguïtés de la loi. Nous l’avons transmis aux ministères concernés, mais aucune suite n’y a encore été donnée. Aujourd’hui, 1,7 millions de bénéficiaires relèvent encore d’une assurance maladie de base privée.

La loi 65.00 qui fonde le système de couverture médicale qui est en train d’être mise en place date de 2002. 14 ans après, il n’est pas finalisé. Le Ramed, par exemple, a été lancé en 2012 sur la base d’une étude datant de 2006. Comment expliquez-vous que cela ait pris autant de temps ?

La mise en place de l’AMO a peut être pris un peu de temps. Certains produits ont pu retarder la mise en place de l’AMO et le Ramed a pris beaucoup de temps en raison de la phase pilote, mais cela doit être mis en rapport avec les insuffisances du système de santé : infrastructures, établissements de santé, ressources humaines sur tout le territoire. Si l’on était parvenu à ouvrir une assurance santé à toute la population il y a 5 ans, où seraient-ils allés ? Ils seraient venus en nombre et les hôpitaux auraient été dépassés. Aurions-nous dû rembourser le prix exorbitant de soins à l’étranger ? L’établissement progressif de la couverture de santé est allé de pair avec l’évolution du système de santé globale.

Le RAMED est très critiqué depuis son lancement en 2014. Comment fonctionne son financement ?

Le problème du RAMED c’est que contrairement à l’AMO il n’est pas régulé. Aucun organisme n’est chargé de sa régulation pour éviter les abus, effectuer des contrôles techniques, établir des conventions et in fine maîtriser les coûts.

Au moment de son lancement, le ministère a évalué le coût du Ramed à 3 milliards de dirhams par an qui ont été dévolus aux budgets des hôpitaux. Charge ensuite aux hôpitaux de répondre aux demandes des affiliés aux Ramed, mais aussi aux urgences, aux catastrophes, aux cas de force majeurs… Les hôpitaux se plaignent depuis le lancement du budget insuffisant pour accueillir tous les demandeurs. De fait, le financement ne suit pas l’augmentation de l’effectif éligible au Ramed et le rythme de consommation. Aujourd’hui, le budget est pourvu à 6% par les collectivités territoriales, les ‘ramedistes’ vulnérables participent pour 19 à 20% et le reste relève du budget de l’Etat.

Le budget de 3 milliards de dirhams annuel a été visiblement sous-évalué. A combien s’élève aujourd’hui le coût réel du Ramed pour les hôpitaux ?

Nous n’avons aucune idée exacte de combien le Ramed leur coûte. Le ministère est informé par les hôpitaux des actes de soins effectués au nom du Ramed, mais pas de leur coût. Le ministère de la Santé avait tenté de l’évaluer sans parvenir à un résultat crédible. Une réforme est également en cours pour mettre en place un système intégré de gestion de l’information qui devrait être lancé prochainement.

Au-delà, le système du Ramed va-t-il être revu ?

Nous réalisons actuellement une étude, à l’ANAM, pour mettre en place un organisme tiers payeur pour nous occuper de la régulation : mettre en place des filières de soins, imposer le passage par un généraliste avant d’aller en consultation à l’hôpital…

Que faites-vous pour lutter contre la surfacturation ; cette tendance de certains prestataires de soins à gonfler leur honoraires quand ils savent que leur patient est assuré ?

Les premières conventions tarifaires qui fixent le prix de chaque prestation ont été signées en 2006. Aujourd’hui, tout le monde est dans la convention et personne n’y est [comprendre, la plupart des prestataires ont signé la convention, mais aucune ne la respecte réellement, ndlr]. Depuis 2 ans on négocie une nouvelle convention tarifaire qui revalorise certains actes, en introduit de nouveaux et en baisse d’autres.

On va demander à chaque prestataire d’adhérer ou non individuellement à la convention dès le début et on informera ensuite les patients sur les prix de chaque acte de soin dans le secteur conventionné et sur les prestataires qui y ont adhéré et ceux qui n’en sont pas. Si le patient décide d’aller vers un médecin qui dépasse la tarification conventionnée, alors il ne bénéficiera pas du tiers payant et la patient devra avancer l’argent avant d’être remboursé ce qui aura un effet dissuasif.

L’idéal, en matière d’assurance, est de pouvoir mutualiser les risques de sorte que ceux qui ont le moins de problème de santé puissent cotiser et payer ainsi pour ceux qui auront une maladie grave de longue durée. Le Maroc s’est au contraire tourné vers un morcellement des assurances santé, n’est-ce pas prendre un risque important pour leur équilibre financier ?

C’est un début, il fallait en passer par là. Il n’était pas possible de tout faire en une seule fois. On a agi ainsi, mais on a réussi à limiter le nombre de caisses, donc d’acteurs de la fragmentation, ainsi que le nombre de produits d’assurance. L’assurance des étudiants est prise en charge principalement par la CNOPS et l’assurance des indépendants sera organisée par la CNSS. Le panier de soins des indépendants devrait être le même que pour l’AMO.

Les pays qui nous ont précédés dans la mise en place d’une couverture universelle sont aussi passés par la fragmentation. La France n’a jamais rassemblé tous ses régimes contrairement à la Turquie qui a réussi à les réunir en un seul par la suite.

13% de cotisants non assurés !

Qui sont ces 13% de personnes affiliées à la CNSS, mentionnés dans la feuille de route 2014-2018 de l’ANAM, qui ont cotisé sans pour autant s’ouvrir de droits à une assurance santé ?
Les salariés du privé doivent avoir cotisé 54 jours dans les 6 mois suivant leur affiliation à la CNSS, or certains [13% des affiliés de la CNSS, ndlr] ne parviennent jamais à ce seuil minimal. Ils ont donc cotisés, mais n’ont pas droit à une couverture médicale. Ce sont des gens qui peuvent avoir le Ramed, mais nous essayons de voir avec la CNSS comment nous pourrions les réintégrer au système, ou … leur rendre l’argent de leur cotisation, peut-être ?

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