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Grand Angle

Diaspo #315 : Ismael Bouattou, d’éleveur de moutons à Khénifra à restaurateur aux Canaries

D’un éleveur de moutons dans un village de la périphérie de Khénifra à un restaurateur dans une ville des îles Canaries ; c’est l’histoire d’Ismael Bouattou qui, pendant l’été 2006, alors qu’il était mineur, a décidé d’emprunter une embarcation de fortune depuis les côtes de Dakhla vers l’inconnu.

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La date du jeudi 9 août 2006 reste encore gravée dans la mémoire du jeune marocain Ismael Bouattou. Il se souvient dans les moindres détails de l’arrivée du bateau de migration irrégulière sur les côtes des îles Canaries, avec 16 personnes à bord, dont son frère aîné. Originaire du village d’Aït Cherrou, dans la commune de Tighassaline près de Khénifra, il n’avait pas encore atteint l’âge adulte lorsqu’il s’était engagé dans ce périple, du haut de ses 15 ans. Se confiant à Yabiladi sur son parcours au bout des 17 ans où sa vie a changé, Ismael raconte avoir «quitté le monde rural pour la ville de Dakhla dans le but d’émigrer». En attendant, il a «travaillé dans la pêche maritime pendant deux mois seulement», ce qui lui a permis de «récolter une petite somme versée à un réseau de migration irrégulière».

«Quelques jours avant de prendre le large, je ne songeais pas du tout à la mort. J’étais certain d’atteindre l’autre côté. Mais dès que nous sommes montés à bord et nous sommes arrivé en haute mer, j’ai eu très peur. Le périple a duré trois jours et j’étais plein de désespoir. J’avais peur, faim, froid, soif et les vents étaient violents.»

Ismael Bouattou

Le jeune homme, qui a quitté l’école en cinquième année du primaire pour aider son père dans les activités agricoles, a ajouté qu’à leur arrivée à la plage de Las Palmas, les migrants dont il a fait partie «se sont dispersés dans des directions différentes». «Je me suis séparé de mon frère. Une autre personne et moi avons été arrêtés par la police. Nous avons été soumis à des examens révélant notre véritable âge, ce qui a confirmé aux autorités que nous étions bien des mineurs», se rappelle-t-il.

Une intégration par la formation aux Canaries

Ismael et le deuxième mineur en question ont tous deux été transférés vers un centre d’hébergement sur l’île d’El Hierro, aux Canaries. «J’ai été inscrit dans une école publique. Au début, j’avais beaucoup de difficultés, faute de maîtrise de la langue. Mais au fur et à mesure des jours, j’ai commencé à parler espagnol au bout de quatre mois», se souvient-il encore. Après des années d’études, le jeune homme obtient son diplôme en cuisine.

«A mon arrivée, je n’ai pas pu contacter mes parents pendant deux mois, mais ils ont appris par d’autres personnes au Maroc que nous avions pu traverser en mer, ce qui les a quelque peu réconfortés, même s’ils ne connaissaient pas les détails de nos conditions de prise en charge. En tout cas, ils étaient sûrs que nous n’étions pas morts.»

Ismael Bouattou

Agé de 31 ans aujourd’hui, Ismael a travaillé pendant cinq ans dans plusieurs restaurants de l’île d’El Hierro. Après quoi, il a déménagé sur l’île de Fuerteventura, où il a exercé dans le même secteur pendant douze ans. Il y a trois ans, après avoir acquis une grande expérience dans la restauration, il a décidé de créer son propre projet, orienté vers la cuisine marocaine. Son menu propose des mets du terroir, comme l’incontournable couscous, le tajine et d’autres plats qu’il a appris à cuisiner avec sa mère.

Le jeune restaurateur a démarré le projet avec un petit capital, mais aussi avec la grande certitude que son investissement avait de quoi se développer. Ses espoirs n’ont d’ailleurs pas été déçus, d’autant que son enseigne a bénéficié d’un grand engouement auprès de différentes nationalités. «J’ai nommé le restaurant ‘Una Mano’ (Une seule main), parce que je crois que lorsque nous sommes solidaires, nous nous entraidons pour former les doigts d’une seule main et nous pouvons alors réaliser ce que nous voulons», nous affirme-t-il.

Rendre aux parents leur bienveillance

Des années après son émigration, Ismael Bouattou est retourné au Maroc pour la première fois. «J’ai traversé des périodes difficiles m’ayant poussé à me dire que j’aurais aimé ne pas franchir cette étape et rester dans mon pays. Mais à chaque fois, j’ai surmonté les obstacles auxquels j’ai été confronté. La preuve est où j’en suis aujourd’hui, après que le projet s’est développé», ajoute l’entrepreneur.

Ismael a tenté d’investir au Maroc aussi, mais il s’est confronté à de nombreux obstacles qui l’ont fait revenir sur sa décision. Par ailleurs, le jeune restaurateur s’est engagé à rendre un peu de ce que ses parents lui ont donné, après qu’ils ont travaillé dur pour lui garantir une vie descente. «Ils ont travaillé dans les champs des autres, ont gardé les moutons en échange d’une maison leur servant d’un abri contre le soleil tapant de l’été et le froid glacial de l’hiver», se souvient-il.

Aujourd’hui, il parvient à subvenir à tous les besoins de ses parents, y compris en terme de logement et de nourriture. Sur l’île de Fuerteventura, le restaurant Una Mano est devenu célèbre. Son propriétaire s’emploie à en faire un espace à travers lequel les stéréotypes sur les immigrés en général et sur les Marocains en particulier s’effacent. Pour cela, il tient notamment à se présenter avec fierté comme étant d’origine marocaine.

Article modifié le 02/12/2023 à 17h48

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