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Grand Angle

Diaspo #263 : Soukaina Ichanti ou l’émancipation par la pâtisserie

Cheffe pâtissière autodidacte, cette Marocaine à la tête d’une pâtisserie à Londres a fait face à plusieurs obstacles, comme les violences conjugales et sa bataille juridique pour la garde de son enfant. Aujourd’hui, Soukaina Ichanti souhaite enseigner sa passion à ses pairs et inspirer d’autres femmes à s’émanciper.

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Soukaina Ichanti a créé sa propre pâtisserie, baptisée «Aicha's Pastry», à l'Est de Londres. / DR
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Soukaina Ichanti n’imaginait pas devenir une cheffe pâtissière et disposer de sa propre marque un jour, elle dont la vie a connu plusieurs tournures. Née à Afourar, près de Beni Mellal, la Marocaine âgée de 33 ans a étudié le commerce et la communication à l'École supérieure de technologie de Meknès.

«Voilée, je n’ai pas réussi à trouver un emploi. Pour devenir commerciale, il fallait être présentable, sans voile et commercialiser des produits», confie-t-elle à Yabiladi à propos de l’une des raisons l’ayant poussé à quitter le Maroc. Au chômage, Soukaina se marie trés vite et plie bagage pour le Royaume-Uni, où elle découvre sa passion pour la pâtisserie.

«C'était au départ un passe-temps avant de devenir une vocation. Je suis autodidacte. J’ai appris par moi-même», raconte celle qui dispose aujourd’hui de sa propre pâtisserie, baptisée «Aicha's Pastry», du nom de sa fille âgée de cinq ans. Soukaina Ichanti donne aussi des MasterClass, pour «découvrir les secrets des macarons» et des ateliers d’apprentissage offrant une expérience pratique dans sa pâtisserie située dans l’Est de Londres.

Le poids des violences conjugales

En septembre dernier, la cheffe pâtissière a même tenu sa première Masterclass à l'étranger, en se rendant à Ouarzazate, au Maroc. «Mon objectif premier était de viser d’autres pays, mais cela nécessite beaucoup de logistique et des sponsors», regrette-t-elle. Mais derrière cette détermination de réussir et d’inspirer d’autres femmes, Soukaina Ichanti a dû vivre une difficile expérience.

«J’ai été victime de violences psychologiques conjugales, bien que ma page Instagram montre une femme forte, autodidacte et qui réussit à se frayer un chemin dans un pays autre que le sien, sans sa famille. Peu de gens connaissent cette version.»

Soukaina Ichanti

Il y a deux ans, cette Marocaine a décidé de mettre fin à l’abus psychologique dont elle était victime, en demandant le divorce et de commencer sa carrière, en plein combat juridique avec son ex-mari. «Je savais que j’ai appris des choses toute seule mais je me posais toujours la question sur mon empreinte pour changer le monde. Je me suis donc inspiré d’un concept de pâtisserie ici au Royaume-Uni qui aide les femmes victimes de violences en leur apprenant la pâtisserie», raconte-t-elle.

Après le lancement de sa pâtisserie, Soukaina voit grand, en lançant un café-pâtisserie-Workshop. «Dieu m’a donné un talent et j’aimerai raconter mon histoire et montrer que je n’ai pas toujours été une femme forte. J’étais victime et aujourd’hui je suis une survivante», nous déclare-t-elle.

La Marocaine espère inspirer d’autres femmes à ne pas rester victimes et les aider à s’émanciper. «Toute ma famille est au Maroc. Cela n’a pas été facile de tout faire moi-même. J’ai même songé à rentrer au Maroc et commencer à zéro mais la justice ne m’a pas autorisé à le faire, son papa étant au Royaume-Uni», ajoute la cheffe pâtissière.

Une passion pour vaincre les challenges de la vie

C’est finalement au Royaume-Uni qu’elle décide de se lancer, profitant notamment du soutien accordé aux auto-entrepreneurs et aux associations et des mécanismes comme le fundraising et le crowdfunding. «J’ai pensé : les femmes vivent partout les mêmes situations et autant lancer mon projet ici et viser plus tard d’autres pays», ajoute-t-elle.

«Cela m’a pris cinq ans pour arriver au niveau que j’ai atteint aujourd’hui mais il faut juste être vraiment passionnée et apprendre pour pouvoir tout faire dans la vie. Lorsque j’ai voulu étudier la pâtisserie, je me suis heurtée au prix élevé des cours. J’ai donc décidé d’apprendre par moi-même.»

Soukaina Ichanti

Elle rappelle n'avoir «jamais été indépendante» dans sa vie. «Tout d’un coup, je devais tout faire toute seule. J’ai dû tracer mon chemin», confie-t-elle. «Plusieurs personnes ici m’ont soutenu», reconnaît la cheffe pâtissière, en saluant le travail de l'association Al-Hasaniya Moroccan Women's Centre, une ONG marocaine basée à Londres et qui accompagne les victimes de violence domestique et abus. «J'ai aussi reçu le soutien de ma famille, qui ne voulait me voir heureuse, et mes amis. Les deux m'ont tellement soutenue financièrement et émotionnellement», fait-elle savoir. 

La cheffe pâtissière souhaite aussi transmettre à ses pairs plusieurs messages. «J’aimerai leur montrer que les situations peuvent apparaître horribles mais qu’à chaque fois nous en tirons les bonnes leçons de vie», dit-elle en confiant que réussir toute seule était un «challenge» pour elle. 

Soukaina Ichanti adresse aussi plusieurs conseils aux personnes se trouvant dans des relations toxiques ou victimes de violences conjugales. «Lorsque vous êtes dans cette situation, vous n'êtes pas conscients de ce qui se passe. Cela m’a pris plusieurs années et m’a poussé à me questionner en permanence. C’est lorsqu'une cliente m’a fait la remarque que je m’en suis rendu compte», témoigne-t-elle. «Les femmes doivent en parler et dénoncer ce genre de situations. Elles doivent aussi réagir et ne pas rester bloquées dans le rôle de la victime. Les femmes doivent aussi prendre le temps de se reconstruire tout en avançant seules pour reprendre le contrôle de leurs vies et regagner confiance en elles», conclut-elle.

Article modifié le 12/11/2022 à 23h27

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