Trois avocats et une association JEP ont annoncé, lundi, saisir la justice française, à la suite des propos tenus par le juriste et conseiller d’Etat Arno Klarsfeld concernant les musulmans. Invité le 31 octobre sur le plateau de CNews pour aborder la recrudescence de l’antisémitisme en France, tout en mettant la question en lien avec la situation dans le Moyen-Orient et la guerre en cours dans la bande de Gaza, Arno Klarsfeld a prévenu d’éventuelles représailles visant la communauté juive de l’Hexagone, et qui seraient l’œuvre de musulmans.
«Les musulmans, beaucoup travaillent sur les chantiers. Ils ont accès à des explosifs, peuvent avoir accès à des armes à feu. S’il y avait un mot d’ordre pour tuer des juifs, il pourrait y avoir un attentat tous les jours», a lancé Arno Klarsfeld, également membre de l’association des fils et filles des déportés juifs de France. Ces propos n’ont suscité ni l’objection de l’interviewer Pascal Praud, ni celle des autres invités.
Annonçant saisir le parquet à la suite de cette séquence, la psychologue et présidente de l’association Marinette Motti, Fanny Bauer-Motti, souligne que «l’incitation à la haine raciale, l’islamophobie comme l’antisémitisme ne sont pas un choix mais un délit ; un délit qui détruit notre société». Auteur de la plainte avec ses deux confrères Nabil El Ouchikli et Stefen Guez Guez, Me Ouadi Elhamamouchi a confirmé à Yabiladi qu’une plainte était déposée.
Avec l'association JEP, et nos avocats @OElhamamouchi @Me_GuezGuez et @eonavocatbobign nous déposons plainte pour provocation à la haine raciale contre @arnoklarsfeld pour les propos tenus sur @CNEWS à l'endroit des musulmans.
L’incitation à la haine raciale, l’islamophobie… pic.twitter.com/OwM9aDRhEZ— Dr Fanny Bauer-Motti (@ThinknBE) November 6, 2023
Ces déclarations polémiques ont également fait réagir plusieurs personnalités. Sur Libération, la comédienne et autrice Samira Sedira a exprimé son indignation face au fait de «laisser Arno Klarsfeld prétendre, en toute impunité, que tous les musulmans étaient des terroristes en puissance». «On a laissé Arno Klarsfeld salir la vie, l’histoire et la dignité de millions de musulmans, sans que cela ne perturbe personne», a-t-elle écrit, dans une tribune intitulée «Le poison mortel des propos racistes entendus sur les plateaux télés».
Alors que la bande de Gaza est en état de siège par Israël depuis un mois, le traitement médiatique de la situation de guerre en Palestine donne lieu à de nombreux dérapages médiatiques, notamment sur plusieurs plateaux télévisés en France. Réagissant sur cet aspect auprès de notre rédaction, Me Elhamamouchi a déploré que ce sujet soit désormais un moyen, pour certains médias, de stigmatiser les musulmans du pays en important la logique du conflit.
«On reproche souvent aux pro-palestiniens d’importer le conflit en France, alors que ce qu’on peut voir depuis le début des évènements est que, de par leurs interventions, ce sont plutôt les gens qui soutiennent Israël et notamment certains médias qui importent la logique du conflit. Dire que des musulmans pourraient s’armer dans les chantiers est extrêmement dangereux et stigmatisant pour la communauté musulmane. C’est bien la preuve que ce ne sont pas les soutiens des pro-palestiniens qui importent le conflit, mais bien certains personnages pro-Israéliens.»
Pour Samira Sedira, prétendre que «beaucoup de musulmans» travaillent sur les chantiers «est déjà une infamie en soi». «Dans l’esprit brumeux d’Arno Klarsfeld, le musulman est une bête de somme inapte à occuper d’autres postes que ceux auxquels il est destiné», a-t-elle ajouté dans sa tribune.
Le régulateur audiovisuel saisi de plusieurs dérapages
Au lendemain des propos polémiques, le Conseil français du culte musulman (CFCM) a condamné des «déclarations choquantes et injustifiable [qui] ne peuvent qu’exposer les musulmans de France à la haine, et conduire à des tensions et des divisions au sein de notre société».
Le même jour où les propos incriminés ont été tenus sur CNews, c’est le journaliste et chef d’entreprise Pascal Perri qui s’est prêté à un exercice similaire sur LCI. Evoquant également la hausse des actes antisémites en France, il a dénoncé un «antisémitisme couscous» qui serait lié, d’après son analyse, «au fait qu’il y ait un conflit historique entre les juifs, depuis la création de l’Etat d’Israël en 48 et aujourd’hui».
Au vu des pics de signalements pointant divers propos tenus sur les chaînes de télévision, notamment par les deux intervenants décriés, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a décidé de réunir, ce mardi, l’ensemble des chaînes télévisées et des stations de radio, publiques et privées. Si l’instance assure qu’il s’agit d’un «un moment informel», cette rencontre se tiendra à huis clos, pour aborder le traitement médiatique et la couverture du conflit au Moyen-Orient.
Selon Télérama, cette réunion devrait connaître la participation des patrons de l’information des principaux médias. La même source ajoute que l’autorité de régulation «refuse de parler de convocation», mais que la rencontre se tient en effet «après un afflux de saisines reçues ces derniers jours».