Vous avez précédemment déclaré : «Ma seule limite est le Covid et les évènements naturels contre lesquels on ne peut rien.» Envisagez-vous une dimension infinie pour Jazzablanca ?
On ne peut rien contre ces deux éléments, effectivement ! Nous avons beaucoup d’ambitions pour Jazzablanca, mais pas forcément en taille. C’est un boutique festival qui n’est pas à 50 000 ou à 100 000 personnes par jour. Toutefois, nous espérons nous étendre davantage dans la ville, avoir une petite salle jazzy et accessible à la fois, pour faire découvrir au public des artistes jazz qui ont toute leur place ici et que nous aimons beaucoup, mais qu’on ne peut pas forcément programmer dans un espace à l’air libre. Notre rêve aussi est de faire des fanfares dans les parcs et dans la ville, dans la corniche également… La prochaine étape de développement sera donc l’ouverture vers d’autres sites à Casablanca.
Ambitionnez-vous de conserver ce cachet éclectique pour un festival de jazz voulu casablancais, tout en accueillant des artistes de plusieurs pays à travers le monde ?
Je pense que c’est la définition de Casablanca : très éclectique, avec des gens venus d’horizons différents, qui fusionnent dans un espace urbain bouillonnant. Jazzablanca, c’est cela également. C’est à la fois sur de grands sites et à taille humaine. C’est vivant, fait avec du cœur, de l’énergie positive. Tous les gens qui sont ici le sont parce qu’ils ont envie d’y être, d’autant que nous n’offrons pas beaucoup d’invitations. Ce sont donc des passionnés ou des férus de musique qui viennent d’eux-mêmes et qui se déplacent spécialement, parce qu’ils vont à un festival qui leur tient à cœur.
Gyedu-Blay Ambolley & His Sekondi Band au Jazzablanca 2023 / Ph. Sife El Amine
C’est réellement notre modèle de faire que l’on ne vient pas à Jazzablanca par accident. Nous voulons cependant plus de scènes ouvertes au public et nous devons travailler dessus, dans le cadre de notre festival. C’est mon prochain challenge pour faire de Jazzablanca l’évènement qui s’étend sur la ville de Casablanca, laquelle va vibrer en même temps de différentes énergies, couleurs, sons et personnes venues de partout.
Dans le nouveau jazz, on intègre du reggae, du rock ou des sons électro. Des artistes opèrent aussi une forme de retour aux sources musicales, notamment africaines et nous l’avons vu dans le concert de Sona Jobarteh. Pensez-vous que cela fait partie des nouvelles tendances du jazz justement ?
Chacun a toujours eu ses positions dessus et c’est une question de diffusion. Je pense que c’est le travail à faire avec de nouvelles radios pour avoir des couleurs et des identités différentes. Aujourd’hui, nous avons de très bonnes radios mais qui, musicalement, sont soit très orientées vers le passé, soit très jeunes. Nous n’en avons pas qui soient thématiquement portées sur les musiques du monde, la découverte du jazz moderne, avec une approche plus pointue et moins mainstream.
Aloe Blacc au Jazzablanca 2023 / Ph. Sife El Amine
Pour un organisateur de festival, il faut chercher ces pépites et après, il est important qu’elles trouvent leur relai à la radio, afin de sensibiliser le public à écouter des musiques différentes, outre le mainstream ou des choses déjà écoutées. C’est un travail important à faire auprès des radios et nous verrons ce que les investisseurs proposeront. L’uniformisation tue et il est nécessaire de rester dans l’ouverture, la découverte.
On parle beaucoup du rôle des mécènes et des industries créatives actuellement. Qu’en pensez-vous en tant que président de festival ?
Les industries cultuelles se créent un modèle économique. Le mécénat accompagne des associations pour mettre en place des idées. Dans Jazzablanca, nous avons une partie entièrement gratuite, où la Fondation BMCI nous accompagne, avec aucun autre intérêt que celui de mettre en lumière de jeunes talents, offrir au public des concerts de qualité, leur faire découvrir des choses gratuitement, parce que l’accessibilité est importante aussi.
Tarwa N-tiniri au Jazzablanca 2023 / Ph. Momo Filali
Pour les industries culturelles, il est important d’avoir des modèles économiques rentables et à cet effet, la législation doit changer. C’est une question d’encourager un secteur naissant à travers des projets, comme nous en avons vu dans différents secteurs nationaux. Le prochain plan national doit être culturel et pour cela, il faut quel les investisseurs croient qu’on peut devenir rentable en gérant des salles. C’est tout ce microcosme qu’il faut recréer, pour que toute la chaîne industrielle culturelle se mette en place.
