Une femme n’a pas le droit de se marier avec un jilbeb, a tranché, ce matin, vendredi 21 septembre, le tribunal de grande instance de Toulon. Miryam et Sâad avaient assigné le préfet du Var, Paul Mourier, pour demander que soit prononcé leur mariage ; ils ont été déboutés. Selon la justice, le voile que porte Miryam, un jilbeb, c'est-à-dire un grand voile qui lui couvre le haut du front et une partie du menton tout en laissant libre le reste du visage, ne permet pas de l’identifier. Chacun appréciera la justesse de l’argument en fonction de la photo.
Selon, l’avocat, Mohad Bourouis, de la mairie de la Seyne-sur-mer, où aurait dû être prononcé le mariage, le 6 septembre, «Mme Cyrulnik [3° adjointe au maire de la Seyne-sur-Mer, ndlr], a tout naturellement demandé à la jeune femme [Myriam, ndlr] de repousser son voile derrière les oreilles pour pouvoir l’identifier pendant la cérémonie du mariage.» La proposition de Florence Cyrulnick a immédiatement provoqué l’indignation. L’avocat explique que la question de la religion a été évoquée par la famille, d’abord. Dans la discussion, le couple a opposé à l’élue la liberté de religion. «Ce n’est qu’à partir de là que Mme Cyrulnik a évoqué la Charte locale de la laïcité», dont elle serait l’un des auteurs, explique Mohad Bourouis.
«J'ai fondu en larmes»
L’ex-future mariée, Myriam, tient un tout autre discours. «Mme Cyrulnik est entrée dans la salle des mariages et après avoir passé son écharpe tricolore, elle m’a immédiatement interpelé, sans autre forme de politesse, sur ma tenue, en expliquant qu’elle n’était pas adaptée à l’endroit, que je n’avais pas pris la mesure de la salle dans laquelle nous étions», raconte la jeune femme. A aucun moment, selon elle, l’adjointe au maire ne lui a demandé de repousser «seulement» son voile derrière les oreilles ni mis en cause son identité.
La scène, ensuite, est presque la même dans les deux versions : le ton est monté rapidement, la tension était très forte. Les deux bords n’ont pas réussi à s’entendre et les mariés ont quitté la salle. «A un moment, un homme, membre de l’une des familles a proposé de se retirer, il était le seul homme de l’assistance, pour que la mariée puisse se dévoiler, mais elle a refusé», explique l’avocat de la mairie de la Seyne sur mer. «J’étais sous le choc et j’ai failli me dévoiler, mais l’humiliation était trop forte. J’ai fondu en larme», raconte Myriam.
Identification ou religion ?
Par son verdict, le tribunal de grande instance de Toulon a admis la version de Mohad Bourouis et donné raison à Mme Cyrulnik sur la base de la réponse donnée par le ministre français de la Justice, Pascal Clément, en réponse à une interrogation parlementaire, le 21 mars 2006. «[...], la circonstance que la future épouse soit voilée lors de l'échange des consentements, de telle sorte qu'elle ne soit pas identifiable et que son visage ne puisse être vu (non seulement de l'officier d'état civil mais aussi les témoins et le public) n'est pas compatible avec les règles du code civil», indique le texte. Il forme la seule obligation légale susceptible d’interdire le port du voile, à la mariée, lors de son mariage.
Si la version de Myriam et de son époux avait été retenue par le tribunal et qu’il est, donc, reconnu que Mme Cyrulnik a refusé de prononcer le mariage en raison de ce signe religieux, il aurait été beaucoup plus difficile, juridiquement, de continuer à donner raison à l’élue contre les jeunes mariés. Dans ce cas, le couple pourrait opposer, à Mme Cyrulnik, la Charte des services publics, du 18 mars 1992. Elle introduit le principe de neutralité : «elle implique la laïcité de l’État, l’impartialité des agents publics et l’interdiction de toute discrimination fondée sur les convictions politiques, philosophiques, religieuses, syndicales ou tenant à l’origine sociale, au sexe, à l’état de santé, au handicap ou à l’origine ethnique.»
«Roue de secours »
Ce n’est pas la première fois qu’un officier d’état civil refuse de prononcer le mariage au nom du voile que porte la mariée. Deux cas semblables sont déjà apparus dans la presse. Le jeudi 9 juin 2011, Fatiha Benhamed, adjointe à la mairie du 9e arrondissement de Lyon, a demandé et obtenu de la future mariée qu’elle retire son voile, rapporte 20mn. «Nous sommes dans une mairie, il y a des signes ostentatoires qui ne sont pas permis», s’était justifiée l’élue. A Marseille, le quotidien régional La Provence révèle, le 7 mars 2012, qu’une charte des bons usages est à présent signée par tous les couples qui veulent se marier dans la mairie du 9 et 10e arrondissement. Ils doivent, notamment s’engager, à ce qu’aucun «signes religieux distinctifs» ne pénètrent en mairie.
Puisque le couple Saâd et Myriam estime que le refus de l’adjointe au maire de la Seyne sur mer relève du même raisonnement discriminatoire et que l’«argument du doute sur l’identité n’est apparu que devant le tribunal, comme une roue de secours», selon Myriam, il fait appel, dès aujourd’hui, de l’ordonnance rendue par le TGI de Toulon. «L’adjointe s’est même avancée jusqu’à donner des informations sur ma filiation ! Où est le doute sur l’identité, alors qu’il n’a même pas été demandé de procéder à une vérification avec la carte d’identité, lors de la cérémonie ?», s’indigne-t-elle. L’affaire devrait être entendue devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence.