"Lorsque je m’apercevrais que mon feu sacré s’est transformé en un petit cierge, la moindre des choses serait de me mettre à vomir sur ma propre merde". Guevara fut bien plus que le hispter que la postérité et certains de ses marketeurs ont vendu à ma génération. Sa clairvoyance m’a percuté ce matin, me renvoyant à la figure mon propre reflet de bienpensant idiot, brillant par la nonchalance de son indignation face à la couverture scandaleuse de la destruction méthodique de Gaza par le gratin des reporters foireux du paysage audiovisuel français.
La nausée m’est venue de n’être que sagement en colère, le cul calé dans la quiétude de mon quotidien, du sort et de la condition des Palestiniens ; et les larmes ont coulé de cette rage que le confort mielleux de la bienséance intellectuelle m’a trop souvent empêché de libérer. Cette rage a cela de douloureux qu’elle est légitime autant qu’elle est impuissante. C’est la rage de l’impasse face à l’injustice, la rage de voir à quel point l’Histoire peut être taquine. La rage de voir David devenir Goliath.
Leur dignité, c'est la mienne
La sphère médiatique nous apprend l’asepsie de la pensée. Mais ce matin, ma rage est incompressible. Elle ne craint pas les stupides accusations d’antisémitisme que certains me porteront bêtement. Fût-elle féroce, elle ne m’a évidemment pas transformé en imbécile sanguinaire et nostalgique de Buchenwald, mais elle m’interdit désormais d’édulcorer la réalité. D’où vient-elle, cette rage qui m’envahit ? D’où vient-elle, cette empathie furieuse pour les femmes et les hommes qui peuplent cet appendice que l’on appelle Gaza ? Et d’où me vient cette envie soudaine de traverser le désert et d’aller me battre pour leur survie et leur dignité ? Tout à coup je saisis. Leur dignité, c’est la mienne. C’est mon âme que Tsahal bombarde. C’est à mon identité, à mon droit d’exister, à mon droit de résister à leurs velléités impérialistes que ces connards s’attaquent.
Sauf que mon cul est toujours calé dans mon canapé pendant que l’armée israélienne continue de mettre en place l’opération «Bordure Protectrice». Même Tsahal joue de l’euphémisme quand il s’agit de donner un nom à l’horreur. Pourtant, il s’agit bien de pilonner à coup de bombardements aériens 1,7 millions d’êtres humains parqués dans 360km². «Bordure Protectrice» dites-vous ? Au moins l’état-major israélien aura-t-il eu la courtoisie de prévenir les populations civiles de quitter les lieux. Mais pour aller où ? Le communiqué de presse ne le précisait pas.
Le triomphe de nos échecs
Le constat est édifiant à mesure que l’on tire les ficelles de l’Histoire. Le sionisme est une imposture. Une imposture que la parenthèse coloniale a rendue possible. Une réminiscence du paradigme colonial parmi les plus tenaces de notre époque. Le mythe de la «terre sans peuple pour un peuple sans terre» a triomphé sous nos yeux ébahis et incapables d’entretenir le notre, celui d’une nation arabe indivisible. Ce monde arabe qui n’en est pas un, c’est finalement là que ma rage trouve sa source.
Les Palestiniens, c’est nous qui les avons livré à leur triste sort, nous qui, par nos silences et notre inertie, les condamnons à l’agonie. Mais je suis trop injuste. Nasser a essayé, Aflaq a essayé. Les autres, au nom du réalisme, ne se sont pas foulés. Il faut dire qu’à l’époque, il fallait le vouloir. Mais ils n’ont pas voulu. Alors nous y voilà. La seule alternative, le seul front qui résiste, nous ne le connaissons que trop bien. Mais laissons à demain la question du Djihad. Il ne me reste plus ce soir qu’à vomir sur ma propre merde…