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Grand Angle

Le Maroc accuse Adidas d’assimiler le zellige marocain à l’Algérie

Le ministère marocain de la Culture a accusé Adidas d’avoir «volé» des motifs du zellige marocain pour les utiliser sur le nouveau maillot de l’équipe nationale algérienne de football. Dans la mise en demeure initiée par le département, ce dernier expose ses arguments. Quel poids ont-ils réellements ?

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Photo d'illustration / DR.
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Une source du ministère de la Jeunesse, de la culture et de la communication a confirmé ce jeudi 29 septembre que le département avait décidé d’engager un avocat marocain pour dénoncer un nouveau vol lié au patrimoine marocain. Il s’agirait des motifs de «zellige marocain», repris sur le maillot de la sélection algérienne de football par Adidas. Le département a indiqué avoir agi «en urgence», en mandatant l’avocat Mourad Elajouti pour se charger du dossier.

L’avocat a adressé une mise en demeure au représentant légal d’Adidas à son siège social en Allemagne, tout en alertant l’entreprise qu’il s’agit d’une «appropriation culturelle» et d’une tentative de «voler» un aspect du patrimoine culturel marocain en l’utilisant en dehors de son contexte, ce qui contribuerait à «la déformation de l’identité et de l’Histoire de ces éléments culturels».

Tentative de vol d’éléments marocains ancestraux

L’avocat mandaté a confirmé à Yabiladi qu’une réunion du ministère s’était tenue, en présence d’un certain nombre d’experts juridiques et de spécialistes, pour étudier la question. Il en est ressorti qu’il s’agirait bien d’un cas d’appropriation culturelle et d’une «tentative manifeste» de s’accaparer «une composante historique purement marocaine», ce qui est rappelé également dans la mise en demeure adressée à Adidas.

Le document retient que «la mosaïque de pièces de céramique colorée est apparue pour la première fois au Maroc au Xe siècle. Les modèles contenus dans l’architecture du Palais du Meshouar à Tlemcen sont inspirés du Maroc et ont été vus pour la première fois dans la médersa Bouanania à Fès et l’école de la zaouia». Les éléments historiques exposés dans la mise en demeure s’appuient sur un article scientifique intitulé «Palais du Meshouar (Tlemcen, Algérie) : couleurs des zellijs et tracés de décors du XIVe siècle», publié par ArcheoSciences 2019/2 n° 43-2.

Et d’ajouter que les motifs utilisés dans la conception du maillot d’Adidas seraient inspirés des «motifs retrouvés dans les monuments de la ville de Fès et du site de Chellah, inscrits sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO en 1981 et 1985».

«Nous vous mettons en demeure de retirer lesdits maillots dans les 15 jours suivant la réception de ce courrier, ou de publier un communiqué de presse expliquant que les motifs utilisés sont inspirés de l’art du zellige marocain, et d’attribuer une partie des bénéfices aux artisans marocains ayant droit.»

Mise en demeure adressée à Adidas

Des arguments faibles du côté marocain

Toujours est-il que la démarche du ministère marocain de la Culture auprès du géant de l’habillement sportif pourrait en rester au stade de la campagne médiatique et sur les réseaux sociaux. L’article «Palais du Meshouar (Tlemcen, Algérie) : couleurs des zelligs et tracés de décors du XIVe siècle», sur lequel s’appuie l’avocat dans sa mise en demeure à Adidas, indique que «cette géométrie est partagée par l’ensemble du monde musulman occidental mais, si la complexité des motifs varie selon les émirats, les découvertes du Meshouar tlemcénien permettent de dégager les caractéristiques des œuvres des ateliers ʿabd al-wādides du XIVe siècle».

L’article n’attribue donc par le zellige au Maroc, d’autant que les auteurs indiquent que dans la première partie de leurs recherches repose sur une analyse de ces ornements répandus largement dans «l’Occident islamique». «L’étude de décors du Maghreb central a permis d’acquérir des données archéométriques importantes qui viennent s’ajouter aux données déjà recueillies, pour la même période, sur des édifices mérinides (Maroc) et sur quelques édifices nasrides (Espagne, Al-Andalus, ndlr)», écrivent encore les chercheurs.

La seconde partie de l’étude se concentre plus sur les techniques de fabrication à différents endroits de l’occident musulman, y compris «le Maghreb arabe» et «l’Afrique du Nord», sans jamais attribuer l’exclusivité du zellige au Maroc. Aussi, le zellige n’est pas inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, au nom du Maroc, ce qui rend encore plus difficile de lier légalement son origine à un pays précisément.

Un usage élargi du zellige au Maghreb et Al-Andalus

De nombreux écrits historiques indiquent même que l’intégration du zellige dans les constructions a prospéré aux Xe et XIe siècles, au cours desquels les frontières des pays variaient considérablement en fonction des dynasties qui se sont succédées dans la région. Il est donc difficile de cantonner cet usage à un seul pays précisément, sur la base des frontières étatiques modernes.

Enfin en présentant les maillots de l’équipe nationale algérienne, Adidas n’a pas attribué zellige à un pays spécifique, mais a indiqué que les motifs utilisés étaient bien «inspirés des anciens dessins du Palais El Meshouar» de Tlemcen.

Cette affaire n’est pas la première du genre pour l’avocat Mourad Elajouti, qui avait annoncé en mai dernier avoir assigné en justice la Direction de la culture de Tlemcen pour piratage des images d’une artisane de tapisserie traditionnelle marocaine, ainsi que ses talents artistiques. Plus tôt l’année dernière, en mars 2021, il avait annoncé étudier les possibles voies légales pour porter plainte contre l’Algérie, après que les agriculteurs marocains d’El Arja, au nord-est de Figuig, ont reçu l’ordre de l’armée algérienne de quitter la région. Jusqu’ici, ces annonces faites sur les réseaux sociaux n’ont pas connu un aboutissement judiciaire heureux.

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