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Interview  

FIFM 2022 : Ahmed Abdullahi se met dans la peau d’«Amina» qui sublime la vie en diaspora

Dans son chef-d’œuvre en compétition au Festival international du film de Marrakech (du 11 au 19 novembre 2022), «Savage», le réalisateur suédo-somalien Ahmed Abdullahi montre Amina, une mère célibataire somalienne, passionnée de sports de combat et vivant en Suède, à la recherche des possibilités d’être un parent toujours là pour son enfant et d’atteindre sa gloire en classe professionnelle. Dans la continuité d’une filmographie racontant la migration en épisodes, le cinéaste réussit un exercice d’empathie, qui capte les hauts et les bas vécus de manière personnelle par les diasporas.

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Ahmed Abdullahi et l'équipe du film Savage au FIFM 2022 / Ph. FIFM
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Dans ce film, nous voyons Amina s’entrainer et refaire les mêmes gestes encore et encore. Même lorsqu’elle s’en lasse, elle ne lâche pas. C’est une métaphore sur le combat de la vie, sur le fait de tenir à sa passion et de s’armer de patience ?

C’est la signification pour moi du métier que j’ai choisi de faire en lui-même. Le cinéma et la réalisation sont des domaines artistiques, créatifs et professionnels où l’on ne peut jamais prétendre être un maître, aussi grand soit palmarès, car on ne cesse d’y apprendre et de travailler à s’améliorer continuellement. Il existe certainement des cinéastes qui ont atteint un haut niveau, mais si vous leur demandez, ils vous diront qu’ils ont toujours cette forme d’appréhension, en préparation de leur film, lors du tournage ou même à la sortie.

Vous savez, on fait beaucoup de choses dans la vie et lorsqu’on réalise qu’on y réussit à chaque fois, cette succession nourrit elle-même nos incertitudes et nous pousse à ne pas perdre le cap, à refaire encore et encore les choses, pour ne jamais perdre la capacité d’aller vers l’avant. Ce sont des batailles intérieures infinies avec soi-même. C’est mon cinéma et je ne pouvais donc pas montrer Amina dans une autre posture que celle de la concentration, la répétition et l’ascension à très petits pas, l’un après l’autre.

Justement, est-ce aussi l’esprit avec lequel vous concevez vos films, ou laissez-vous une marge à vos acteurs pour l’improvisation devant la caméra ?

Avant même de commencer à travailler avec acteurs, je collabore très étroitement avec mes scénaristes et producteurs. Nous avons toujours de très longues conversations qui deviennent même philosophiques, poétiques, afin de savoir ce que nous voulons raconter, comment le dire, l’écrire et le filmer. Une fois que nous arrivons sur le plateau de tournage, j’ai une vision très claire sur ce que nous allons faire. Mais je viens aussi pour être surpris. Je suis plus satisfait lorsque je découvre que nous pouvons capter une certaine magie du cinéma que nous n’avons pas prévue dans le script. Habituellement, les acteurs ont une idée sur le déroulement des séquences, mais je veille à leur laisser également un certain espace d’imagination, pour explorer autre chose et se surprendre eux-mêmes par ce qu’ils sont capables de faire.

Amina semble être en combat permanent. Dans le jargon du MMA, Savage est un compliment sur les performances des professionnels. Y a-t-il eu une figure féminine qui a marqué votre vécu par cette capacité de résilience et de fermeté, sans pour autant se déshumaniser ?

Des femmes issues de l’immigration, qui ont fui des pays en guerre ou en conflit, et qui sont arrivées sur une autre terre, m'ont beaucoup marqué. Je les ai connues, tout au long de mon parcours personnel. Elles ne peuvent donc qu’être une source d’inspiration pour moi, mais aussi une leçon de ténacité, de dignité et d’humilité. Ma productrice, Mona Masri, connaît également beaucoup de ces femmes-là qui forcent le respect.

Le clash entre la vie dans une société dite moderne et le fait de venir un milieu plutôt traditionnel, à travers nos parents immigrés, est quelque chose de personnel et de commun à la fois, à toutes les diasporas à travers le monde. C’est quelque chose que l’on ne peut pas fuir et que chaque enfant issu de l’immigration connaît. Je suis né somalien et je suis arrivé en Suède à l’âge de dix ans, en 1992 avec mes parents. Pour l’anecdote, je me demande parfois si les enfants de toutes les diasporas pouvaient s’unir dans un seul et même pays que nous fonderions, car nous nous comprendrions énormément grâce à ce que nous laissent les vécus éclectiques de nos familles (rires).

Amina est toutes ces femmes-là qui vivent cette situation de façon encore plus particulière que nous les hommes, ces filles d’immigrés qui sont constamment appelées à faire leurs preuves doublement. C’est aussi une métaphore pour moi de questionner globalement la parentalité. J’ai trois enfants et cela fait que le réalisateur que je suis voit les choses d’un regard assez particulier. J’ai accès à la création d’images que je vais laisser et qui resteront, pour mes enfants, pour les générations futures.

Ahmed Abdullahi, réalisateur du film Savage / Ph. FIFMAhmed Abdullahi, réalisateur du film Savage / Ph. FIFM

Que vous a apporté au cinéma le fait d’être issu de l’immigration et père de famille ?

Lorsque j’ai eu des enfants, j’ai commencé à comprendre mes parents un peu mieux qu’avant. Quand j’étais plus jeune, je détestais cette phrase que mon père me répétait toujours : «Tu ne comprends pas ce que j’essaye de faire, tu le saura lorsque tu auras toi aussi des enfants.» Finalement, c’est le cas et il avait raison. La parentalité change, en tant que personne et en tant qu’artiste. Mon héritage somalien me permet de leur transmettre des valeurs nobles de mon pays d’origine, de sa société, de ses habitants et je veux qu’ils grandissent en gardant le lien avec ça. Mais en même temps, ce sont des enfants d’une autre génération, ils sont nés en Suède et il est important qu’ils portent en eux les valeurs de ce pays. Mes parents y sont arrivés en tant que migrants, j’y suis venu à un très jeune âge et nous devons maintenir pour eux de pont-là. L’écriture de mes films est un exercice de s’ouvrir également sur toutes ces questions.

Article modifié le 19/11/2022 à 18h18

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