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Grand Angle

Changements climatiques : La stratégie agricole d’adaptation du Maroc face au défi de la sensibilisation des agriculteurs

En vue de la COP 21 à Paris en novembre prochain, les pays membres de l’ONU proposent chacun une contribution nationale (INDC) relative à la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), afin de contrer les effets du changement climatique. Le Maroc, lui, s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 32%, en développant des stratégies d’atténuation pour les secteurs grands émetteurs comme l’énergie, l’industrie ou encore le transport. Des mesures d’adaptation ont également été prises pour les secteurs clés de l’économie subissant le changement climatique, principalement l’agriculture. Ici il est question d’optimiser l’irrigation et de reconvertir près d’1 million ha d’hectares de céréales en arboriculture fruitière, soit 18,89% de la surface céréalière. Pour cette dernière mesure cependant, la tâche reste ardue sur le terrain en raison de la non-adhésion totale des agriculteurs.

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D’ici 2030, le Maroc devrait économiser 2,4 milliards de m3/an d’eau en reconvertissant en irrigation localisée, les irrigations de surface et par aspersion encore utilisées sur 920 000 ha de surface agricole utile (SAU). Ce qui lui permettra de faire face au stress hydrique qui atteint des proportions alarmantes en raison du réchauffement climatique. Au bout de la même période, la surface céréalière du Maroc devrait passer de 5,3 millions ha à 4,2 millions ha. Ainsi, près d’1 milliard ha de céréales – dont la culture est fortement dépendante de la pluviométrie- sera reconverti en arbres fruitiers (olivier, amandier ou figuier notamment), le but étant de protéger les espaces agricoles de toutes les formes d’érosion, notamment l’érosion hydrique.

Telle est la stratégie retenue par Rabat, afin d’adapter son agriculture aux changements climatiques et renforcer, par la même occasion, la résilience du secteur, selon la Contribution prévue déterminée au niveau national (INDC) du Maroc à l’horizon 2030, relative à la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC).

Cette stratégie anti-changements climatiques est à la base le deuxième pilier du Plan Maroc Vert (PMV), simplement reconduit dans l’INDC. Lancé en 2008 pour l’horizon 2020, ce plan tient sur 7 fondements dont le sixième s’articule autour de la sauvegarde des ressources naturelles pour une agriculture durable. Et si la modification des techniques d’irrigation ne pose aucun souci vu l’avancée plus que évidente de la pénurie d’eau, en ce qui concerne la reconversion céréalière la tâche est beaucoup plus ardue. 

Reconversion, distance entre données officielles et témoignages sur le terrain

En effet, environ 50% de la population marocaine vit directement de l’agriculture, alors que celle-ci est dominée par les céréales. C’est dire l’importante part de la population dépendant de cette culture. Le programme de reconversion céréalière en arboriculture fruitière a concrètement débuté en 2010 dans diverses régions du Maroc. Mais cinq ans plus tard, les données officielles semblent ne pas toujours se confirmer sur le terrain. D’après les rapports du ministère de l’Agriculture, la surface céréalière représentait 65% de la SAU en 2010. Elle est passée à 57% en 2012, avant de reculer à 52% en 2014.

Cependant, les ingénieurs aux commandes de ce programme dans les régions du Royaume font un constat en léger décalage. «Le programme [de reconversion] est développé sur les terrains privés et les agriculteurs ont du mal à céder les terrains plats situés près de leurs maisons, soucieux de s’assurer un revenu régulier. Généralement ils cèdent les terrains accidentés, en pente ou difficiles à labourer», explique Mustapha Lemrari, chef division du développement agricole à la Direction régionale agricole de Taza-Taounate-Al Hoceima. L’homme de terrain assure pourtant qu’en raison de l’évidence des changements climatiques, «les agriculteurs sont conscients qu’à long terme, il leur sera difficile de cultiver les céréales». «Toutefois, il faut passer par beaucoup de sensibilisation», note-t-il.

Dans l’Oriental, la situation est mitigée. Cette région a accueilli le projet pilote du programme de reconversion –dans la province de Driouch- qui a consisté en la plantation de 21 081 ha d’oliviers dans 11 communes rurales au profit de 7 900 agriculteurs, pour un investissement d’environ 287 millions de dirhams, selon L’Economiste. A noter que cette expérience s’est étendue à plusieurs autres provinces de la région. L’état d’avancement officiel à ce jour n’est pas disponible, mais l’Association des ingénieurs du secteur agricole de l’Oriental (ASIAO) assure que le programme avance sans trop de réticences de la part des agriculteurs. «Je crois qu’ils ont une expérience des changements climatiques sur ces 15 dernières années. Ils sont conscients des rotations…», estime le président Abdellah Koubaa, également chef de service à la Direction régional agricole de l’Oriental. Cependant, reconnait-il, «la superficie céréalière de l’Oriental était d’environ 400 000 ha avant les premières reconversions et elle est la même aujourd’hui». Est-ce vraiment de la reconversion ou tout simplement l’aménagement d’autres terres ?

Défi

Normalement, le Plan Maroc Vert est à 5 ans de son échéance. L’INDC du Maroc va permettre de prolonger le programme de reconversion des céréales jusqu’en 2030, grâce notamment à l’enveloppe financière pourvue par le Fonds Vert pour le climat. «Le système agricole marocain est traditionnellement fondé sur le duo céréales-élevage et les agriculteurs ont du mal à s’en découdre», explique Najib Akesbi, agroéconomiste, enseignant à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II à Rabat. «C’est vrai que la carotte financière est très importante. Mais en réalité, les paysans ne renoncent pas aux céréales. Même quand ils acceptent de céder des terres, ils en gardent un peu pour continuer à faire des céréales. On le voit sur le terrain», remarque l’expert, prenant à témoins les observations faites dans l’Oriental notamment. D’après lui, le bétail est «le fonds de roulement» de l’agriculture et même si les agriculteurs acceptent la reconversion céréalière, séduits par la gratuité, ils essayent «dans le meilleur des cas de jouer sur les deux tableaux».

Prochain pays hôte pour la COP en 2016 après celle de Paris en novembre prochain, le Maroc est donc face à un réel défi, celui de convaincre les agriculteurs qu’ils ont beaucoup plus à gagner qu’à perdre en adhérant à la stratégie agricole d’adaptation aux changements climatiques. Najib Akesbi, lui, redoute la tendance actuelle. «Ma crainte c’est qu’on se retrouve à la fin avec un système où on ne bénéficie pleinement ni des avantages d’une vraie arborisation claire, ni d’une production céréalière», s’embarrasse-t-il.

Dans plusieurs pays européens, la France notamment, la filière céréalière se mobilise pour lutter contre effets du changement climatiques. Au Maroc, les officiels tiennent pour principale arme la sensibilisation de l’acteur principal. «Si l’agriculteur est sensibilisé aux dangers des changements climatiques et aux avantages des mesures d’adaptation, il nous aidera à les mettre en place», juge Mustapha Lemrari.

Cet article est le fruit d'un atelier organisé les 6 et 7 octobre 2015 par la fondation Heinrich Böll à Rabat, sous le thème: « Changements climatiques : Couverture médiatique et clefs d’analyse des grands enjeux ».
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