«L'industrie est tout ce qui reste ici à présent, et j’ai une famille à nourrir», confie à The Guardian M. Ben Maarouf, père de deux enfants, estimant qu’il n’a pas d’autres choix que de travailler à l’usine de l’OCP de Jorf Lasfar.
Son frère ainé est mort le 10 octobre dernier à 53 ans, des suites d’un cancer de la gorge diagnostiqué il y a trois ans. Quelques temps avant son décès, le défunt confiait qu’il a travaillé pendant 26 ans dans la même usine, exposé tous les jours à «la poussière et aux gaz de l'ammoniac, du fluorure, de l'acide phosphorique et de l'acide sulfurique». «Nous nous protégions peu, nous n’avions qu’un masque jetable contre la poussière. Personne ne nous a jamais expliqué la nature de ce que nous inhalions», avait-il déclaré.
Cancers, tumeurs, des maladies récurrentes
A Safi, Aoutil Lahssent regrette encore le décès, il y a quelques années, de son frère mort à l’âge de 53 ans, peu de temps après avoir pris sa retraite de l’usine locale de l’OCP. Lui aussi était atteint d’un cancer. «Mon frère n’avait aucune idée du niveau de toxicité des produits chimiques auxquels il était exposé tous les jours. Les conteneurs sont étiquetés en anglais, en allemand ou en polonais, des langues que nous ne comprenons pas», explique l’homme.
Retraité de la même usine, Nouaoui Abderrahim, 56 ans, a la santé détériorée. Après avoir travaillé pendant près de 30 ans dans la mine de l’OCP, il souffre d’une tumeur au rein droit. «Pourquoi ne nous ont-ils pas instruit sur les risques que nous prenions en travaillant dans un tel environnement ?», s’interroge-t-il.
Et la crainte des mineurs encore en service est nourrie par le fait que les bilans de santé se font rares. «Si seulement la société pouvait investir dans les examens médicaux réguliers, peut-être que ces maladies seraient détectées avant qu'il ne soit trop tard», suggère Ben Maarouf.
L'OCP refuse d'en parler ?
Joints par The Guardian, l’OCP ainsi que le ministère de la Santé se sont refusés à tout commentaire. Mais selon le ministère de l’Environnement, «des stations d'analyse de la qualité de l'air ont été mise en place à Safi, El Jadida et Jorf Lasfar. Et il n’y a pas eu de résultats alarmants [sur la pollution atmosphérique provenant de l'industrie des phosphates]». D’après la même source, les documents détaillants ces résultats seraient classés confidentiels.
Pourtant, une étude de l’Institut national de recherche halieutique (INRH) en 2006 avait relevé la contamination des coquillages au cadmium autour des points de rejet de l’OCP. Une autre étude publiée en 2013 a noté des niveaux élevés de pollution aux métaux lourds dans les lagunes situées à proximité des usines de l’Office.
Par ailleurs, la ville de Safi est connue pour être polluée. Et les habitants l’ont encore dénoncé l’année dernière alors qu’ils manifestaient, avec l’appui de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), contre le projet de centrale thermique. Ils dénonçaient, entre autres, l'usine de phosphate.
Et les risques de santé pour les mineurs sont bien connus ailleurs dans le royaume. Alors que les retraités de l’OCP manifestaient à Khouribga il y a quelques années pour l’emploi de leurs enfants, ils évoquaient les risques auxquels ils ont acceptés d’être exposés. «On a laissé notre santé dans cette mine, la plupart sont morts de silicose…», déclarait l’un d’eux au journal français La Croix.
Ailleurs, en France notamment, de nombreuses mines ont été fermées en raison des dangers que l’activité représentait pour la santé des hommes. Au Maroc, une telle mesure semblerait difficilement envisageable, vu l’importance que revêt cette ressource pour l’économie nationale.