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Grand Angle

Diaspo #264 : Ayoub Qanir, du Maroc aux Etats-Unis avec le cinéma dans l’âme

Le réalisateur Ayoub Qanir n’est pas issu d’une famille de cinéastes, mais son entourage cinéphile l’impacte inconsciemment pour se lancer dans le septième art, après avoir fait des études et travaillé dans la finance, aux Etats-Unis. Aujourd’hui, le cinéma lui permet de vivre, à chaque projet, «une aventure humaine à savoir apprécier, à tous les niveaux».

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Ayoub Qanir dans le quartier gothique de Barcelone / Crédit photo : Albert Ruso
Temps de lecture: 5'

Après avoir voyagé aux quatre coins du monde, à tourner dans le cadre de projets de film, le réalisateur maroco-américain Ayoub Qanir posera bientôt sa caméra au Maroc, où il prévoit ses deux premiers long-métrages maroco-marocains. Lors du Festival international du film de Marrakech (FIFM), tenu du 11 au 19 novembre 2022, il a été présent pour faire connaître son catalogue de projets. En plus de ces deux opus, il prévoit «des téléfilms, des courts-métrages, une mini-série et un autre film long», a-t-il indiqué à Yabiladi, en exprimant son intention de soumettre des propositions au Centre cinématographique marocain (CCM).

Le premier film s’intitule «Les enfants de nos terres», dans un sens poétique. Il se déroulera dans un village isolé du Moyen-Atlas. En préparation, le deuxième, «Nord», traite de la migration, sous l’angle du polar. «On imagine le nord comme une destination rêvée des immigrés. C’est de là que le titre m’a été inspiré. L’histoire est celle d’un détective qui enquête sur un corps rejeté au large de Tanger», nous a-t-il confié. Grâce à ses nombreuses lectures variées, Ayoub Qanir prend connaissance du drame migratoire dans le pourtour méditerranéen, surtout entre le Maroc et l’Espagne. «Des corps de migrants sont tout le temps rejetés, sur les côtes africaines comme européennes. Il existe des carrés sans nom, au sein des cimetières, avec des tombes anonymes et uniquement numérotées, ce sont celles de migrants morts en mer. Je n’ai pas connu de près cette réalité. Aux Etats-Unis, les vécus au niveau des frontières sont différents. J’ai été extrêmement impacté en apprenant ce qui se passe au nord du Maroc et au sud de l’Espagne», a-t-il indiqué.

Dans «Nord», le personnage de l’enquêteur trouve souvent ces corps-là. Mais un jour, il découvrira des traces de balles sur l’un d’eux. «C’est une histoire du drame de ces migrants, mais aussi du trafic, des personnes qui «brûlent» leurs papiers d’identité avant de partir, pour ne plus rien porter de leur vie antérieure», nous déclare encore Ayoub Qanir. «Ce qui m’a inspiré, c’est mon précédent travail sur mon long-métrage au Japon, à propos des «disparus de Tokyo», ceux qui passent par des entreprises dédiées pour disparaître à cause de dettes, de conflits familiaux ou de problèmes de toute sorte», ajoute-t-il.

Ayoub Qanir dans le quartier gothique de Barcelone / Crédit photo : Albert RusoAyoub Qanir dans le quartier gothique de Barcelone / Crédit photo : Albert Ruso

Le voyage comme source d’inspiration pour le cinéma

Ayoub Qanir estime que le cinéma et le voyage vont de pair. «Je pense qu’il est important de voyager. Ce déplacement permanent permet d’avoir d’autres perspectives sur ses propres origines. Un citoyen marocain qui va vivre, travailler et être dans la découverte d’autres contrées, s’enrichit dans l’âme. Lorsqu’il se retourne pour regarder d’où il vient, il ne voit clairement plus les choses de la même manière», soutient-il. Pour lui, «c’est ce qui fait que cette personne puisse produire quelque chose d’intéressant, en termes d’art et de création». «La vision éclectique qu’apporte la diversité du bagage culturel, social et intellectuel est d’une grande valeur, notamment pour le cinéma», ajoute encore le réalisateur.

Ce dernier n’est d’ailleurs pas issu du monde cinématographique. Il grandit à Casablanca, près du boulevard Gandhi. A l’origine, son père est un grand cinéphile. Ingénieur d’Etat en travaux publics, il voyage beaucoup et à chaque retour, il apporte de grands films notables en VHS. «Beaucoup des opus n’étaient pas accessibles sur le grand écran. J’ai été marqué à jamais, lorsque j’ai pu voir ainsi «Goulag», de Roger Young. Nous voyagions beaucoup à l’étranger aussi, à chaque fois que des vacances nous le permettaient», se rappelle-t-il.