Pour que des talents émergent de l’intérieur du Maroc, ils doivent pouvoir jouer tous les jours et monter sur scène. Il faut qu’ils arrivent à avoir donc des salles, à rassembler leur public qui les découvrira et les suivra dans les festivals, devant un plus large public et même au-delà de l’échelle nationale. Ce sera cela, le soft power marocain dans les années à venir. Ça passera par les industries culturelles et créatives, d’une manière ou d’une autre.
Comment se place Jazzablanca, dans cette dynamique ?
On essaye de faire un travail de rayonnement et la force des industries culturelles et créatives est que sa valeur se trouve au-delà de l’aspect financier. C’est une question de retombées positives pour le marketing territorial où la culture doit être un élément central. Elle génère un sentiment d’appartenance, un lieu de vie. C’est ce qu’on veut retrouver dans chaque quartier de la ville en ayant des lieux communs de partage. On recrée ainsi du lien entre les habitants, un sentiment de sécurité, du bien-être.
Site de Jazzablanca à Anfa Park
Tous les impacts positifs des industries culturelles ne sont pas qu’économiques. C’est le seul secteur avec beaucoup d’emplois de jeunes, de femmes, de métiers pouvant accueillir des personnes qui se formeront au fur et à mesure. Il y a plus de 1 000 métiers et ce secteur apporte du tourisme, du rayonnement pour la ville, des postes, de la richesse en impôts… Nous sommes une entreprise citoyennes et nous essayons de rassembler les forces positives autour de cela.
Comment est née la collaboration avec la Fondation Hiba ?
Nous organisons Jazzablanca, mais aussi Anfa Park en fête et Tanjazz. Le Studio Hiba et la Fondation Hiba nous accompagnent beaucoup dans les créations et les résidences, comme celle que nous avons faites entre Antibalas et Mehdi Nassouli, programmée sur la scène Casa Anfa d’Anfa Park le 24 juin pour Jazzablanca. Le studio a été mis à la disposition de nos artistes invités, avec des moyens extraordinaires, ce qui a donné lieu a des concerts extraordinaires. L’année dernière, c’était une résidence d’Erik Truffaz et de Hamid El Kasri, dans des conditions de travail exceptionnelles, avec donc une restitution formidable.
Antibalas et Mehdi Nassouli au Jazzablanca 2023 / Ph. Sife El Amine
Avec la Fondation Hiba, nous travaillons sur Anfa Park en fête différemment, sur tout le parc, du 7 au 30 juillet avec une partie entièrement gratuite, mais aussi le village, sur le site de Jazzablanca. Ce dernier accueillera un festival de musique, de danse et de gastronomie latines, Casa Anfa Latina, du 7 au 9 juillet. On aura aussi un village de musique électronique, avec quelques têtes d’affiche mais surtout 40 artistes, dont 37 marocains. Au niveau du parc, nous allons proposer aussi des lectures et des rencontres littéraires, du cinéma en plein air, du X Game, des démonstrations et de la formation en street art. Nous prévoyons une toile qui sera dessinée par des enfants, encadrés par une stree-artist.
Il y aura beaucoup d’autres choses aussi, notamment des concerts de rue en partenariat avec l’association Free Lfen. C’est un modèle que nous souhaiterions dupliquer dans d’autres parcs pour avoir de l’animation culturelle tout l’été. La ville fait un travail extraordinaire de remise à niveau des parcs et si on arrive à les fusionner avec la culture, ce sera à la fois de beaux poumons verts et artistiques pour notre vie urbaine.
Tarwa N-tiniri au Jazzablanca 2023 / Ph. Momo Filali
Le festival a clôturé sa seizième édition, qui est par ailleurs la première tenue sous le haut patronage royal. Comment s’est faite cette évolution ?
Nous en avons fait la demande et le haut patronage nous a été accordé. C’est plutôt la satisfaction de l’avoir qui a été très forte. J’ai été particulièrement ému, lorsqu’on a reçu le courrier. J’espère que c’est la validation d’un modèle que nous avons mis en place et qui est très disruptif par rapport aux autres festivals. Sa majesté le roi Mohammed VI nous a fait cet honneur et c’est puissant, fort comme symbole pour nous. Maintenant, notre volonté n’est pas d’agrandir l’évènement, d’un point de vue quantitatif, mais de proposer la meilleure expérience possible aux festivaliers en termes de qualité, avec des espaces agréables et confortables, des technologies facilitant l’accès et surtout des moments de découverte et de partage artistiques.