Dans la même période, les salles de cinéma son peu accessibles, mais Ayoub s’essaie à la réalisation, sans pour autant se rendre compte que ce qu’il était en train de faire était un exercice créatif, à une certaine échelle. «J’utilisais la caméra de mes parents et je m’amusais à tourner chez moi des petites séquences, voire des petits films, avec mes amis. Pendant le week-end, on tournait des sortes de thrillers, on filmait nos parties de basketball, en se mettant d’accord sur ce que chacun allait dire. C’est comme si j’avais le scénario dans ma tête et à chaque nouvelle séquence, on coupait l’enregistrement de la précédente. Je m’amusais même à faire les génériques !», se souvient celui qui, aujourd’hui, «aime faire du cinéma expérimental».

Ayoub Qanir dans le quartier gothique de Barcelone / Crédit photo : Albert RusoAyoub Qanir dans le quartier gothique de Barcelone / Crédit photo : Albert Ruso

Le réalisateur fait ensuite ses études de lycée en Espagne, où ses parents se sont installés. De Madrid, il part à Los Angeles, puis Miami, New-York, pour se réinstaller à Los Angeles. A Casablanca, il évolue pendant sept ans au sein du club de basketball du Wydad, puis dans l’équipe nationale des minimes, avant de partir pour l’Espagne, où il a fait partie de l’équipe principale de l’école américaine de Madrid, ce qui l’a amené à voyager beaucoup, dans différents contextes et dès le jeune âge.

Une autre partie de sa jeunesse se déroule en Floride, où il a obtenu son diplôme de gestion et finance de l’Université de Miami, en 2005. Il travaille dans des institutions bancaires, notamment la Bank Of America, en plus de stages dans des entreprises d’investissement, y compris à Ténériffe. C’est lors de la crise économique et de la récession de 2009, dans l’atmosphère infernale des cols blancs et des golden boys, qu’Ayoub change de cap pour se recentrer sur le cinéma. Il acquière un diplôme en design graphique et direction artistique.

Ayoub Qanir dans le quartier gothique de Barcelone / Crédit photo : Albert RusoAyoub Qanir dans le quartier gothique de Barcelone / Crédit photo : Albert Ruso

En 2007, à Los Angeles, il fait un diplôme en réalisation et production cinématographique au Lee Strasberg Theatre and Film Institute. C’est ainsi qu’il entre au cinéma par la grande porte. Il est embauché d’abord par une agence publicitaire à Miami, avant de faire des clips de musique et des courts-métrages. Ses retrouvailles avec un ami d’études lui font redécouvrir Los Angeles sous l’angle de la création.

Une reconnaissance royale

Lors de cette période de sa vie, Ayoub Qanir s’investit également dans les romans graphiques et la bande-dessinée, ce qui a donné lieu au projet de la BD sur la Marche verte, qui lui a valu une décoration par un wissam du roi Mohammed VI, en 2015. Fier de cette récompense dont il se rappelle aujourd’hui encore comme la meilleure de sa vie, il a dédié cette consécration à son père, en reconnaissance à son rôle important dans l’éducation artistique du jeune prodige, dès l’enfance.

Ayoub Qanir dans le quartier gothique de Barcelone / Crédit photo : Albert RusoAyoub Qanir dans le quartier gothique de Barcelone / Crédit photo : Albert Ruso

Ayoub Qanir nous confie ne pas avoir regretté sa décision de changer de vie, en passant de la finance au cinéma. «Le côté financier n’est pas toujours stable. Il faut soumettre des demandes d’appui pendant des dizaines de fois avant de pouvoir passer de l’idée à la préparation d’un film. Il faut s’armer de patience pendant plusieurs années, lors de la conception. Mais lorsqu’on est en train de créer et de conceptualiser des idées, c’est merveilleux. On se sent vivre», déclare le réalisateur.

Il se rappelle ainsi de son récent tournage en Russie comme d’un «éblouissement total, dans la pleine nature, isolé, dans un nouveau cadre de vie jamais vu, ce qui a prêté à la découverte et à la stimulation de la créativité». Chaque projet filmique devient ainsi, pour Ayoub Qanir, «une expérience humaine à tous les niveaux et qui se vit intensément».

Article modifié le 20/11/2022 à 15h16

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